Ces dernières années, de nombreuses études se sont penchées sur la problématique du développement d’une classe moyenne africaine. Cependant, ces dernières ne sont pas parvenues à établir un consensus en ce qui concerne sa définition. La diversité des économies et des marchés qui composent le continent rend, en effet, cette tâche délicate.
D’où, une divergence de vue sur la comptabilisation du nombre d’africains tombant dans cette catégorie. Néanmoins, les analystes partagent la certitude que l’émergence de la classe moyenne africaine n’en est encore qu’à ses débuts. Elle s’accompagne, en outre, de l’émergence d’une nouvelle classe de consommateurs, à l’origine de nombreuses opportunités d’affaires.
Définir les classes moyennes africaines
Dans un rapport de 2011 intitulé « The middle of the pyramid: dynamics of the African Middle Class », la Banque africaine de développement (BAfD) définit la classe moyenne comme étant composée d’individus dépensant entre 2 USD et 20 USD par jour. Cette définition a été largement critiquée ; car, en effet, environ 60% des individus appartenant à la classe moyenne au sens de la BAfD dépensent en réalité entre 2 USD et 4 USD par jour pour vivre. Ils appartiennent à ce que la banque appelle la classe moyenne flottante (« floating middle class »), une catégorie vulnérable aux aléas économiques et susceptible de retomber dans la pauvreté.
Toutefois, d’autres définitions ont émergées. En 2010, la firme McKinsey définissait les ménages appartenant à la classe moyenne comme ceux gagnant plus de 5000 USD par an et ayant les ressources nécessaires pour réaliser des « dépenses discrétionnaires » (soit un niveau de revenu leur permettant de dépenser environ la moitié en biens /services de consommation, hors produits alimentaires). Autre exemple, en 2014, Standard Bank, dans une étude intitulée « Understanding Africa’s Middle Class », caractérisait la classe moyenne comme les ménages gagnant entre 8500 USD et 42000 USD par an (la classe moyenne inférieure étant définie comme les ménages gagnant entre 5500 USD et 8500 USD par an et la classe moyenne supérieure comme les ménages gagnant plus de 42000 USD par an). Ces différences de définition créent inévitablement un désaccord sur le pourcentage de la population africaine tombant dans cette catégorie.
Le phénomène d’émergence de la classe moyenne africaine encore à ses débuts
D’après la BAfD, entre 2000 et 2010, la classe moyenne africaine a cru de manière considérable passant de 205mn d’individus (soit environ 27% de la population africaine) à 327mn en 2010 (soit 34% de la population). Ceci correspond à un taux de croissance de 59,6%, un taux plus élevé que le taux de croissance de la population africaine, elle-même, estimé à 27,6% sur la période 2000-2010. L’accélération la plus rapide concerne la « classe moyenne flottante » (dépensant entre 2 USD et 4 USD par jour) dont le nombre a cru de près de 100mn de personnes pour atteindre 21% de la population africaine. La « classe moyenne stable » (dépensant entre 4 USD et 20 USD par jour) a vu son nombre augmenter de 29,4mn de personnes pour atteindre 130mn d’individus (13,5% de la population africaine).
En revanche, Standard Bank qui a conduit une étude sur les classes moyennes de 11 pays d’Afrique sub-saharienne (Angola, Ethiopie, Ghana, Kenya, Mozambique, Nigeria, Sud Soudan, Soudan, Tanzanie, Ouganda et Zambie) qui représentent à eux seuls près de la moitié de la population africaine et du PIB du continent, affirme qu’entre 2000 et 2014 près de 6mn de ménages auraient été ajoutés à la classe moyenne pour atteindre un total de près de 8mn. Ce nombre paraît modeste en comparaison des chiffres de la BAfD. Mais ceci prouve que le phénomène n’en est encore qu’à ses débuts et qu’il représente un potentiel énorme pour les investisseurs. En effet, d’après Standard Bank, le nombre de ménages appartenant à la classe moyenne est amené à tripler dans ces 11 économies pour atteindre 22mn d’individus d’ici à 2030, porté par un contexte de croissance économique soutenue en ASS (de l’ordre de 5,8% en moyenne sur la période 2015-2019 d’après le FMI).
