Justice : les écoutes “privées” ne valent rien pour les juges… en droit commercial

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Par Erwan Le Morhedec Modifié le 17 mars 2014 à 4h04

Du majordome au conseiller politique, l’écoute ou l’enregistrement connaît un regain de popularité sur laquelle il conviendrait de s’interroger, mais en d’autres lieux : ceci dit-il quelque chose de la conception de la loyauté dans notre société ?

Au-delà même de ces enregistrements ou écoutes privées, les écoutes judiciaires sont également sur toutes les lèvres, pour des raisons de politique politicienne mais également pour des raisons de politique au sens noble. Car, à travers les perquisitions menées chez des avocats et les écoutes, « par ricochet » trop appuyé, ce sont les principes de la profession et les droits de la défense qui sont mis en cause.

Qu’il soit permis dès lors de relayer ici l’inquiétude des avocats pénalistes et ce, d’autant plus que, outre la solidarité confraternelle et la préoccupation du simple citoyen, les écoutes téléphoniques concernent également le praticien du droit de la concurrence – et celui-ci entend bien ne pas se trouver sur écoutes « par ricochet » dans l’exercice de sa mission de conseil et de défense de ses clients.

Les écoutes judiciaires ne se cantonnent pas en effet aux seuls dossiers de strict droit pénal et peuvent aboutir dans une procédure de droit de la concurrence. Il en est de même des enregistrements privés. Leur sort ne sera toutefois pas le même.

Les écoutes judiciaires peuvent être versées au dossier de la procédure en concurrence

La possibilité de voir fonder une procédure en droit de la concurrence sur des écoutes téléphoniques est expressément prévue par la loi. L’article L.463-5 du Code de commerce dispose en effet que :

Les juridictions d’instruction et de jugement peuvent communiquer à l’Autorité de la concurrence, sur sa demande, les procès-verbaux rapports d’enquête ou autres pièces de l’instruction pénale ayant un lien direct avec des faits dont l’Autorité est saisie.

Il est à noter toutefois que, pour l’application de cette disposition, l’Autorité doit être préalablement saisie et faire la demande d’une telle communication, ce qui ne nécessite qu’une bonne coordination chronologique.

Un arrêt très récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 18 février 2014, vient encore souligner que cette possibilité n’est pas théorique. C’est bien sur le fondement de l’article L.462-5 du Code de commerce que la retranscription d’écoutes téléphoniques a été transmise à l’Autorité de la concurrence. Cette affaire portait sur une entente anticoncurrentielle sur le marché de la restauration des monuments historiques. Classiquement, il s’agissait d’un cas d’échanges entre des entreprises concurrentes soumissionnant à un appel d’offres.

Or, cette affaire a trouvé son origine dans une procédure pénale provoquée par la découverte d’une « anomalie » dans une procédure d’appel d’offres. Cette procédure a donné lieu à des écoutes téléphoniques et à des perquisitions. Le résultat de ces procédures a ensuite été directement transmis à l’Autorité de la concurrence.

La Cour de cassation retient ainsi clairement " la retranscription de deux séries d’écoutes téléphoniques portant sur des conversations intervenues entre le dirigeant de la société P. et celui de la société L. au nombre des moyens de preuve de l’entente."

Qu’en est-il des écoutes privées et enregistrements, menés par un concurrent, qui enregistrerait une conversation téléphonique ou, comme l’actualité politique l’a illustré, un rendez-vous de travail ?


L’ "écoute" privée reste un moyen de preuve déloyal, et doit être écartée comme tel

A cet égard, la jurisprudence a été chahutée, et une affaire Philips a fourni, sinon l’appareillage du moins un feuilleton judiciaire en la matière, mettant en cause des principes procéduraux essentiels.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 19 juin 2007, avait déjà accordé foi aux enregistrements de conversations téléphoniques réalisés à l’insu des interlocuteurs*.

L’arrêt ayant été cassé par une décision intervenue en 2008, la Cour d’appel a résisté à la Cour de cassation et, dans un arrêt du 29 avril 2009 (Philips France), de nouveau validé le recours à des enregistrements téléphoniques par une personne privée.

La Cour d’appel de Paris a jugé que « les dispositions du code de procédure civile ne s’appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence« . Mieux encore, elle a également considéré qu’en l’absence d’une règlementation spécifique de la preuve en droit communautaire, les ententes et abus de position dominante peuvent être établis par tout moyen. L’un de ses considérant ne manquait d’ailleurs pas de saveur puisque la Cour reconnaissait le caractère « insidieux » du procédé mais refusait d’écarter les enregistrements


La Cour de cassation, en Assemblée plénière, dans un arrêt du 7 janvier 2011, a de nouveau cassé cet arrêt, prenant l’exact pied opposé de la Cour d’appel en jugeant que :

« sauf disposition expresse contraire du code de commerce, les règles du code de procédure civile s’appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l’Autorité de la concurrence ; que l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve«

Elle s’est d’ailleurs faite tout aussi solennelle dans le communiqué qu’elle a diffusé à cette occasion, et quelque peu abrupte à l’égard de la Cour d’appel, qui semblait avoir pris en considération les buts poursuivis par le droit de la concurrence pour justifier le non-respect des principes de procédure civile.

En statuant ainsi, la plus haute formation de la Cour de cassation marque son attachement au principe de la loyauté, qui participe pleinement à la réalisation du droit fondamental de toute partie à un procès équitable et s’applique en tout domaine, y compris en droit de la concurrence. Si les enjeux économiques ne doivent pas être ignorés du juge, ils ne peuvent cependant le détourner de l’obligation de statuer suivant les principes fondamentaux qui fondent la légitimité de son action.

Sur ce nouveau renvoi, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 16 février 2012, a baissé pavillon et a tout aussi solennellement réaffirmé « qu’aucune atteinte ne devant être portée à l’autorité de la justice et au respect qui lui est dû, celle-ci ne saurait être rendue sur le fondement d’une preuve illicite« . Elle a toutefois refusé d’estimer, malgré cette solennité, que l’ensemble de la procédure était irrémédiablement viciée et s’est bornée à en expurger les éléments liés aux enregistrements. Elle a, ensuite, renvoyé l’affaire à l’instruction devant l’Autorité de la concurrence.

Il ne convient pas d’allonger davantage le présent billet. Toutefois, il sera précisé que, dans le cadre des procédures de concurrence déloyale, ce sont également les principes de la procédure civile qui doivent trouver à s’appliquer, et donc le rejet des moyens de preuve obtenus de manière déloyale.

En ce qui concerne les évènements à l’origine du présent billet, il reste aux avocats, dans une matière fortement liée au droit pénal (rappelons qu’un dirigeant qui prend une part personnelle et déterminante dans une pratique anticoncurrentielle peut être sanctionné pénalement), à tenir compte du risque d’écoutes judiciaires même s’il reste relativement théorique, et à prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir à leurs clients toute la confidentialité à laquelle ils ont droit.

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Erwan Le Morhedec est avocat au barreau de Paris et fondateur du cabinet LM-a

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