Les méga-évenements sportifs sont-ils réellement rentables ?

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Par Captain Economics Modifié le 16 mai 2013 à 7h48

Jeux Olympiques, Coupe du Monde, Super Bowl, All Star Games ... Lorsqu'un pays ou une ville se voit attribuer la réception d'un méga-événement sportif, les organisateurs s'imaginent déjà les nombreuses retombées économiques positives et se frottent les mains. Arrivée massive de touristes, recettes de billetterie, boom pour l'hôtellerie et les restaurants, effet multiplicateur, hausse de l'emploi par la construction d'infrastructures ... il est vrai que le tableau des retombées positives, celui que les organisateurs et promoteurs peignent avec talent, semble plutôt ensoleillé avec plein de billets flottant dans le ciel ! Mais entre les prévisions ex-ante (avant) des organisateurs et les retombées réelles ex-post (après) pour l'économie d'une ville ou d'un pays, il y a malheureusement un sacré décalage.

Afin d'estimer les retombées positives mais aussi les effets négatifs des méga-évènements sur l'économie d'un pays, d'une région ou d'une ville, le Captain' s'appuie sur une étude très complète publiée en 2006 par Victor A. Matheson (source : "Mega-Events: The effect of the world’s biggest sporting events on local, regional, and national economies" - Association des Economistes du Sport). Cette étude donne un aperçu intéressant de la littérature existante sur ce sujet et des différentes études empiriques sérieuses réalisées par des économistes sur les retombées économiques des grands évènements sportifs.

Partons donc sur un premier exemple pour tenter d'expliquer le décalage entre les prévisions mirobolantes de départ (ex-ante) et la plus triste réalité économique (ex-post). Chaque année, une ville "heureuse élue" à la joie d'accueillir le SuperBowl (grande finale de football américain), l'évènement sportif le plus regardé aux Etats-Unis. Selon la National Football League (NFL) et le Sport Management Research Institute (SMRI), les retombées économiques pour une ville de la réception de la finale du SuperBowl sont d'environ 400 millions de dollars (source : "Super Bowl or Super (Hyper)Bole? Assessing the Economic Impact of America's Premier Sports Event" - Matheson & Baade). Mais selon l'étude précédemment citée et réalisée sur un échantillon de toutes les finales du SuperBowl entre 1970 et 2001, l'impact réel pour l'économie n'est que d'un quart celui annoncé par les promoteurs (environ 100 millions de dollars).

La technique la plus simple pour avoir à la louche une estimation de l'impact économique d'un mega-event est d'estimer le nombre de visiteurs que l'évènement devrait attirer, de prévoir le nombre de jours moyen de séjour et le budget quotidien moyen des visiteurs, et de calculer ainsi l'effet direct de l'évènement. Ensuite, via le fameux effet multiplicateur (par exemple, le restaurateur ayant vu une hausse de l'affluence de son restaurant va par la suite dépenser une partie de son surplus d'argent dans d'autres business de la ville et donc créer une seconde vague d'activité), il est possible de prévoir, toujours avec une belle grosse louche, l'impact indirect sur le reste de l'économie.

"A typical predictive, or ex ante, economic impact study of the type used by event promoters estimates the number of visitors an event is expected to draw, the number of days each spectator is expected to stay, and the amount each visitor will spend each day. Combining these figures, an estimate of the “direct economic impact” is obtained. This direct impact is then subjected to a multiplier, usually around two, to account for the initial round of spending recirculating through the economy. This additional spending is known as “indirect economic impact.” Thus, the total economic impact is double the size of the initial spending." Victor A. Matheson

Mais à force de faire des calculs avec des louches géantes, on termine forcément par faire de nombreuses erreurs... Il existe en effet trois effets qui doivent être pris en compte pour bien mesurer l'effet net sur l'économie (1) l'effet de substitution, (2) l'effet d'éviction et (3) l'effet de fuite. L'effet de substitution a pour but de prendre en compte le fait que si un résident de la ville dépense de l'argent pour assister au match, alors la dépense supplémentaire n'est pas faite avec de l'argent nouveau pour l'économie locale, et se fera donc sûrement aux détriments d'autres dépenses habituelles (cinéma, loisirs...), avec donc un impact net quasi-nul. L'effet d'éviction a pour objectif de corriger le fait qu'un évènement sportif entraîne il est vrai un nombre important de visiteurs venant spécialement pour l'occasion, mais tend aussi à faire diminuer le nombre de visiteurs qui seraient venu si l'évènement n'avait pas eu lieu et qui ont changé de destination pour éviter le "bordel" lié au méga-évènement (hôtels pleins, hausse des prix, embouteillage, présence de "supporters" avec des battes de baseball au Trocadéro...). Dernier effet à prendre en compte, l'effet de fuite des retombées économiques ; la hausse du revenu direct pour les détenteurs de capitaux (hôteliers, constructeurs, promoteurs...) n'est pas forcément réinvestie dans l'économie locale, et donc entraîne une potentielle sur-estimation de l'effet multiplicateur par rapport à une situation classique.

