L’inflation n’est pas prête de pointer le bout de son nez

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Par Christopher Dembik Publié le 26 février 2018 à 5h00
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1,2 %Pour 2018, l'inflation estimée en France est de 1,2 %.

Tout a commencé le 2 février avec la publication de la hausse des salaires américains étonnamment élevée (2,9 % en glissement annuel) et d’un IPC supérieur aux attentes pour janvier (2,1 % en glissement annuel) aux États-Unis.

Les marchés ont alors connu un bref mouvement de panique dû aux craintes qu’un choc inflationniste puisse conduire la Réserve fédérale américaine à resserrer sa politique monétaire plus rapidement que prévu. Dans une certaine mesure, cette peur d’un choc inflationniste est une excuse idéale qui tombe à point nommé pour une correction du marché. Comme nous l’avions expliqué dans notre analyse précédente, la plupart des indicateurs, notamment ceux de Warren Buffet et de Hussman, montrent que la surévaluation du marché américain est proche de son niveau de 2000.

Mais la peur d’un choc inflationniste n’est pas qu’une excuse. C’est aussi la conséquence du crédit que certains investisseurs donnent depuis plusieurs années à la « théorie de l’effet ketchup de l’inflation », à savoir que l’assouplissement quantitatif pourrait aboutir à une hyperinflation. Conséquence de quoi, au cours des premières semaines de février, les investisseurs ont commencé à se demander quelle stratégie adopter pour protéger leur portefeuille contre une inflation en hausse. Ils se sont tournés vers des titres qui affichent traditionnellement une bonne résistance, comme les secteurs du luxe et de la santé, où les entreprises peuvent répercuter l’inflation sur leurs clients grâce à leur position dominante sur le marché.

Mais tout ceci est absurde. Il ne fait guère de doute que les craintes d’un choc inflationniste sont grandement exagérées. L’inflation n’est pas prête de bouger : elle restera à un niveau relativement bas par rapport à son niveau d’avant-crise. Il suffit d’observer de près les données sur l’inflation américaine.

L’inflation sous-jacente a atteint 1,8 % en glissement annuel, soit le même niveau que le mois précédent, et à peu près le même niveau que l’année précédente. L’inflation globale s’est établie à 2,1 %, soit seulement 0,1 % au-dessus de sa valeur cible. D’un point de vue rationnel, cette légère différence n’a que peu d’importance. Elle s’explique en partie par une activité renforcée dans les secteurs de l’électronique, des transports et des soins médicaux, mais aussi par le fait que la hausse de prix du pétrole a fortement pesé sur l’IPC. Pour rappel, une hausse aussi soudaine n’a rien de nouveau. Début 2017, l’inflation américaine avait sensiblement augmenté en raison d’un effet de base, avant de disparaître durant le reste de l’année. Pour l’heure, rien n’indique que l’accélération puisse continuer dans les mois à venir. L’inflation est l’une des données les plus difficiles à prévoir avec précision. Cela dit, d’importantes forces structurelles et cycliques déterminant l’inflation semblent indiquer que celle-ci n’est pas prête de pointer le bout de son nez de sitôt ou, pour reprendre l’expression, de sortir de la bouteille de ketchup.

Aucun signe réel de hausse de l’inflation à court et moyen terme pour les cours des matières premières ou la Chine

Les prix énergétiques et plus généralement les cours des produits de base n’accréditent pas la thèse d’une hausse de l’inflation, comme l’indique le graphique qui suit. Notre indice mondial du cours des matières premières, qui prend en compte pas moins de 14 produits de base, n’a progressé que de 1,4 % en glissement annuel en janvier dernier, contre 10,3 % en janvier 2017. La Chine, l’un des principaux exportateurs de déflation de 2012 à mi-2016, exporte maintenant de l’inflation, mais à un rythme très lent. Au cours des trois derniers mois, l’IPP a ralenti tandis que l’IPC est demeuré plutôt modéré.

Une hausse salariale qui s’accélère, mais un lien distendu entre chômage et inflation

Dernièrement, une grande attention a été portée sur la hausse des rémunérations aux États-Unis. L’accélération forte et inattendue provoquée par les dernières données (2,9 % en glissement annuel) a donné des sueurs froides aux investisseurs. Cela appelle trois remarques. Tout d’abord, en y regardant de plus près, il semble que l’augmentation observée reflète en partie la réduction des heures travaillées due aux intempéries.

Deuxièmement, si un grand nombre d’entreprises prévoient d’augmenter les salaires au cours des trois prochains mois (voir la dernière enquête de la NFIB, association américaine d’entrepreneurs indépendants), le taux de croissance actuel des salaires reste inférieur à ce qu’il était avant la crise financière de 2007 et ce non seulement aux États-Unis, mais aussi dans la plupart des pays développés (sauf en Allemagne). Dans la plupart des cas, cette tendance s’explique par la morosité qui règne sur le marché du travail. Cela étant dit, les réserves de main-d’œuvre sont beaucoup plus importantes dans la zone euro qu’aux États-Unis, où elles s’établissent à 8,1 % d’après l’indicateur U6 (qui regroupe le taux de chômage officiel, les travailleurs découragés et les travailleurs à temps partiel pour raisons économiques).

