Jaunisse ou l’issue d’un soulèvement populaire sans précédent – Extrait de livre

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Par Hugo La Haye Publié le 13 mai 2021 à 9h30
Jaunisse Gilets Jaunes Soulevement
@shutter - © Economie Matin
49%En septembre 2020, 49% des Français ne se sentent pas gilets jaunes et ne les soutiennent pas.

Prologue. Incubation

Paris, 8e arrondissement, un samedi soir de décembre 2018

Le projectile avait été lancé depuis la rue avec suffisamment de force pour atteindre la grande fenêtre entr'ouverte du premier étage, la traverser en rebondissant sur son cadre et exploser sur le parquet dans une gerbe de feu. Terrorisés, poussés de force par leur mère vers leur chambre, à l'arrière de l'appartement, les deux enfants, un garçon et une fille, se mirent à hurler. Le père, en chaussettes et bras de chemise, surpris devant son match de Ligue 1 du samedi après-midi (un Olympique Lyonnais toujours aussi friable était mené 2-0 par un LOSC étonnamment offensif ), regarda autour de lui.

«Surtout pas d'eau, surtout pas d'eau!» se répéta-t-il mécaniquement en essayant d'étouffer le feu avec le plaid qui, par chance, traînait sur le canapé du salon.

Après plusieurs minutes à combattre les flammes, l'homme parvint péniblement à éteindre le début d'incendie qui gagnait les rideaux. Essoufflé par l'effort et la peur, il remarqua alors le fracas qui venait de la rue. Après avoir éteint toutes les lumières et, en veillant bien à ne pas être aperçu des silhouettes qui couraient et s'agitaient frénétiquement, il put observer, ébahi, le spectacle de chaos qui se déroulait juste en bas de chez lui, dans ce quartier résidentiel d'habitude si tranquille.

Visiblement, le cocktail Molotov lancé par les émeutiers ne leur était pas particulièrement destiné, c'était déjà ça. Sur la chaussée, des individus masqués et revêtus de chasubles fluorescentes visaient méthodiquement les fenêtres allumées des premiers étages des immeubles haussmanniens. D'autres essayaient d'enfoncer une porte cochère, qui refusait de céder, défendue de l'autre côté par des habitants assiégés. « Fils de putes de bourges, on va vous fumer » hurla un grand type très énervé, et visiblement aussi très éméché.

Un peu plus bas, sur l'avenue, toutes les voitures et tous les scooters avaient été consciencieusement incendiés. Prises d'assaut, les boutiques étaient l'une après l'autre éventrées, pillées puis mises à feu. Même l'improbable et inoffensive librairie ésotérique qui avait, jusqu'à ce jour, tant bien que mal survécu à la flambée des loyers du quartier, disparaissait dans une fumée grasse.

« Samuel, ne reste pas près de la fenêtre, c'est dangereux.
- Oui, c'est bon, c'est bon, je sais. Ils ont l'air de se concentrer sur l'immeuble en face, ces pauvres tarés. Ça va, les enfants ?
- Terrorisés, qu'est-ce que tu crois. Mais c'est calme sur l'arrière de l'immeuble.
- Et les voisins ? Putain, j'y pense... C'était la profession de foi de leurs filles, ou un truc de cathos comme ça, aujourd'hui. Sympa, une petite émeute du bon peuple, pour égayer la fête...

- Je les ai aperçus par la fenêtre. Ils sont comme nous, ils se terrent en attendant que ça passe.

- Putain, et les flics, ils font quoi, c'est incroyable, ce chaos...
- Tu veux allumer les infos ?
- Non ! Hors de question qu'on continue à regarder cette saloperie de BFM TV. Tu as vu comment ils traitent d'égal à égal ces guignols qui ne savent pas aligner deux mots et des ministres ? Tout est bon pour garder les cons devant leur écran.

- À propos de ministre, tu ne veux pas appeler ton pote Maxime ? Il doit savoir ce qui se passe, lui...