Par exemple, si l'on s'intéresse à la Coupe du Monde 2002 en Corée, il y a bien évidemment eu afflux massif de fan de football en direction du pays du Matin calme. Et c'est ce chiffre que regardent les organisateurs, qui affichent fièrement cela et se base dessus pour montrer l'impact positif pour l'économie. Mais si l'on regarde la situation avec un peu plus de recul, le nombre total de visiteurs étrangers en Corée du Sud n'a pas augmenté si l'on compare la période de la Coupe du monde 2002 avec la même période en 2001 ! Comment expliquer cela ? Il y a eu il est vrai une forte hausse du nombre de touriste européen en 2002 (effet Coupe du Monde), mais par contre les touristes "classiques" et "business" japonais ont préféré changer de destination pour éviter le foutoir lié à la Coupe du Monde en 2002.

Autre idée fallacieuse ; la construction de grands stades et d'infrastructures permet de booster l'emploi et l'économie d'un pays. Il faut bien comprendre que ces dépenses, bien qu'elles contiennent un effet keynesien possible, demeure des dépenses et donc ne peuvent être financées que de trois manières (1) par la hausse du déficit public, (2) par la hausse des impôts ou (3) par une diminution d'autres dépenses publiques. Il faut donc absolument prendre tout cela en compte : la construction d'infrastructure pour accueillir un évènement n'est réellement bénéfique que si cela représente la meilleure alternative de dépense publique pour un gouvernement. Il est faux de conclure que la construction d'un grand stade a permis de relancer l'économie et l'emploi, si ce même argent aurait pu être utilisé ailleurs pour construire un hôpital ou des écoles qui auraient amené davantage de retombées positives pour l'économie locale (en économie, on mesure alors de coût d'opportunité), ou bien sans prendre en compte le fait que cela soit financé par une hausse de taxe avec donc un impact négatif sur la consommation.

Ajoutons à cela les dépenses supplémentaires en sécurité, les constructions inutiles à la fin de l'évènement (stade immense mais vide, réseaux de transport vers des sites olympiques n'étant plus utilisé après les JO...), un peu de vandalisme et de dégradation environnementale, et on commence à comprendre pourquoi Mario Monti, lorsqu'il était au pouvoir en Italie, a annoncé que Rome retirait sa candidature pour les JO de 2020 car cela était "trop risqué et que le gouvernement ne se sentait pas en mesure de fournir des garanties financières vue la situation économique du pays".

En reprenant une dizaine d'étude empirique, V. Matheson montre que dans l'ensemble, l'effet net sur l'économie d'un méga-évènement est négligeable en moyenne, que ce soit au niveau de l'emploi ou du revenu. Les résultats des différents études citées ne vont pas tous dans le même sens et dépendent bien évidemment du modèle choisi, des hypothèses retenues, du type d'évènement, des caractéristiques de la ville hôte (besoin ou non de nombreuses nouvelles infrastructures, capacité d'accueil de la ville, prise en compte des effets intangibles avec par exemple l'amélioration de la réputation d'un pays...). Mais dans l'immense majorité, les résultats des études empiriques sont bien loin du rêve vendu par les promoteurs et les organisateurs, qui ont tendance à ne regarder que le bon côté des choses et le court-terme !

"While sports boosters routinely claim large benefits from hosting mega-events, the overwhelming majority of independent academic studies of these events have shown that their economic impact appears to be limited. While the gross impact of these huge games and tournaments is undoubted large, attracting tens or hundreds of thousands of live spectators as well as television audiences that can reach the billions, the net impact of mega-events on real economic variables such as taxable sales, employment, personal income, and per capita personal income in host cities is negligible."

Conclusion : Ah vraiment tous des rabat-joie ces économistes ! Samedi 25 mai, l'Angleterre aura le plaisir de confronter la théorie à la pratique en recevant la finale de la ligue des champions à Wembley. 90.000 allemands à Londres, cela fera au moins plaisir aux gérants de pub anglais...

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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