Dans une période riche en soupçons de corruption au sein des plus hautes sphères sportives mondiales, les regards inquisiteurs se portent aujourd'hui sur les méthodes employées par Tokyo pour remporter l'organisation des Jeux olympiques de 2020. Des soupçons de corruptions qui démontrent que, même si le lobbying est de plus en plus accepté comme faisant partie du jeu, il n'en reste pas moins toujours entaché de certains fantasmes.
Les Jeux Olympiques (JO) de Rio n'ont pas encore débuté. Pourtant, ceux de Tokyo, en 2020, sont déjà sous le feu des projecteurs, et particulièrement sous ceux de la justice française. Le parquet national financier (PNF) a, à la suite d'un article du Guardian anglais, ouvert une information judiciaire pour « des chefs de corruption active, corruption passive, blanchiment aggravé, recel commis en bande organisée et participation à une association de malfaiteurs » et pour déterminer les conditions dans lesquelles les Jeux ont été attribués à la capitale japonaise. Il est reproché à la candidature tokyoïte d'avoir versé l'équivalent d'1,8 million d'euros à une société de lobbying basée à Singapour, du nom de Black Tidings.
Des mouvements de fonds que ne conteste aucunement Tsunekazu Takeda, le président du Comité olympique japonais. Problème pour les enquêteurs français, Black Tidings appartient à Papa Massata Diack, l'un des fils de Lamine Diack, qui fût membre du Comité international olympique de 1999 à 2013. Alors que la candidature japonaise a raflé la mise le 7 septembre 2013 face à Istanbul, ces virements nourrissent le soupçon. Et il ne faut peut-être pas voir un hasard dans le fait que la procédure à l'encontre de cette attribution ait été lancée en France, pays au sein duquel le mot « lobbying » est encore souvent un gros mot.
Le lobbying, un atout incontournable pour les villes candidates
Tout le monde se rappelle de la tragicomédie jouée à Singapour, en juillet 2005, lors de l'attribution des JO 2012 à Londres, au détriment de Paris. Si le maire parisien d'alors, Bertrand Delanoë, ne s'était pas privé d'accuser ses adversaires de fraude, cet énième échec a surtout révélé les carences françaises en matière de lobbying. Au lieu de dénoncer, à l'instar du président de la région Ile-de-France de l'époque, Jean-Paul Huchon, un « lobbying anglais (…) efficace, mais à la limite du correct », le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) semble avoir appris de ses erreurs passées et ravalé au rang de souvenir la traditionnelle défiance française vis-à-vis du lobbying.
Pour porter sa candidature aux JO de 2024, Paris s'est adjoint les services de l'ancien rugbyman Bernard Lapasset. Pour celui qui fût président de la fédération française de rugby de 1991 à 2004, puis de la fédération internationale du même sport à deux reprises, « un par un, il faut voir quelles sont les préoccupations des membres du CIO ». Pour mettre toutes les chances du côté de Paris, donc, exit les faux-semblants, place à un lobbying décomplexé, à l’anglo-saxonne. C'est d'ailleurs outre-Manche que Bernard Lapasset est allé chercher un cabinet de lobbying pour porter les couleurs de la capitale française à la pré-candidature.
A la tête du cabinet Vero, le spécialiste londonien du lobbying sportif, Mike Lee, a un palmarès qui parle pour lui : JO de Londres en 2012 et Rio en 2016, Coupe du monde au Qatar en 2022... Porter son dévolu sur l'artisan même de la défaite de Paris en 2005 pour la faire gagner en 2024, voilà qui révèle mieux que de grands discours le changement de pied français sur la question du lobbying. Pour Mike Lee, « le but est d'aider à l'élaboration d'une stratégie de campagne et à la communication à l'international ». Une stratégie de lobbying, même si le londonien réfute le terme, qui est désormais incontournable pour espérer attirer l'attention des plus hautes instances sportives mondiales sur la candidature d'une ville.
Tokyo mérite ses JO
Si même la vertu française s'est, sur le tard, convertie aux nécessités du lobbying, pourquoi alors reprocher à la candidature japonaise d'avoir confié les mêmes missions à un cabinet singapourien ? L'enquête débutée en France jette le doute sur les conditions d’attribution de Tokyo 2020, qui avait pourtant remporté la manche haut la main face à Istanbul, avec 60 voix contre 36. Elle passe sous silence l'extraordinaire ferveur populaire qui a permis au Japon de gagner ses jeux, après l'échec de la candidature de Tokyo aux JO de 2016 et, surtout, après le terrible accident de Fukushima et le tsunami de 2011. Face à une Espagne empêtrée dans la crise et à une Turquie menacée par la guerre en Syrie, la candidature de Tokyo a évoqué « la tradition et la stabilité », selon le président du CIO Thomas Bach. « Les Jeux ont été accordés à Tokyo parce que cette ville présentait la meilleure candidature », se défend donc le Comité d'organisation japonais.
Le lobbyiste Mike Lee ne dit pas autre chose, à propos de la candidature de Paris 2024 : « la clé, pour une candidature, c'est seulement d'avoir un projet solide et une bonne équipe. Personne ne fait la différence tout seul ». Une philosophie qui a imprégné la candidature japonaise, pour laquelle se sont mobilisés tant les milieux du sport que ceux des affaires et l'Etat. Une unité nationale qui a permis de convaincre les membres du CIO que les Jeux de Tokyo 2020 « sont entre de bonnes mains », l'antienne qui a mené la délégation japonaise à la victoire.