Longtemps perçue à travers son histoire et ses traditions, la Chine est rapidement devenue un État conquérant. Aujourd’hui, l’empire du milieu est en train de se bâtir en superpuissance sur l’échiquier international… mais par quels moyens ? Docteur en droit, Olivier de Maison Rouge nous éclaire sur la stratégie de Xi Jinping. Membre fondateur de l’École de Pensée sur la Guerre Économique, il vient de publier « Gagner la guerre économique » (VA Éditions) afin de nous apporter des réponses en vue de gagner la guerre économique dans ce monde en déglobalisation. [Extrait des pages 111-113]
Une diplomatie de fer
Alors que le langage des ambassadeurs est habituellement policé, tout en nuances, depuis peu les diplomates chinois ont montré un art consumé de la parole brutale. Ceci s’est traduit par une volte-face inattendue pour un monde codifié et peu rompu aux échanges directs.
Les diplomates chinois sont désormais surnommés les « Loups combattants », en référence à leur agressivité, qui se retrouve également dans le discours public, notamment sur Twitter. Réfutant tout argument destiné à affaiblir ou plus largement porter atteinte à la nation chinoise, ils n’hésitent pas à répliquer violemment.
Selon Alice Ekman « sous Mao, les ambassadeurs étaient recrutés sur des critères idéologiques plus que sur leur compétence. Ce qui comptait, c’était avant tout la fidélité au parti et à son secrétaire général. Deng Xiaoping a professionnalisé la diplomatie chinoise, en intégrant les codes occidentaux et en plaçant la compétence au même niveau que les critères politiques. Avec Xi Jinping, les considérations idéologiques ont à nouveau pris le dessus. » [1]
Cette attitude volontiers belliqueuse a été décidée en 2016 par le Comité de politique étrangère du PCC. Depuis lors, cette radicalité diplomatique s’est installée dans tous les réseaux d’ambassades de la Chine, montrant une arrogance déterminée de ses acteurs face à l’Occident qu’ils dénoncent ainsi ouvertement. Le budget de la diplomatie chinoise est ainsi passé de 30 milliards de Yuan en 2011 à 60 milliards en 2018.
Cette opération de transgression n’est pas exempte de contre-vérités destinées à affirmer leur propre vision stratégique, vantant le modèle chinois, et détourner les critiques dont fait souvent la Chine, notamment en matière de droits de l’homme. Cette diplomatie de combat s’est aussi retrouvée durant la crise sanitaire, faisant échec aux enquêtes internationales diligentées destinées à mettre à jour l’origine du virus Covid-19. Cette brutalité est donc une autre forme de dissimulation, après avoir longtemps usé de la langue de bois.
D’ailleurs, l’influence chinoise, traduisant une forme alternative de mondialisation à leur avantage, s’est également introduite dans les instances de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), bénéficiant du retrait américain des structures internationales sous l’ère Trump. Petit à petit, la doctrine chinoise s’insère dans les arcanes de l’ONU et de ses extensions comme la FAO.
Il faut aussi tenir compte du puissant réseau d’influence constitué par les « Instituts Confucius », qui participent autant au développement du soft power chinois qu’au recrutement de sources.
Un discours ouvertement belliqueux
Arrivé au pouvoir en 2012, après une série de purges internes du PCC, pour motifs de corruption bien souvent, Xi Jinping a depuis lors assumé un rôle prépondérant de la Chine sur la scène internationale, usant de la force emmagasinée depuis des années grâce aux efforts collectifs de l’Empire du Milieu. Ayant tracé des objectifs ambitieux (MIC 2025, OBOR cf. ci-dessus), cette puissance s’est aussi traduite par un élan patriotique.
Jugeant la rétrocession de Hongkong par les Britanniques, le Président chinois estimait le 1er juillet 2017 « le retour de Hongkong à la mère patrie a lavé un siècle d’humiliation nationale ». Cela en référence désormais à Taïwan, que la Chine continentale n’a pas renoncé à reprendre [2].
En mars 2018, il lançait que les Chinois ont le courage de livrer jusqu’à la fin des batailles sanglantes contre leurs ennemis », ce qui n’est pas un propos particulièrement pacifique. Il ajouta : « Nous avons la capacité de tenir fièrement notre rang parmi les nations. » (…) ; tout en modérant : « la Chine ne sacrifiera jamais les intérêts des autres pays pour assurer son propre développement. » [3]
Depuis lors, le président Xi Jinping a triomphalement vanté le 30 juin 2021 l’essor « irréversible » de la Chine, jadis colonisée et désormais puissance mondiale, lors d’un discours célébrant les 100 ans du Parti communiste chinois et adressé en creux à l’Occident. « Le temps où le peuple chinois pouvait être foulé aux pieds, où il souffrait et était opprimé est à jamais révolu », a-t-il lancé depuis la porte Tiananmen, d’où son lointain prédécesseur Mao Zedong proclama la République populaire en 1949 [4].
Après des références aux guerres de l’Opium, au colonialisme occidental et à l’invasion japonaise, Xi Jinping a loué le Parti communiste chinois (PCC) pour avoir permis l’augmentation du niveau de vie et restauré la fierté nationale. « Le PCC et le peuple chinois déclarent solennellement au monde ceci : le peuple chinois s’est levé », a-t-il lancé, célébrant la sortie de centaines de millions de Chinois de l’extrême pauvreté en l’espace de quelques décennies. « La grande renaissance de la nation chinoise est entrée dans un processus historique irréversible », s’est-il félicité, adressant ainsi un signal à Washington, qui décrit régulièrement Pékin comme un rival politique et économique.
Bien que n’ayant pas connu de conflit ni été expédiée sur un théâtre extérieur, l’Armée Populaire Chinoise (APL) tend à devenir une grande puissance militaire complète. Elle rivalise désormais avec l’armée américaine dont elle est devenue la rivale directe. Elle est désormais sur le pied de guerre, usant de provocations régulières en mer de Chine.
[1] Cité par LASSERRE Isabelle, « La diplomatie chinoise des loups combattants », in Le Figaro, 4 juin 2020