Vers un revirement de la jurisprudence Google Adwords ?

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Par Antoine Chéron Publié le 29 février 2016 à 5h00
Justice France Internet Google Adwords
@shutter - © Economie Matin
60 000 eurosLa contrefaçon de marque est punie de 60 000 euros de dommages-intérêts.

Les acteurs de l’économie numérique ont très vite compris que le choix d’une marque pertinente était un critère décisif de la compétitivité et de la performance de leur site e-commerce. La course à la créativité est donc lancée afin de disposer d’un nom de marque ou de domaine qui soit à la fois original et captif de l’attention du client internaute. Les enjeux commerciaux y sont importants si l’on considère, comme il est souvent prédit dans la presse économique, que le commerce électronique supplantera à terme les ventes traditionnelles.

Le fait de disposer d’une marque captivante peut offrir une garantie de réussite commerciale sur Internet mais encore faut-il que la validité de son titre soit indiscutable et qu’un dispositif de vigilance a été mise en place, avec l’aide d’un conseil en propriété industrielle le plus souvent, pour s’assurer que son titre ne fait pas l’objet d’acte de contrefaçon. Le risque de contrefaçon de sa marque est réel sur Internet puisque le contentieux ne cesse de s’intensifier notamment depuis l’existence de certaines fonctionnalités publicitaires proposées par les moteurs de recherche, dont le très contesté achat de mots-clés.

C’est pour illustrer cette forme de contrefaçon à la marque sur Internet que nous faisons ici retour sur une décision récente du Tribunal d’Instance de Paris qui a eu notamment à connaître de l’hypothèse d’une atteinte à la marque verbale d’autrui par reproduction de celle-ci dans l’adresse URL du site du concurrent (TGI de Paris 29 janvier 2016, Sarl Un Amour de Tapis v/ WW E-Services France).

Les circonstances de l’affaire jugée

En l’espèce, la Sarl Un Amour de tapis-tapis pas cher est titulaire des marques enregistrées verbales et semi-figuratives « Un Amour de Tapis ». Elle commercialise des tapis à travers son site Internet à l’adresse www.unamourdetapis.com. En 2013 elle autorise la société WW E Services qui exploite le site Westwing.com, réputé pour ses ventes de produits de décoration intérieure et spécialement de tapis, à organiser sur Internet et pendant quatre jours une vente privée de tapis portant la marque Un Amour de Tapis.

La Sarl un Amour de Tapis s’est toutefois rendue compte que la société WW E Services avait quelques mois plus tard et sans autorisation, organisé une deuxième vente privée de tapis sous le signe « un amour de tapis » à l’adresse URL https://www.westwing.fr/un-amour-de-tapis-choisissez-votreclassique/.

Considérant que ces agissements étaient constitutifs d’actes de contrefaçon de marque, de concurrence déloyale et de parasitisme, la Sarl Un Amour de Tapis assigna le site WW E-Services devant le TGI de Paris. Elle demande au tribunal sur le fondement des articles L713-2 et suivants du CPI et 1382 du Code civil de condamner son adversaire à lui verser environ 60.000 euros de dommages-intérêts.

Nous nous arrêterons ici essentiellement sur l’action en contrefaçon de marque et la contrefaçon rappelons-le constitue selon l’article L716-1 du CPI une atteinte aux droits du propriétaire de la marque et engage la responsabilité civile de l’auteur de l’acte.

Les arguments avancés par la victime des actes de contrefaçon

La Sarl Un Amour de Tapis soutient préalablement que conformément à l’article L711-2 du CPI sa marque verbale « Un Amour de Tapis » enregistrée à l’INPI en classe 27 est distinctive et non descriptive du produit tapis puisqu’elle renvoie à une passion ou à un fantasme. Le mot « amour » qui est placé en attaque de l’ensemble « Un Amour de Tapis », n’est ainsi pas employé pour désigner des tapis et les autres produits de la classe 27.

