Jacques-Antoine Granjon : Des culottes La Perla à Vente-Privée

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Par Capucine Graby et Marc Simoncini Modifié le 31 octobre 2012 à 18h29

"Julien, on y va, il est presque 6 heures du matin. — Laisse-moi dix minutes pour retenter ma chance auprès de la petite blonde de tout à l’heure... — Mais tu sais bien que l’on doit être debout dans deux heures pour ce rendez-vous à Toulouse ! — JAG, t’en fais pas, c’est toujours après les nuits les plus courtes que l’on conclut les meilleurs deals."

Ce soir-là, dans l’entrée de chez Castel à Paris, Jacques-Antoine enrage mais ne peut contredire son associé de l’époque. Il sait bien qu’il a raison. Cela fait dix ans que le scénario se répète, inexorablement. Fêtes à gogo, jusqu’au bout de la nuit. Nuits très courtes. Mais négociations rondement menées qui leur permettent toujours de réaliser de belles affaires.

Le lendemain, le fameux rendez-vous chez Liberto à Toulouse est un carton. Ce jour-là, les deux entrepreneurs savent qu’ils jouent gros. Ils rencontrent les stars de la fringue de l’époque. Ceux qui font et défont les modes avec leurs marques vedettes, Liberto, Chipie et Marithé+ François Girbaud. A chaque rendez- vous, leur objectif est identique : récupérer un maximum de lots de vêtements d’anciennes collections au meilleur prix, et surtout, assurer aux patrons que ces stocks ne seront pas écoulés n’importe où, histoire de préserver leur image.

Ce jour-là, les deux gamins voient juste. Ils mettent la main sur trente mille jeans Liberto à 20 euros. Jackpot. Jacques-Antoine s’en souvient comme si c’était hier : "En se tournant vers les nouvelles marques qui émergeaient, nous prenions un risque, mais du coup nous avions un coup d’avance. Le consommateur en raffolait, surtout à petits prix, et nos stocks étaient écoulés en un temps record."

A cette époque, Julien et lui ont les yeux braqués sur ces nouvelles petites marques qui montent. Les Creeks, Kookaï ou autres Chevignon. Elles commencent à s’imposer chez les jeunes et pourtant les soldeurs ne s’intéressent pas encore à elles. JAG et sa bande vont sentir ce nouveau vent souffler. Malins, en prenant le risque de suivre ces marques quasi inconnues mais en devenir, ils vont casser les codes du poussiéreux métier de soldeur. C’est l’époque où ils n’hésitent pas à faire plusieurs milliers de kilomètres pour récupérer les stocks d’une marque à fort potentiel qu’il a fallu convertir au destockage.



"JAG, j’ai réussi à décrocher un RV chez La Perla ! — Bien joué. — Il faut dire que j’en étais au cinquantième coup de fil. — Dis donc, les stocks La Perla... c’est en Italie ? — A Bologne précisément." Cette scène aurait pu être tirée du film culte La vérité si je mens. Elle est authentique et se déroule dans les années 80. Ce n’est pas la distance qui va les arrêter, au contraire.

Le soir même, vers 23 heures, les deux lurons sautent dans leur Porsche, traversent la frontière au milieu de la nuit, et débarquent au siège de la marque italienne à 9 heures pétantes le lendemain matin. A la fin du rendez-vous, ils se félicitent de leur bon deal : ils ont mis la main sur 100 000 pièces de marchandise, des soutiens- gorge et autres porte-jarretelles, toutes payées entre 10 et 15 francs et qui seront acheminées quelques jours plus tard par camion.

Leur retour sera plus rapide : "L’objectif était de s’arrêter dîner chez Paul Bocuse à Lyon !" se rappelle Jacques-Antoine les yeux luisants. La Perla sera séduite par leur audace et leur aplomb. Aucun soldeur n’avait encore eu le culot de frapper à la porte d’une marque aussi luxueuse pour écouler des petites culottes démodées. Kilomètres de bitume avalés, marchandages terribles, dîners arrosés. Voilà donc le quotidien de Jacques-Antoine Granjon et ses associés.

Les compères ne comptent pas leurs heures. Dénicher puis négocier la marchandise, trier les stocks, vérifier la qualité, les couleurs, les tailles, fabriquer des lots, les revendre... Le job est éreintant mais leur réussit plutôt bien. Ils travaillent comme des bêtes entre quatorze heures et vingt-deux heures tous les jours et passent leurs nuits dans des boîtes comme le Palace ou l’Elysée Matignon. En 1988, la vie sourit à Jacques- Antoine.

Il a abandonné son look BCBG hérité du prestigieux lycée Franklin où il a fait ses études, roule en voiture de course et a des billets plein les poches. Forcément, il est devenu un des plus gros destockeurs d’Europe.

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Extraits de "Grandeurs et misères des stars du Net" par Capucine Graby et Marc Simoncini. Editions Grasset (2012). 17,10 euros

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Capucine Graby est journaliste. Elle a notamment travaillé à BFM radio et au service économie d’Itélé.Marc Simoncini est entrepreneur. Il a fondé i(France), le site web de rencontres Meetic et, en mars 2012, Sensee, un site de vente de lunettes en ligne. Il est le co-fondateur de l’école des métiers de l’Internet, qui a ouvert en septembre 2011. 

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