- Je crois qu'il a d'autres chats à fouetter en ce moment. C'est la révolution, là-dehors.»

Dehors justement, des émeutiers hyper mobiles s'égayaient en enflammant ce qui leur tombait sous la main. Après de longues minutes, un groupe de CRS, lourdement harnachés et désespérément patauds, finit par remonter la rue au ralenti, engagés dans une poursuite toute symbolique des émeutiers. Soulagés, les habitants des quartiers bourgeois se mirent à applaudir timidement les représentants de l'ordre depuis leurs balcons. Dans ce spectacle « son et lumière » assez réussi, les gyrophares des véhicules de police allumaient de bleu les façades de pierre blonde. La scène rappela douloureusement à Samuel les images de la nuit d'horreur du 13 novembre 2015.

Au loin, Paris continuait de brûler.

Chapitre 1. Infection

« C'est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal .» Hannah Arendt

Thomas P. Paris 8e arrondissement, 10 ans plus tard

Thomas repoussa le sac de couchage crasseux, se leva et jeta un coup d'œil autour de lui, l'esprit, comme souvent, brumeux et désorienté.

Autour de lui, le vaste salon d'un appartement haussmannien baignait dans une douce lumière matinale. On était déjà en avril. Par une grande fenêtre entr'ouverte, le parfum tiède d'un début de printemps tentait de se diffuser dans la pièce. Des effluves malheureusement bien trop légers pour recouvrir l'odeur des chiottes éventrées ainsi que celle, plus âcre, du shit froid, qui se disputaient la suprématie dans l'appartement. Thomas rota et, cherchant ses baskets élimées et son jean (sans doute roulé en boule quelque part), contempla la grande pièce. Brûlé par endroits, couvert de bouteilles de bières vides et de cartons de pizzas, le parquet de Hongrie était irrécupérable.

S'ébrouant, il se dirigea vers la grande cheminée et aperçut son reflet dans un des rares pans de miroir encore intacts. Il observa son visage émacié, ses cheveux coupés courts, et sa cicatrice mal recousue, qui attesterait pour le restant de ses jours de sa participation à d'épiques batailles de rue. Un vrai guerrier urbain, couturé et cabossé, mais finalement indestructible. Il se sourit à lui-même et baissa les yeux vers la cheminée. C'est là qu'il les vit. Une brune et une blonde, souriantes et toutes mignonnes dans leur robe de communion ou de confirmation, un truc de cathos réacs comme ça. La photo qui émergeait du tas d'immondices empilées là ne datait pas d'hier. Huit ans, dix ans, peut-être. Il y avait eu, autrefois, une famille qui vivait dans cet appartement, probablement heureuse et certainement aisée. Thomas baissa son boxer, en sortit un pénis mal lavé et urina sur la photo. « Sales petites putes bourgeoises », rigola-t-il, très fier de cette nouvelle victoire sur l'ordre ancien.

Dans l'entrée recouverte de tags, Thomas attrapa son blouson et en sortit un iPhone flambant neuf. La boucle de messages sur l'application Telegram lui indiqua qu'il devait participer à une AG préparatoire de son groupe deux heures plus tard. Une AG... Putain, il était vraiment devenu un bureaucrate de merde.

« Allez, vamos, companeros ! » Il enfila sa cagoule, qu'il retroussa en bonnet, ses mitaines renforcées aux jointures et son gilet jaune réglementaire. Hésitant entre une batte de base-ball en alu et une barre en fer arrachée sur un chantier, il les soupesa l'une après l'autre. La barre de métal faisait davantage guerrier urbain mais elle était rouillée. Elle lui avait écorché les doigts malgré ses mitaines, la dernière fois qu'il s'en était servi. Il opta pour la batte, qu'il avait, un jour, essayé d'entourer de fil barbelé, comme dans Walking Dead - mais les barbelés ne tenaient pas, glissaient invariablement et lui écorchaient tout autant les mains. Putain de comics américains, jamais réalistes.

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L'auteur de Jaunisse écrit sous pseudonyme.

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