S’agissant plus spécialement des actes de contrefaçon de sa marque par reproduction à l’identique et par imitation, la Sarl Un Amour de Tapis faisait constater par procès-verbal que le site Westwing.fr sur lequel se déroulait la vente en ligne comportait une adresse URL ainsi formulée : https://www.westwing.fr/un-amour-de-tapis-choisissez-votreclassique/. Sa marque est également reproduite dans le contenu de la page accessible à cette adresse, dans son code source et ses balises meta.

Le Sarl reproche en outre à WW E-Services d’avoir réservé auprès du moteur de recherche Bing le mot clé « unamourdetapis », reproduisant ainsi la marque dans l’annonce publicitaire diffusée par ce moteur de recherche ainsi que dans le nom de domaine de la page de renvoi. Ces reproductions à l’identique et par imitation de sa marque génèrent selon la Sarl un risque de confusion chez le consommateur en ne lui permettant plus d’individualiser les produits de la Sarl Un Amour de Tapis.

Les arguments opposés par le contrefacteur

Pour sa défense la société WW E-Services prétend à l’irrecevabilité de l’action en contrefaçon. Elle soutient classiquement que la marque « un amour de tapis » n’est pas valable faute de distinctivité. Cette marque serait constituée de l’adjonction de deux termes usuels français « amour » et « tapis » et serait évocatrice des produits « tapis ». En conséquence les mots de la marque « un amour de tapis » seraient banals, même dans leur association, empêchant ainsi de conférer à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu'il a désignés, ici les tapis.

La société WW E-Services soutient subsidiairement qu’elle n’a pas reproduit à l’identique la marque « un amour de tapis » dans l’adresse URL figurant sur son site, qu’au contraire, certaines différences signifiantes comme les tirets entre chaque mot (www.westwing.fr/un-amour-de-tapis-choisissez-votreclassique), permettent de faire la distinction avec la marque reprise. Elle prétend également que si elle a repris la marque considérée c’est sous forme de simple titre, pour servir d’annonce à la vente en ligne et non à titre de marque.

S’agissant de l’imputation relative à l’achat du mot clé «unamourdetapis » auprès de Bing, la société WW E-Services oppose « qu’elle ne peut être tenue pour responsable des outils automatiques de recherche des moteurs de recherche qui utilisent leur propre algorithme ». Elle ajoute enfin que la présence du signe « un amour de tapis » dans son code source ne peut constituer une contrefaçon de marque dans la mesure où il n’est pas visible et accessible à l’internaute.

Pour quelles raisons la marque « un amour de tapis » est jugée valable par le tribunal ? Le tribunal rappelle en premier lieu qu’en présence d’une marque verbale composée de plusieurs termes, il convient d’en apprécier la validité, au regard des articles L711-2 et suivants du CPI, de manière globale et non pas au regard de ses éléments pris isolément. Les juges vont alors retenir que si le terme « tapis » contenu dans la marque est descriptif des produits considérés, il y a lieu en revanche de considérer que son association avec les termes « un amour de » enlève à l’ensemble son caractère descriptif, car ces termes ne sont pas habituellement employés et associés ensemble pour désigner des tapis.

Pour le tribunal le signe « un amour de tapis » présente ainsi un caractère parfaitement arbitraire par rapport aux produits désignés, ici les tapis, caractère arbitraire grâce auquel le public pertinent pourra identifier l’origine des produits et les distinguer de ceux des autres fournisseurs. Plusieurs décisions du TGI de Paris ont déjà statué en ce sens et notamment celle relative à la marque Emailing France qui a été jugée valable du fait de l’ajout du mot France à celui d’emailing, mot générique à lui seul (TGI de Paris 24 mars 2009 SNDC et autres / Ludopia Interactive, Impact Net).

C’est donc une décision très satisfaisante pour la Sarl « Un Amour de Tapis » qui voit confirmer son titre et qui peut désormais prétendre à une protection par le droit de la propriété industrielle.

Pourquoi en l’espèce la contrefaçon de marque est-elle caractérisée ?

La question se posait au tribunal de savoir si l’adresse URL www.westwing.fr/un-amour-de-tapis-choisissez-votreclassique/ était ou non constitutive d’une contrefaçon à la marque « un amour de tapis » ? Du point de vue de la société WW E Services il n’y a pas de reproduction à l’identique de la marque puisqu’il existe des modifications signifiantes consistant en des rajouts de tirets entre les mots.

