L’autre crise de 2008 : l’hyperinflation au Zimbabwe

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By Fabien Pirollo Last modified on 9 avril 2015 10h39
Billet Zimbabwe Crise Economique Inflation
@shutter - © Economie Matin
2 600 %Le Zimbabwe a subi une inflation de 2 600 % en juillet 2008 !

En 2009, lors de la cérémonie annuelle de remise des prix Ig Nobel (parodie des prix Nobel), Gideon Gono, gouverneur de la Reserve Bank of Zimbabwe (RBZ), la Banque Centrale du Zimbabwe, s'est vu remettre le prix en Mathématiques pour "avoir donné aux gens un moyen simple et quotidien de faire face à un large éventail de nombres (des très petits aux très grands) en ayant fait imprimer des billets de banque dont les valeurs allaient d'un centime (0,01 $) à cent mille milliards de dollars (100 000 000 000 000 $)".

Pourquoi avoir imprimé de tels billets ? Car depuis le début des années 2000, l'économie du Zimbabwe connaît une crise majeure : le pays est en proie à l'hyperinflation et pour suivre cette augmentation démesurée des prix, la RBZ est obligée d'imprimer des billets dont la valeur faciale croît toujours plus. Or, dans les années 80, le pays vécut un véritable boom économique et fut présenté comme un modèle de réussite en Afrique. Comment, 30 ans après, peut-il se retrouver dans un tel marasme ?

Afin d'expliquer l'évolution de la situation du Zimbabwe depuis 1980, il est utile d'étudier la croissance de son PIB. Cette donnée est un indicateur pertinent pour comprendre les chocs subis par le pays.

Sur le graphique précédent, quatre principales phases ont été délimitées : la première allant de 1980 à 1992 (croissance), la deuxième de 1992 à 1998 (récession), la troisième de 1998 à 2008 (crise), et la dernière de 2008 à aujourd'hui (reprise).

1980 - 1992 : période de croissance

Lorsque le Zimbabwe gagna son indépendance du Royaume-Uni en 1980, Robert Mugabe, héros de la lutte indépendantiste, en devint Premier ministre. Il délogea ainsi Ian Smith, colon blanc anglais, qui, malgré une politique intérieure contestable, laissa le pays dans une très bonne situation économique (routes, infrastructures, agriculture dynamique, investissements dans la santé, l'éducation...). Sa balance commerciale devint positive (+ 341 millions $ en 1988) et, auto-suffisant sur le plan alimentaire, il fut même exportateur net de produits agricoles. On le surnomma ainsi le grenier à grains de l'Afrique australe. Ce progrès économique engendra une amélioration des conditions de vie de la population : l'IDH passa de 0,37 en 1980 à 0,43 en 1990.

1992 - 1998 : dégradation de l'économie

La situation commença à se détériorer au début de la décennie 90. On observe sur le graphique qu'en 1992 le pays entra même en récession (- 9 %). Ce retournement brutal fut causé par une sécheresse très grave à laquelle le pays fit face en important massivement des denrées alimentaires, ce qui dégrada fortement sa balance commerciale (- 758 millions $) et in fine son PIB. La dette publique se mit à augmenter.

En outre, la fin de l'apartheid en Afrique du Sud en 1991 et l'arrivée au pouvoir en 1994 de Nelson Mandela permit à ce pays de devenir un concurrent régional sérieux du Zimbabwe. Par exemple, alors que les Investissements Directs à l'Etrangers (IDE) entre les 2 pays étaient équivalents au début de la décennie 90, la situation tourna clairement à l'avantage de l'Afrique du Sud en 1998 (hausse de 906 % des IDE contre 229 % pour le Zimbabwe).

1998 - 2008 : crise économique

Au niveau international, en 1998, le Zimbabwe entra dans la deuxième guerre du Congo. Robert Mugabe apporta son soutien à Laurent-Désiré Kabila, président de la République Démocratique du Congo, en fournissant hommes, armes et munitions. Cette guerre contribua à dégrader profondément les finances publiques du pays.

En 2002, Robert Mugabe fut réélu président du Zimbabwe, mais plusieurs pays occidentaux contestèrent le processus démocratique de cette élection et s'indignèrent du non-respect des droits de l'homme dans le pays. Des sanctions économiques et financières furent prises. Par exemple, l'Union Européenne et les Etats-Unis réduisirent les montants dédiés aux programmes d'aide au développement et restreignirent le commerce avec le pays (embargo sur les armes). Ces sanctions empirèrent la situation du pays.

Concernant les affaires intérieures, afin de regagner la confiance de son peuple, Robert Mugabe décida en 2000 de mettre en place une réforme agraire brutale : il "nationalisa" les terres fertiles du pays en expropriant violemment les agriculteurs blancs qui avaient obtenu ces terres arables sous Ian Smith. Mugabe en donna la gestion à une élite noire proche du régime. Mais cette dernière ne possédait pas les compétences nécessaires pour cultiver convenablement ces terres. La production agricole s'effondra, un chômage important apparut (même s'il est difficile à calculer précisément à cause d'un marché informel actif, il est évalué à 80 % de la population en 2005) et la famine frappa le pays. Une forte émigration vit le jour afin de fuir ces conditions de vie. L'IDH chuta dramatiquement, passant à 0,35 en 2008 (il est à un niveau plus bas qu'en 1980).

