La lourdeur de certains formalismes qui encadrent le monde professionnel est souvent dénoncée, à juste titre. Ainsi est-il contreproductif que les instances de régulation édictent des règles dont l’application est si absorbante qu’elles amènent à privilégier la forme au détriment du fond.
Les plus hautes instances en matière de politique économique ne sont pas à l’abri de tels excès : une récente audition de la Présidente de la Fed par le Congrès des États-Unis en fournit un exemple.
Il n’est pas question ici de nier l’utilité de la rigueur procédurale. Quand, par exemple, une équipe chirurgicale doit établir une check-list des actes accomplis au cours d’une intervention, on en voit bien l’utilité, qu’il s’agisse d’éviter un oubli dramatique ou de rendre la justice en cas de contestation ultérieure. Mais ceci doit rester dans les limites du bon sens : le médecin militaire qui réalise une opération en urgence sur le champ de bataille ne doit évidemment pas privilégier le formalisme à la rapidité des soins ! Le formalisme doit être utilisé à bon escient ; il constitue un outil, pas un impératif catégorique.
L’audition de Janet Yellen, présidente de la banque centrale américaine – la Fed – par des membres du Congrès des États-Unis les 10 et 11 février derniers, illustre bien les inconvénients d’un cadre normatif trop rigide.
Une telle audition est organisée chaque semestre pour que le plus haut responsable de la politique monétaire américaine rende compte de l’exercice de ses fonctions aux représentants du peuple et des États de l’Union. Le premier jour, le Président de la Fed s’exprime par un discours ; le lendemain, il est soumis aux questions des parlementaires. Ces questions sont souvent incisives ; elles pourraient être très utiles pour se rendre compte, au-delà des formules consacrées, de la politique monétaire effectivement mise en œuvre.
Beaucoup de parlementaires sont désireux d’interroger le banquier central, et le temps n’est pas élastique : il faut donc restreindre les temps de parole. Mais comment répartir la pénurie ? Il pourrait exister une limite de principe, extensible par le président de séance si le problème abordé est particulièrement important et ardu. Mais ce n’est pas le cas : que les questions soient faciles et insignifiantes ou délicates et fondamentales, le même temps de parole s’applique, les échanges les plus utiles sont traités comme les plus futiles.
Ainsi, par exemple, sommes-nous restés sur notre faim, comme probablement tous les Sénateurs et Représentants présents, sans compter les journalistes et les personnes professionnellement ou personnellement intéressées par le sujet, lorsque la phrase fatidique, « time is over », mit fin à la difficulté que Janet Yellen rencontrait en essayant d’éluder une question délicate. Il s’agissait d’expliquer pourquoi la Fed agissait à l’inverse de ce que préconisaient trois prix Nobel américains d’économie. Le parlementaire, pugnace et précis, entendait bien recevoir un éclaircissement relatif à l’analyse économique sur laquelle s’appuient les décisions relatives aux taux directeurs et au « quantitative easing ». La Présidente de la Fed, qui n’avait guère envie de fournir cette explication, fut sauvée par le gong. Pour elle, le formalisme fut bien utile, mais ce fut au détriment de la démocratie.
Ajoutons pour terminer qu’une sorte de formalisme peut exister en l’absence d’un règlement en bonne et due forme. Ainsi le politiquement correct s’impose-t-il en bien des circonstances, et même à des journalistes ! L’audition dont il vient d’être question en fournit un exemple : les relations dont elle a fait l’objet dans les média – du moins celles que nous avons lues – ne signalent guère la vigueur des interventions des parlementaires américains, ni la pertinence de certaines des questions soulevées. Le sujet « fléché » par une convention tacite est limité à la modification des taux directeurs (les taux pratiqués par la Fed pour ses différentes opérations). Un tel conformisme complète et facilite les excès du formalisme.
Article écrit avec Gabriel Bichot