Or pour le tribunal au contraire la marque est clairement et entièrement reproduite à l’identique et les tirets entre les mots constituent des différentes insignifiantes. Il s’agit donc en l’espèce d’une reproduction servile de la marque d’autrui et dans ce cas selon le tribunal, point n’est besoin d’apporter la preuve d’un quelconque risque de confusion dans l’esprit du consommateur. La difficulté est souvent grande pour le juge à caractériser l’atteinte à la marque et notamment lorsque la contrefaçon porte sur des détails qui peuvent passer inaperçus auprès du consommateur. L’appréciation est subjective et le juge prend en considération l’impression d’ensemble qui peut se dégager de la reprise de la marque pour décider s’il y a ou non risque de confusion.

La CJUE a fixé en la matière certaines règles à suivre : la comparaison entre les signes doit reposer sur une appréciation globale et doit se baser sur une impression d’ensemble produite par les marques (CJCE 22 juin 1999, Llyod, Aff. C-342/97). Dans le domaine du numérique, le juge s’attachera avant tout à comparer la similitude visuelle des signes et cela plus particulièrement lorsqu’une marque a été reprise dans un nom de domaine. Ainsi, a été retenue une contrefaçon de marque à propos de la reprise du signe Monoprix par le signe Motoprix.com (CA de Versailles 20 oct. 2011, Propriété intellectuelle 2012 n°42 P.77). La Cour de cassation rappelle également que l’ajout d’un TLD à une marque ne permet pas de faire la distinction entre le nom de domaine et la marque : il n’est pas possible d’enregistrer le nom de domaine lezard-graphique.com car il existe déjà la marque verbale Lézard graphique (Ch. commerciale, 25 mars 2014 n°13-13690).

Dans la présente affaire la société WW E Services soutenait n’avoir utilisé la marque « un amour de tapis » dans son adresse URL que pour servir de titre à sa vente en ligne et non pas à titre de marque. Cet argument aurait pu prospérer car effectivement, selon la jurisprudence Arsenal de la CJCE, la contrefaçon ne peut être caractérisée que si l’usage de la marque par le supposé contrefacteur l’a été à titre de marque CJCE Arsenal 12 nov. 2002 Aff. C206/01. Or en l’espèce, dans la mesure où c’est précédée de l’indication www.westwing.fr, qu’apparaît la marque « un amour de tapis », on pouvait légitimement s’interroger sur cet usage de la marque : à titre d’annonce de la vente en ligne ou à titre de marque ? Mais le TGI relève à cet égard que s’agissant d’annoncer une vente de tapis, le site Westwing.fr aurait pu se contenter simplement d’indiquer dans l’URL de son adresse « vente de tapis ». Pour le tribunal, la reprise à l’identique de la marque ne faisait pas de doute et la preuve en est qu’il n’était pas même nécessaire « de qualifier un quelconque risque de confusion ».

En ce qui concerne la reprise de la marque dans le code source de la page web du site Westwing.fr, le tribunal n’y voit pas un usage contrefaisant de la marque. En effet, le signe n’est pas utilisé dans le code source pour désigner des produits et services et surtout il reste invisible et inaccessible à l’internaute. Enfin, l’achat du mot clé « unamourdetapis » auprès de Bing est de nature à favoriser la confusion dans l’esprit de l’internaute puisqu’en cliquant sur le lien, ce dernier est automatiquement redirigé sur le site concurrent et non pas sur celui de la Sarl « Un Amour de Tapis ». Le risque étant celui d’attribuer une origine commune aux produits et services concernés. La Sarl Un Amour de Tapis n’obtiendra pas gain de cause sur le terrain de l’action en concurrence déloyale et du parasitisme et se contentera d’une indemnisation de 8000.00 euros en réparation de son préjudice patrimonial résultant de l’atteinte à sa marque.

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Antoine Chéron est avocat spécialisé en propriété intellectuelle et NTIC.

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