Le système de santé français a toujours fait couler beaucoup d’encre en France. Fierté nationale et symbole d’un système social que l’on espère plus « juste » que ses équivalents étrangers, il est incontestablement une réussite que nous devons préserver. A tout prix ? Dans son principe, sans aucun doute. Pour ce qui est de ses ambitions, la réponse sera peut-être plus nuancée, tant les facteurs entrant en jeu sont nombreux. Mais des pistes d’amélioration existent, et elles ne trouvent pas toutes leur origine en France.
Grande puissance incontestable malgré ses difficultés économiques récentes, le Japon est également le pays où les habitants jouissent de l’espérance de vie la plus longue, grâce – en partie - à un système de santé dont le coût supporté par la société est bien moindre qu’en France. Culturellement et institutionnellement spécifique au Japon, ce système est néanmoins organisé autour de principes et de valeurs dont la France pourrait s’inspirer.
C’est tout l’objet de l’association dont je viens de prendre la présidence : l’association des Laboratoires Japonais Présents en France (LaJaPF) a pour vocation de définir, porter et partager certaines idées autour de nos valeurs communes et de nos responsabilités dans le système de santé, en tant qu’entreprises pharmaceutiques. Il s’agit de mettre en avant auprès des décideurs politiques et institutionnels, mais aussi auprès des responsables du système de santé français, les valeurs et les spécificités japonaises. On l’ignore souvent, mais les laboratoires pharmaceutiques japonais présents en France contribuent activement à la qualité du système de santé français, et leurs contributions sont bien plus larges qu’on pourrait le supposer. Nous sommes présents à la fois sur les pathologies majeures où le service médical rendu est très important, mais aussi sur des pathologies plus rares, voire des maladies orphelines pour lesquelles nous n’attendons pas de retombées économiques directes. Mais cette « double-nationalité »nous offre aussi l’occasion d’une réflexion sur ce qui fait la force de chacun de deux systèmes. Et s’il devait être reconnu une première qualité au système japonais, ce serait vraisemblablement sa simplicité.
Un interlocuteur unique
En France, d’un point de vue purement opérationnel, la multiplicité des acteurs (ARS, HAS, ANSM, CEPS, Ministère de la Santé) et la diversité des échelons d’intervention (acteurs régionaux, nationaux et européens avec l’EMEA) compliquent et ralentissent les processus. Or pour l’industrie pharmaceutique, l’un des principaux atouts du système de santé japonais est d’être organisé autour d’un seul acteur : le Ministère de la santé, du travail et du « bien-être » (Ministry of Health, Labour and Welfare). L’association des trois domaines de compétences témoigne en elle-même d’une approche radicalement différente, décloisonnée et intégrée. Cette organisation simplifie considérablement la compréhension des process de décisions, qu’il s’agisse d’autorisation de mise sur le marché, de fixation des prix des médicaments ou de législation sur les génériques. Si cette simplicité prévaut depuis longtemps, c’est parce que le Japon a réalisé très tôt qu’il fallait faire participer les acteurs privés à l’efficience globale du système de santé.
Un secteur privé partenaire
Au Japon, la coopération entre acteurs privés et publics, particulièrement dans le domaine de la santé, est perçue comme une alliance naturelle. C’est la raison pour laquelle les relations entre acteurs institutionnels et laboratoires pharmaceutiques sont bien plus sereines et constructives, car elles reposent sur une vision stratégique partagée du système de soins sur le long terme. A la différence de la France, où secteur privé rime à tort dans l’imaginaire collectif avec marchandisation de la santé, la place de son équivalent japonais est une donnée clé pour comprendre le système de santé. En introduisant la notion de concurrence et d’efficience inhérente au secteur privé, le système de santé japonais est devenu l’un des plus performants au monde. Mais, s’il est parvenu à de tels résultats, c’est aussi parce qu’il est à la pointe de la recherche scientifique, qu’il s’agisse des équipements médicaux ou des médicaments.
Encourager la R&D
De manière générale, le Japon est très bien positionné en termes de recherche pharmaceutique, et les compétences des laboratoires sont unanimement reconnues. Mais cela s’explique aussi par le fait que les laboratoires japonais, à l’instar de Daiichi Sankyo dont je préside la filiale française, dépensent chaque année une part considérable de leur chiffre d’affaires en R&D, pour rester à la pointe de la lutte contre certaines pathologies et demeurer des fers de lance de la qualité du médicament.
Compte tenu du vieillissement de la population japonaise, mais aussi mondiale à terme, le Japon a bien compris tout l’intérêt qu’il pouvait y avoir à investir massivement dans le domaine de la santé. Les décisions d’investissements du gouvernement dans le domaine de la santé sont ainsi prises par un comité présidé directement par le Premier Ministre, Shinzo Abe. Le Japon parvient également à capitaliser sur plusieurs de ses points forts, en associant par exemple la R&D en robotique au secteur de la santé, pour proposer des services ou des produits particulièrement innovants. Le gouvernement encourage à sa manière la R&D en aidant financièrement les praticiens qui souhaitent s’équiper de matériels de pointe ou s’installer en zones dépourvues d’infrastructures de soins, telles que nous pouvons en connaitre en France avec les déserts médicaux. Au final, le coût supporté par la société japonaise est nettement moindre qu’au sein du système français : les dépenses de santé représentent moins de 10 % du PIB au Japon, contre près de 12 % en France. Et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce système n’est pas inégalitaire ou injuste pour autant.
Un système de santé plus juste parce que plus équitable
Hormis pour les plus faibles revenus et dans des limites annuelles raisonnables, le patient japonais participe au partage des coûts de santé. L’accès au système de santé japonais n’est en ce sens pas universel et égalitaire, mais il est néanmoins bien plus équitable. En responsabilisant le patient sur les dépenses de santé, l’expérience japonaise prouve que le système parvient à rendre les soins plus efficaces tout en limitant le total des dépenses, et ce, d’autant plus que les Japonais sont très axés sur la prévention. Il faudrait une révolution des mentalités pour transposer un tel système dans d’autres pays, particulièrement en France. Mais la pérennité d’un système de santé performant est à ce prix. Si une partie de chemin à parcourir reste du ressort de des laboratoires pharmaceutiques et des structures de recherche, les évolutions réglementaires et les changements de mentalité sont entre les mains des décideurs publics. Des pistes existent et des solutions testées avec succès par d’autres sont transposables en France. Cependant, outre un courage politique certain, il faudrait déjà envisager de considérer les réformes de notre système de santé plus largement que sous l’angle des seules lois de finance de la Sécurité Sociale.