Vendredi 13 mars 2020
J'ai reçu hier mon ordre de mobilisation. C'était un coup de fi l d'un cadre de la Caisse de Tourcoing. Le ton était grave : « Docteur, je vous appelle, car vous devez vous préparer. Dans l'Est, les généralistes sont submergés de patients qui décompensent. Le coronavirus a écrasé toutes les autres pathologies. Ce sera à votre tour dans la semaine qui vient. Il faut que vous vous prépariez à doubler ou tripler votre capacité de consultation, essentiellement des patients atteints de ce coronavirus. Préparez-vous, docteur. Pour la facturation, allez-y, on suivra. Pour les téléconsultations, faites comme vous voulez : WhatsApp, Messenger, Skype, on prend tout. Bonne chance, car on va avoir encore plus besoin de vous. »
Années de formation
Pourquoi ai-je choisi de faire médecine ? Avant le bac, ça n'était pas très clair pour moi. J'hésitais entre une école d'ingénieur, une école de commerce ou médecine. En terminale, j'ai finalement choisi médecine. Dans ma famille, je suis la cinquième génération de médecins. C'est un honneur, au sens latin : une lourde responsabilité, mais aussi une source de fierté et un appui pour mieux faire. Mon père ne m'a jamais poussé à entreprendre ces études. Pour lui, la médecine n'était pas une charge que l'on transmet à ses enfants, mais un engagement personnel et sincère. Pourtant, cette transmission familiale trône symboliquement dans mon bureau : j'ai hérité d'un bâton d'Esculape en bronze, le fameux serpent enroulé autour d'une canne, sans valeur autre que sentimentale. Ce sceptre païen répond au grand crucifix en biscuit récupéré par mon père dans la poubelle d'un cimetière. Je travaille donc sous bonne garde : le Christ en face de moi et Esculape dans le dos.
J'ai fait ma première année à la faculté de médecine d'État de Lille. N'ayant pas pris le concours assez au sérieux, j'ai échoué. J'ai donc bachoté l'année suivante et, cette fois-ci, je l'ai réussi. Pendant les premières années, je ne me suis pas vraiment senti dans mon élément, car on n'y est pas encore au contact du patient. L'externat ne m'a pas passionné, l'externe n'étant que la petite main des internes, sans responsabilité ni réel engagement.
Tout a changé quand je suis passé interne, quand j'ai commencé à soigner, en étant responsable de la vie des patients. C'est devenu une sorte de drogue. Je me rappelle très bien, lors de mes premières gardes, la satisfaction d'avoir pris en charge un patient, de lui avoir sauvé la vie, ou d'avoir simplement trouvé les mots qui soignent et qui rassurent. C'est à ce moment-là que j'ai vraiment pris conscience du sens de mon métier.
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