Jacques Attali et son programme 2017 : pour quel projet ?

Par Bertrand de Kermel Publié le 26 février 2015 à 5h00
France Election Presidentielle 2017 Attali
@shutter - © Economie Matin
93,5 %La dette française atteint 93,5 % du PIB.

La presse nous a appris que Jacques Attali va élaborer un programme présidentiel fin 2015, pour lancer le débat en vue du scrutin de 2017.

?Objectif : essayer de faire en sorte que l'année 2016 soit occupée par un débat sur les idées et sur les projets", de façon à ce qu'en 2017, les candidats s'affrontent non pas sur la couleur de leur cravate mais sur le projet qu'ils proposent au pays.

Trois groupes sociaux séparés par de profondes fractures

Jacques Attali a raison : il faut commencer par élaborer un projet, car nous en avons bien besoin. Voici l’état de la société, tel qu’il l’imaginait, (hélas, de manière prophétique) lors d’un colloque à l’UNESCO le 6 avril 1998. Selon lui, la technologie allait pousser à la naissance de trois groupes sociaux, tant à l’intérieur de chaque pays qu’à l’échelle planétaire. Ainsi, il imaginait :

Premièrement, l’hyperclasse, un groupe composé de plusieurs dizaines de millions de personnes, qui disposeront de tous les moyens de la connexité et de la création, qui créeront et manipuleront les informations, qui seront des nomades volontaires, et feront preuve d’un individualisme exacerbé.

Deuxièmement, les nomades de misère, au bas de l’échelle, subissant les technologies et qui seront obligés de bouger pour trouver du travail ou pour survivre. Un groupe d’environ un milliard d’individus.

Troisièmement tout le reste, une gigantesque classe moyenne, vivant dans l’espérance factice de rejoindre l’hyperclasse mais aussi dans la peur réelle de basculer dans le nomadisme planétaire. Cette classe moyenne vivra dans le spectacle donné par les nouveaux moyens de communication. La distraction sous toutes ses formes, - jeux, loisirs, fêtes, sports, religions (au sens de la multiplication des sectes), cinéma, voyages dans l’espace, - deviendra absolument vitale pour maintenir l’ordre social. Spectacles et distractions vont devenir plus que jamais des industries majeures, car si la réversibilité et la précarité deviennent la règle, il faudra le faire oublier. Robert Reich, ancien ministre sous l’administration Clinton, aboutissait à la même conclusion dans son livre L’économie mondialisée, (1993), mais y voyait également les effets de la mondialisation. Ce scénario détestable se réalise sous nos yeux. Restons inertes, et nous vivrons des chocs très violents.

Allons plus loin. Le 28 novembre 2009, le think tank les Gracques organisait une journée de débat sur le thème : « quel nouveau contrat social dans le monde et la France de l’après crise » ? Concluant la journée, Jacques Attali affirmait : « nous sommes bien à un tournant de civilisation, à un moment où nous pressentons les risques de disparition de cette civilisation, comme tant d’autres avant la nôtre, en d’autres temps ». Il ajoutait : « seul un changement de comportement peut nous sauver. C’est l’altruisme au sens de l’intérêt général plus fort que notre intérêt particulier, car ce dernier est mis en cause si le premier n’est pas respecté. Selon lui, nous serions contraints de devenir altruistes par intérêt. Oui, mais cela suppose de nombreuses remises en cause.

Plus largement, cette division en trois groupes séparés par un profond fossé conduit une paupérisation croissante des classes moyennes, au développement de la corruption et de la délinquance, voire à des zones de non droit. C’est pourquoi, depuis plus de quatre ans, le Forum Davos, s’inquiète du niveau des inégalités (risque de chocs violents). Il est même admis à Davos que la gestion de la mondialisation est un échec collectif (Les Echos, 20 janvier 2014) ! Les politique sont prévenus, même s’ils font semblant de ne pas avoir entendu : c’est à eux de réduire les inégalités, d’apaiser les sociétés, d’éradiquer la corruption, et de transformer la mondialisation en réussite collective. Ce travail relève des peuples souverains. Il ne sort aucune proposition de Davos sur ce point. C’est normal et souhaitable.

Quelle France en 2030 ou 2040 ?

Il est donc clair que l’époque n’est plus au catalogue de propositions présentées avec des formules creuses, que l’on oublie une fois élu. Les candidats devront d’abord décrire la France telle qu’ils la rêvent en 2030 ou 2040, et montrer ensuite la cohérence de leurs propositions pour parvenir à cet objectif. On peut objecter que la France ne peut pas changer seule, car les pays de la planète sont interdépendants. Oui, mais ce n’est pas une raison pour rester inerte. Au contraire ! Il faut effectivement élargir la vision à l’Europe et la mondialisation. Nous y jouons la démocratie, voire la civilisation. Notre pays siège dans les instances décisionnelles des plus grandes organisations internationales telles que le G7, le G8, le G20, l’ONU, l’Union Européenne, l’OCDE, la Banque mondiale, le FMI, la CNUCED, L’Organisation Mondiale du Travail (OIT), l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’Organisation des Nations Unie pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) etc… C’est à ce niveau qu’il faut travailler, présenter une vision mobilisatrice, discuter, convaincre, proposer des thèmes de discussion, rendre compte de la teneur des débats etc…

Des élus schizophrènes ?

Actuellement, on a l’impression d’un immense gâchis. En témoigne l’aveu courageux du Président de la République française à Davos, en 2010 : « La communauté internationale ne peut pas continuer à être schizophrène. Nous renions à l'O.M.C. ou au F.M.I. ce que nous décidons à l'O.M.S. ou à l'O.I.T. ! On ne peut pas tenir dans la même année deux discours totalement différents selon que l’on est dans telle ou telle enceinte» ! Ceux qui agissent de la sorte devraient être chassés. C’est la pire façon de faire de la politique. Le Comité Pauvreté et Politique que j’ai l’honneur de présider s’est livré à cet exercice en 2014 dans un essai publié aux éditions édilivre, et intitulé : « 2030 : faisons un rêve », sous titré « comment les citoyens ont repris en main leur destin ».

Le projet de société que nous proposons accorde un poids égal aux dimensions économique, sociétale, et environnementale, en mettant l’accent sur la pauvreté, les inégalités et les biens communs aux citoyens. Cela correspond à notre culture et à nos racines. Ce n’est nullement incompatible avec la nécessaire compétitivité, l’innovation, la recherche, la chasse au gaspi, le développement de l’économie etc.

Les sujets les plus cruciaux sont traités : individualisme/altruisme, transmission des savoirs et des repères, corruption, justice, dérives du système politique, fiscalité, biens communs, très grande rigueur dans le travail politique (France, Europe, accord internationaux) avec bilans réguliers et publics, aménagement de la mondialisation, projet européen, etc… Nous en ferons état auprès des candidats le moment venu. Nous souhaitons que le projet ATTALI soit encore plus motivant et attractif que le notre. Les citoyens se réconcilieront d’autant plus vite avec la politique.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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