Même si le marché de l’emploi retrouvait du dynamisme, rien n’indique que cela provoquerait automatiquement une poussée de l’inflation. Plusieurs études récentes soulignent que le lien entre inflation et chômage est peut-être rompu. Parmi tous ces articles, une analyse approfondie de la Banque de France indique que l’inflation est stable dans les pays du G7, contrairement au chômage, ce qui remet en question la pertinence de la courbe de Phillips (voir La courbe de Phillips existe-t-elle encore ?, 2018). Peut-être sommes-nous entrés dans une période différente, du moins en ce qui concerne la dynamique de l’inflation. Dans une autre étude, la Chicago Booth School of Business arrive à la même conclusion pour les États-Unis (Deflation Inflation Expectations: The Implications of Inflation’s Simple Dynamics, 2017).

Troisièmement, une analyse historique montre que la hausse des salaires ne joue un rôle moteur dans la hausse de l’inflation que lorsqu’elle dépasse 4 % en valeur nominale, comme ce fut le cas entre 2003 et la crise de 2007. Au cours de cette période, cela a aidé la Réserve fédérale à atteindre son niveau cible d’inflation. Au rythme actuel et même avec la réalisation des prévisions les plus optimistes qui prévoient une hausse des salaires d’environ 3,5 % cette année, il est peu probable que cela provoque une poussée de l’inflation.

Une faible demande nette de crédit

Si on en revient aux bases, l’inflation est avant tout le fruit de la vitesse de circulation de la monnaie qui dépend de la demande nette de crédit. Le graphique ci-dessous montre pourquoi, aux États-Unis, l’inflation est condamnée à rester plus faible qu’à d’autres périodes précédentes. La situation américaine est marquée par une faiblesse tant du credit impulse, basé sur les flux de nouveaux prêts provenant des secteurs non financiers nationaux, que des prêts et crédits-baux commerciaux et industriels, qui donnent une vision plus large du crédit.

En outre, d’autres facteurs structurels à long terme limitent la hausse de l’inflation : l’accumulation de la dette, le vieillissement, les nouvelles technologies ainsi que le développement de nouveaux modèles économiques à bas coût. Ces dernières années, l’inflation sur le marché des biens et services a été limitée par le recours accru à l’externalisation et aux travailleurs indépendants, ce qui a permis aux entreprises d’être moins entravées par la rigidité des coûts et des salaires. Ces phénomènes sont probablement amenés à durer et à empêcher tout choc inflationniste.

Des rendements réels encore assez faibles

De nombreux investisseurs s’inquiètent de l’inflation du fait d’avoir appris dans leurs manuels qu’une hausse de l’inflation faisait monter les rendements sur toute la courbe. Mais ce qui importe vraiment, ce sont les rendements réels. Le graphique ci-dessous illustre les rendements obligataires réels à 10 ans de grandes économies. Ce qu’il faut bien garder à l’esprit c’est que, malgré leur hausse, ils sont encore loin d’être revenus aux niveaux caractéristiques de ce qu’on appelle la Grande modération. L’ère des taux d’intérêt bas n’est pas encore révolue – nous n’avons pas évolué vers un nouveau paradigme.

Les principaux points à retenir

- Les investisseurs ne devraient pas se concentrer sur de courtes séries de chiffres sur l’inflation, qui sont relativement volatiles et ne signalent pas l’émergence d’une nouvelle tendance.

- Il n’existe aucun problème d’inflation. L’IPC américain a augmenté parce qu’il est fortement influencé par les prix du pétrole, mais l’indice de référence et le CPE sont conformes aux attentes.

- Malgré les récentes turbulences du marché, il n’y a guère de consensus quant à la capacité globale de la Fed à mener plus de trois hausses cette année, et il est clair qu’une poignée de chiffres ne changera pas la stratégie de la banque centrale.

- Oui, l’inflation revient lentement. Dans les pays du G7, l’IPC moyen se situe à 1,7 %, mais ce chiffre est légèrement inférieur à février 2017 (1,8 %). Dans la zone BRICS + Indonésie, l’IPC moyen à 3,5 %, reste proche de son plus bas niveau depuis la crise. L’inflation ne va donc pas changer la donne sur les marchés, du moins pas tant que l’IPC américain ne rentre pas dans la zone de risque comprise entre 3 % et 4 %.

- Ce scénario est hautement improbable en raison d’une faible impulsion inflationniste et de facteurs structurels limitant la pression inflationniste.

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Christopher Dembik est économiste chez SaxoBank.

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