Une nouvelle base de consommateurs…
Le développement de la classe moyenne africaine se traduit par l’émergence d’une nouvelle base de consommateurs, dont il est important de comprendre les spécificités. Dans son rapport de 2011, la BAfD décrit les classes moyennes comme des ménages relativement jeunes, éduqués (enseignement supérieur), vivant dans des centres urbains, et disposant de métiers stables et bien rémunérés. Standard Bank ajoute par ailleurs que les ménages des classes moyennes tendent à avoir moins d’enfants que les anciennes générations et qu’ils se sentent très concernés par le bien-être de leurs enfants. En ce qui concerne leurs comportements de consommation et d’épargne, il apparaît que les priorités des classes moyennes africaines diffèrent largement de celles des autres classes sociales puisqu’elles préfèrent allouer une plus grande part de leur budget à l’éducation, la santé, les services d’assurance et services financiers.
A ce titre, l’enquête du Boston Consulting Group, intitulée « 2013 Africa Consumer Sentiment Survey », nous apporte des éléments de réponse sur les nouvelles priorités des consommateurs africains. D’après l’enquête du BCG menée dans 8 économies clés d’Afrique sub-saharienne, de nombreux africains ont un comportement d’épargne : entre 32 et 59% des personnes interrogées déclarent épargner de l’argent pour les situations d’urgence. De plus, l’étude montre que la population africaine embrasse petit à petit le consumérisme puisque 60 à 90% des répondants expriment le souhait d’acheter davantage de biens et services chaque année. Par ailleurs, ils expriment une préférence pour les biens et services durables : habillement, automobiles, produits électroniques (télévision et téléphone), assurance et services de santé. Enfin, l’enquête démontre que les consommateurs africains sont sélectifs dans leurs achats : ils font passer la qualité avant la quantité et ont une conscience de marque très prononcée, et ce même lorsque leur revenu diminue. …
à l’origine de nouvelles opportunités d’affaires
Ce changement dans le comportement d’épargne et de consommation des populations africaines et la hausse continue de leur pouvoir d’achat suggère une demande potentielle pour de nouveaux biens et produits.
Ainsi, le secteur bancaire est amené à se développer dans le futur, profitant de l’émergence de la classe moyenne, qui de par ses revenus et son pouvoir d’achat a un accès facilité au crédit. Aujourd’hui seulement 20 à 30% de la population africaine a accès au système bancaire formel, ce qui signifie que la majorité de la population se trouve exclue du système financier.
Le secteur de la distribution et des biens de consommation présente également de grandes opportunités. Le français Carrefour, qui s’est allié au distributeur franco-japonais CFAO ne s’y est pas trompé, puisqu’il a prévu d’ouvrir le premier hypermarché Carrefour en Afrique de l’Ouest à Abidjan en septembre 2015. Mais ce projet fait partie d’un plan de développement plus ambitieux : Carrefour vise à installer une centaine de magasins d’ici à 2024 dans 8 pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale. Toutefois, il doit faire face à la concurrence sur le continent d’autres géants de la grande distribution tels que l’américain Wal-Mart ou le sud-africain Shoprite qui développent rapidement leurs implantations en Afrique.
C’est également le cas des grands noms de la restauration rapide qui se développent à un rythme effréné sur le continent. En Afrique du Sud, par exemple, le développement de la classe moyenne noire a permis le développement rapide du secteur. En juin 2013, le géant du fast-food MacDonalds opérait déjà 185 restaurants dans le pays.
Conclusion
Depuis le début de la décennie, le continent africain a connu des changements considérables. Il bénéficie de l’émergence d’une nouvelle base de consommateurs et du développement de nouveaux secteurs d’activités (télécommunications, industrie automobile, distribution ou encore secteur bancaire) dont l’essor apporte un soutien accru à la croissance économique. Toutefois, il est encore trop tôt pour identifier une classe moyenne solide et prospère en Afrique. Aujourd’hui encore près de 47% de la population d’Afrique sub-saharienne vit sous le seuil de pauvreté (soit avec moins de USD1.25 par jour pour vivre – exprimé en parité de pouvoir d’achat). Dans ce contexte, la mise en œuvre de politiques économiques et sociales pro-pauvres (dans l’éducation ou la santé) en accompagnement de politiques de développement des infrastructures ou d’amélioration de la gouvernance, apparaissent nécessaires pour permettre à un nombre croissant d’individus de sortir du cercle vicieux de la pauvreté et venir grossir les rangs de la classe moyenne africaine.