En outre, le pays expérimenta une hyperinflation d'une rare violence. L'inflation devint particulièrement importante au début des années 2000, avant d'atteindre des sommets en 2008. Le tableau suivant présente les taux d'inflations mensuels et annuels officiels pour 2008 (les chiffres après le mois d'août ne sont pas officiellement connus car la RBZ renonça à suivre l'évolution des prix) :

Inflation mensuelle

Inflation annuelle

2008

Jan

121 %

100 580 %

Feb

126 %

164 900 %

Mar

281 %

417 823 %

Apr

213 %

650 599 %

May

433 %

2 233 713 %

June

839 %

11 268 759 %

July

2 600 %

231 150 889 %

Source : Reserve Bank of Zimbabwe

Concrètement, une inflation mensuelle à 2 600 % signifie que si un bien valait 1 $ le 1er juillet 2008, il en valait 27 le 31 juillet 2008. De même, une inflation annuelle à 231 150 889 % traduit le fait qu'un bien qui s'échangeait contre 1 $ en juillet 2007 s'échangeait contre 2 311 510 $ en juillet 2008. Si on fixait un Indice des Prix à la Consommation (IPC) à 100 en juillet 2001, cet IPC valait 35 500 566 912 458 (se lit : trente-cinq mille milliards cinq cents milliards cinq cent soixante-six millions neuf cent douze mille quatre cent cinquante-huit) en juillet 2008. On estime qu'en novembre 2008, les prix doublèrent toutes les 25h (le record historique ne fut battu que par la Hongrie en 1946 où les prix doublèrent toutes les 15h). Dans ces circonstances, on comprend pourquoi la Banque Centrale finit par imprimer des billets de cent mille milliards de dollars.

Les prix montaient si vite que la RBZ dévoilait des nouvelles séries de billet de manière régulière. Les coûts d'impression devinrent trop élevés et la RBZ imprima dès lors ses nouveaux billets avec un minimum d'encre et sur du papier non filigrané, comme l'illustre l'image suivante.

On remarque également sur ce billet l'existence d'une date de péremption (ici le 31 décembre 2008). En fait, G.Gono (directeur de la RBZ) craignit la thésaurisation et se fia à l'équation quantitative de la monnaie pour orienter sa politique monétaire : comme µ.V = p.Y (avec µ la quantité de monnaie en circulation, V la vitesse de circulation de la monnaie, p le niveau des prix et Y la quantité physique de biens produite) et que la hausse de µ provoque au Zimbabwe la hausse de p, la seule solution monétaire pour augmenter Y est d'accroître V (en augmentant le nombre d'échanges, on augmente la consommation et finalement la production). Il fallait donc encourager les gens à dépenser rapidement leur argent, d'où l'instauration de dates de péremption sur les billets. Mais cette politique monétaire est très contestable : l'augmentation de V peut aussi très bien influer sur p.

Alors comment le pays a pu se retrouver dans cette situation ? Comme toujours avec l'hyperinflation, les causes furent essentiellement monétaires : la RBZ mena une politique monétaire très expansionniste (multiplication des crédits au secteur privé) et n'était pas indépendante du pouvoir politique qui utilisait de manière abusive la planche à billets (guerre du Congo, hausse des salaires des fonctionnaires, soutien des prix à l'exportation...) d'où une création monétaire ex nihilo. De plus, la RBZ maintint ses taux directeurs à un niveau relativement bas au regard de l'inflation : taux moyen de prêt marginal au jour le jour de 48,23 % entre 2000 et 2003 (avant d'atteindre 975 % en 2007).

2008 - aujourd'hui : reprise économique

Dans une situation où les prix doublèrent tous les 2 jours, les Zimbabwéens finirent par abandonner leur monnaie nationale et se mirent au troc ou utilisèrent des devises, principalement le dollar US et le rand sud-africain, malgré l'interdiction du gouvernement. Dans la pratique, les prix étaient devenus stables car fixés sur une monnaie solide et il suffisait alors de convertir ses dollars zimbabwéens en dollars US au taux de change courant pour acheter un bien. Finalement, le gouvernement abandonna officiellement le dollar zimbabwéen en avril 2009 et autorisa les 2 devises précédemment citées comme monnaie d'échange. Depuis, les prix se sont stabilisés (inflation annuelle moyenne de 2,23 % entre janvier 2010 et février 2015) et la croissance est revenue. De plus, l'IDH s'est redressé (0,49 en 2013) et l'espérance de vie à la naissance a retrouvé son niveau de 1990 (58 ans).

Bien que classé en 2012 163è sur 174 par Transparency International pour son Indice de Perception de la Corruption, les progrès démocratiques du pays (constitution d’un gouvernement d’union nationale en 2009, référendum constitutionnel et organisation d'élections générales en 2013) ont conduit l’UE à assouplir ses sanctions à l'égard du Zimbabwe. Dans cette logique, les Fonds Européens de Développement ont été débloqués (234 M€ sur la période 2014-2020) avec en priorité 3 secteurs d’intervention : la santé, la sécurité alimentaire et la gouvernance.

Il est à noter que Robert Mugabe, alors âgé de 89 ans, fut une nouvelle fois élu président du Zimbabwe en juillet 2013. Il est également devenu le 30 janvier 2015 président de l'Union Africaine, organisation d'États africains dont la vision est de « bâtir une Afrique intégrée, prospère et en paix, dirigée par ses citoyens et constituant une force dynamique sur la scène mondiale »...

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Fabien Pirollo est diplômé de l'ESCP Europe avec une spécialisation en économie. Ancien chargé de mission à la Communauté d'Agglomération des Hauts-de-Bièvre, il est également le créateur du blog http://www.economx.pe.hu/ et analyste financier sur le site http://fr.investing.com

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