Mettre sur le même plan les instruments fiscaux que constituent les entreprises et les contribuables piétine des vérités économiques et éloigne de la probité démocratique.
Dans le cas des impôts indirects, dont les plus massifs sont devenus la TVA et les taxes sur les produits pétroliers (en attendant l’alourdissement de la fiscalité sur toutes les autres fournitures d’énergie ?), les entreprises sont utilisées pour collecter des contributions qu’elles versent au Trésor public. À ce titre, elles sont des agents fiscaux, ce que ne sont pas les titulaires de revenus en tant que tels. Mais, somme toute, est-ce seulement à ce titre ?
Du schéma biaisé au capharnaüm croissant
Les comptables nationaux et de nombreux formateurs voient dans les ménages, les entreprises et les administrations des « agents économiques ». Ce serait de la bonne économie descriptive. C’est la projection d’un schéma biaisé. Les ménages et les administrations ne sont pas des sortes d’entreprise, pas plus que les États n’en sont, sauf à s’affranchir du discernement de ce qui est économiquement propre aux ménages, propre aux administrations publiques, propre aux entreprises. Seules ces dernières ont pour raison d’être la pratique des échanges économiques (Economie Matin du 23 février).
Il serait de bonne organisation publique, dit-on, que tous les « agents économiques » deviennent des agents fiscaux, d’une façon ou d’une autre – peut-être pas absolument tous des contributeurs de dernier ressort au financement des charges publiques, mais bien le plus possible d’enrôlés de force en supplétifs non rémunérés de l’administration fiscale. Cela conduit tout droit au capharnaüm administratif, lequel contribue en retour à empirer le capharnaüm conceptuel qui règne dans les coulisses des politiques publiques et de là migre dans tous les autres organes du corps social, dont les entreprises. La leçon majeure à tirer des défoulements électoraux pourrait bien être que, face à l’élévation du niveau de désordre mental pour tout ce qui touche à la vie de la cité, l’opinion publique manifeste de cette façon son exaspération.
Les créateurs de richesse économique
La catégorie statistique des ménages comporte à juste titre plus d’éléments qu’il n’y a de familles nucléaires (lesquelles en sont lorsqu’elles n’ont qu’un membre). Dans les autres éléments, se trouvent en effet les associations à but non commercial de droit privé. Là encore l’analyse économique d’où l’organisation fiscale doit tirer sa cohérence est prise en défaut si elle ne tient pas assez compte de deux réalités primordiales. Les revenus du travail, qui s’entendent hors de toute allocation perçue, n’ont pour titulaires que les membres de familles nucléaires. Dans les titulaires de revenu de placement, il y a également des membres de familles nucléaires. Mais il y a, outre des familles en tant que telles, les autres associations privées à but non commercial qui ont effectué des placements en vue d’en tirer un produit financier.
Qui sont initialement et finalement les créateurs de richesse économique ? Les individus qui vendent le service de leur travail et ceux qui complètent leurs revenus en vendant le service de leurs placements comme le font concurremment des familles nucléaires et d’autres associations privées à but non commercial. Dans le processus de création de richesse économique, bien sûr que, de façon indispensable, les entreprises et les administrations publiques interviennent, ces dernières d’abord en tant qu’employeurs. Aussi bien dans le cas des entreprises que de ces administrations, ces organes sont des instruments dont l’utilisation procure plus ou moins d’augmentation ou de réduction des revenus, en grande part selon les mentalités les plus répandues dans l’un et l’autre de ces milieux.
Les vrais et les faux assujettis au financement des charges publiques
Les individus et les associations privées à but non commercial qui se trouvent au début et à la fin du processus de création de la richesse économique sont les vendeurs de marchandise élémentaire (Economie Matin du 26 janvier). Ces fournisseurs-là sont économiquement les seuls contribuables. C’est aussi parmi eux seuls que se trouvent les électeurs. Quand allons-nous donc nous rendre collectivement à l’évidence qu’il est grand temps de tenir ensemble ces deux réalités ?
Les entreprises, à savoir les assembleurs et vendeurs de marchandises composées, sont de faux assujettis au financement des charges publiques. Les seuls vrais contribuables sont ceux d’où vient directement ou indirectement le produit des impôts. Rien de ce qu’une entreprise possède juridiquement ne lui appartient économiquement. La situation nette des vrais contribuables n’appartient, elle, qu’à eux. Les prélèvements publics mis à la charge des entreprises sont destinés à être tôt ou tard répercutés dans les prix auxquels les entreprises vendent. Au final, l’ardoise que présente la puissance publique aux vrais contribuables comprend l’enchérissement qui vient d’être dit.
Non aux prélèvements indolores, oui à la probité démocratique
Les gouvernements poussent plus ou moins loin l’idéal technocratique de la ponction fiscale et parafiscale indolore pour ceux dont ils captent une partie du pouvoir d’achat. Ce serait un onguent sans lequel l’opinion publique ne supporterait pas les douleurs que lui infligent ses contradictions. Oui disent les partisans les plus lucides de cette médecine, nous savons que ses effets pervers sont importants, mais la puissance publique ne peut pas se dispenser de ce subterfuge pour financer ses missions.
Peut-être faut-il avoir la tournure d’esprit typique d’un parlementaire ou d’un énarque pour ne pas se laisser effleurer par l’idée que les prélèvements indolores attentent à la probité démocratique. Quelques générations d’élus au suffrage universel et de hauts fonctionnaires qui considéreraient qu’en matière de finances publiques et de régimes obligatoires, des électeurs et des assurés débarrassés des fictions qui leur camouflent les vrais coûts revivifieraient la démocratie. On voit cependant mal d’où soufflerait ce vent nouveau si au préalable des cohortes de professeurs ne se sont pas attelés à la promotion d’un nouveau jeu de principes économiques.
Redistribution et paradis
Ne signalons ici à ce sujet que deux autres points. Croire dur comme fer que les prélèvements publics doivent massivement pourvoir à de la redistribution n’est rationnel que relativement à ce qu’il est assurément normal que la distribution des revenus devienne au su et au vu de tout un chacun. Si cette normalité est à établir, ce qui est le cas, s’acharner à toujours plus ou toujours autant de redistribution au lieu d’œuvrer par des réformes organiques à la correction de ce qui manque et à l’élimination de dérives enferme dans un cercle vicieux.
Dans leur principe même, les paradis fiscaux auraient des conséquences infernales. Partout et à jamais, la captation fiscale dans les caisses des entreprises d’une partie de leurs bénéfices serait équitable et nécessaire. Mais l’expérience est là, avec la théorisation dominante du système économique qui ne nous donne pas les moyens de dégager impartialement les lignes de force de son sous-système fiscal, comme au demeurant de son sous-système monétaire. Le Malin se frotte les mains : les conséquences infernales lui conviennent d’autant mieux qu’elles éloignent des clarifications conceptuelles qui le désarment d’autant plus qu’elles sont grosses d’assainissement des finances publiques, cette affaire de haute importance non seulement économique mais aussi politique et morale.
À suivre
Les trois prochains articles seront sur la comptabilité, les trois suivants sur le capital, selon la progression qu’énonce le prélude à la science économique de base en douze chapitres (Economie Matin du 29 décembre).