C’est la fin du jeu de dupe chez Engie. Gérard Mestrallet quittant la scène au mois de mai 2018, Isabelle Kocher pensait enfin avoir les coudées franches pour piloter l’entreprise. L’Etat actionnaire de référence avec 24,1% du capital, en a décidé autrement. La directrice générale devra composer avec un nouveau président en la personne de Jean-Pierre Clamadieu, PDG du groupe Solvay.
Une nomination menée au pas de charge
La présidence semblait promise à Isabelle Kocher jusqu’au début du mois de décembre lorsque Bruno Le Maire lui annonça la décision de l’Etat de maintenir la séparation des fonctions de président et de directeur général. Rapidement validée en Conseil d’Administration (CA) du groupe le 13 décembre, cette orientation fut votée à l’unanimité le 2 février. Onze jours plus tard, le 13 février, le CA entérinait la nomination de Jean-Pierre Clamadieu.
Pour Isabelle Kocher, c’est indéniablement un échec. Des relations compliquées avec Emmanuel Macron mais surtout une gouvernance à couteaux tirés avec Gérard Mestrallet durant près de deux ans auront eu raison de sa pugnacité légendaire.
La CGT n'est pas convaincue
Si l’heure est désormais à l’apaisement entre les principaux acteurs, seule la CGT fait entendre une voix discordante et ne se gêne pas pour critiquer la méthode du gouvernement.
Eric Buttazzoni, coordinateur central de la CGT chez Engie explique ainsi que le nom du futur président a été imposé aux membres du Conseil d’Administration sans aucune consultation préalable : « bien entendu, des rumeurs insistantes circulaient depuis fin janvier sur Jean-Pierre Clamadieu et de son côté l’Etat ne faisait plus mystère de son choix. Malgré cela chez Engie, avant le CA du 13 février seuls les membres du Comité des Nominations étaient officiellement au courant. Le Conseil d’Administration a simplement voté comme on lui demandait de le faire ».
Raison pour laquelle la CGT s’est abstenue lors du vote et a obligé la direction à modifier son communiqué de presse qui indiquait initialement que le Conseil d’Administration avait voté à l’unanimité pour la candidature de Jean-Pierre Clamadieu.
Eric Buttazzoni précise que « le syndicat a refusé de voter car nous ne savons rien sur M. Clamadieu. On ne sait pas ce qu’il pense, ni ce qu’il veut faire en terme de stratégie. On nous annonce le nom et il faut voter, accepter le choix de l’Etat sans aucun débat. Nous ne sommes pas d’accord ; nous considérons que les conditions de cette nomination sont opaques ».
Dans cette affaire, la CGT fait cavalier seul au niveau des partenaires sociaux. Le coordinateur CGC-CFE d’Engie, Hamid Ait Ghezala, explique ainsi que « ne pas entériner la nomination n’était pas une option. Nous ne souhaitions pas entrer dans une logique de crise de gouvernance. Nous n’avons pas information particulière sur Jean-Pierre Clamadieu, ni sur sa vision pour Engie mais son profil de grand patron d’industrie plaide plutôt en sa faveur. Nous nous prononcerons après l’avoir rencontré et échangé avec lui sur sa vision. »
Au-delà de le controverse sur Jean-Pierre Clamadieu, la position de la CGT reflète surtout une opposition de plus en plus frontale entre le syndicat et l’Etat, le principal point d’achoppement étant la baisse programmée de la présence de l’Etat au sein du capital d’Engie synonyme pour le syndicat d’abandon des obligations de service public du groupe.
Selon Eric Buttazzoni, « ce qui est surprenant est de voir l’Etat actionnaire qui affiche depuis des mois son intention de sortir du capital d’Engie continuer à faire la pluie et le beau temps au sein du groupe. C’est très contradictoire ». Et le leader syndical d’enfoncer le clou : « on parle beaucoup d’indépendance du CA, de nouvelle gouvernance mais dans les faits notre Conseil d’Administration fait exactement ce que l’Etat lui dit de faire ».
Les relais de croissance au coeur du débat
Ces critiques contre l’actionnaire de référence feraient presque oublier que le syndicat n’a pas non plus été tendre avec Isabelle Kocher ces derniers temps. Depuis des mois, la CGT étrille sa politique de vente d’actifs et ne cesse d’alerter sur l’absence de visibilité concernant les relais de croissance du groupe.
Un sujet qui semble être aussi une préoccupation du futur président. Dans une interview sur BFM Business le 14 février, Jean-Pierre Clamadieu prenait soin de louer la politique de cessions d’Isabelle Kocher mais déclarait tout de même: « je vois beaucoup de cohérence dans la phase de désinvestissement avec la volonté de se concentrer sur les renouvelables et les services ... l’enjeu maintenant c’est le développement du groupe... c'est d'être certain qu'on a la bonne stratégie pour les années à venir dans un monde qui est vraiment compliqué; c'est les relais de croissance, l'équilibre entre croissance interne et croissance externe ».
Un discours qui sonne presque comme une mise en garde. Le futur président n’a pas l’intention de rester en retrait notamment dans la perspective d’une opération de croissance externe stratégique.
Quid du tandem Kocher Clamadieu ?
Pour autant, Jean-Pierre Clamadieu expliquait également durant son interview que sa première préoccupation était de former un « duo efficace » avec Isabelle Kocher afin de retrouver au plus vite une gouvernance « apaisée ».
Une obligation d’efficacité qui pèsera surtout sur les épaules de la directrice générale. Nombreux sont ceux qui voient d’ailleurs dans la nomination de Jean-Pierre Clamadieu une mise sous surveillance d’Isabelle Kocher.
Toutefois, malgré les interrogations légitimes sur leur entente, le tandem pourrait surprendre et bien fonctionner. Il y a peu de chance en effet qu’Isabelle Kocher, sortant de deux années très éprouvantes, s’engage dans une logique d’affrontement avec le nouveau président.
Jean-Pierre Clamadieu sera-t-il l’homme qui mettra tout le monde d’accord chez Engie ? Réponse d’ici la fin de l’année.