La polémique sur l’ISF et sa suppression prend un bien vilain tour pour le gouvernement, dont la ligne de défense est difficile à percevoir. Trompé par une fréquentation trop grande des élites parisiennes, Macron avait manifestement surestimé la résistance des salariés du privé aux ordonnances, et sous-estimer la résistance des Français à la suppression de l’ISF.
Il ne l’avait pas bien vu venir, ce coup-là, Emmanuel Macron. Autant le Président avait blindé sa méthode sur les ordonnances pour éviter la constitution d’un front syndical ou social uni, autant, sur l’ISF, l’absence de déminage préalable apparaît aujourd’hui comme une dramatique erreur de calcul. Il faut dire qu’il n’est pas très aidé par Philippe, Darmanin et Le Maire, qui multiplient les erreurs de communication et le plombent peu à peu.
L’ornière mal assumée du Président des riches
Tout a commencé quand Mélenchon a publié un billet sur le « président des riches », à la mi-septembre. Soudain, le ton de la rentrée était donné.
Par une maladresse liée à son incapacité à reconnaître ses défauts, Macron s’est mal défendu de cette accusation. Au lieu de l’assumer et de la revendiquer clairement comme un mal nécessaire pour le pays, le président a cherché à allumer des contre-feux.
Ah! si Emmanuel Macron avait l’intelligence du coeur et la capacité à dire: oui, j’ai été élu avec l’appui des riches, et nous avons collectivement besoin d’eux. Tout serait tellement plus simple. Mais, au lieu de cet aveu, il n’a pas hésité à entamer la pire des batailles: sur un terrain choisi par l’ennemi, il a suscité des amendements parlementaires sur la taxation des yachts et autres inventions grotesques dont la presse s’est emparé pour expliquer (à juste titre) qu’ils étaient juste un maquillage.
Et voilà notre Président parti, avec ses malhabiles premiers de cordée, à la reconquête d’un terrain ingagnable. Tout le monde a vu, lors de son interview à TF1, que Macron détestait reconnaître ses torts. Au rythme où il va, il pourrait passer son année à justifier maladroitement la suppression de l’ISF, sans comprendre qu’il ne convaincra jamais, et au risque d’occulter tous ses autres discours politiques.
Le piège des beaux quartiers
Alors le mieux reste de faire l’histoire par l’envers de son décor.
Macron n’a jamais été élu local. Du débat politique, de la parole politique, il ne connaît que celle diffusée dans les soirées mondaines où il faut être vu pour être promu. L’univers de Macron, le lieu où il a l’habitude de penser et de débattre, c’est le huis clos des beaux quartiers où deux certitudes sont égrenées sans faillir: la France est irréformable parce que les petites gens ne veulent rien changer, et l’ISF fait fuir les entrepreneurs.
Ces deux certitudes n’ont évidemment jamais été documentées par personne, et relèvent de l’imposture. D’une part, le conservatisme touche bien plus les élites que les petites gens (la facilité à faire passer les ordonnances le prouve). D’autre part, l’ISF est une goutte d’eau dans le carcan fiscal qui étouffe les entrepreneurs français. Mais cela, il n’est pas de bon ton de le dire dans les beaux quartiers, alors Macron ne l’a pas clairement perçu.
Du coup, comme diraient les militaires, Macron a massé ses troupes du mauvais côté du plateau de Pratsen. Il s’attendait au pire sur le front des ordonnances, et n’a rien vu venir sur le front de l’ISF. Un peu de contact avec la France d’en-bas lui aurait pourtant permis de savoir que les salariés du secteur privé sont plutôt contents de pouvoir négocier des accords collectifs dans leur entreprise, sans l’écran des bureaucraties syndicales, mais qu’ils sont allergiques au bling-bling des grandes fortunes.
Comment sortir du bourbier?
Restent aujourd’hui trois solutions à Emmanuel Macron.
La première est de persévérer dans son erreur (ce qu’il est tout à fait capable de faire en expliquant qu’il a raison) et chercher des cautères pour soigner la jambe de bois, en attendant que l’agitation se calme. Son problème est que le débat budgétaire est long et son équipe gouvernementale mal équipée pour affronter ce genre de campagne rigoureuse. En écoutant Bruno Le Maire, on se dit même qu’elle est capable du pire.
La deuxième est de faire machine arrière et de reporter la suppression de l’ISF à une période plus propice. Ce serait politiquement coûteux car le mythe bonapartiste d’une énergie invincible qu’il cherche à construire serait mort-né. Mais… il s’épargnerait des déconvenues pires et des dégâts durables dans l’opinion.
Troisième solution, la plus risquée mais la plus rentable si elle réussit: prendre le taureau par les cornes et assumer ce qu’il est. Expliquer que la France a besoin de se réconcilier avec ses riches. Ne pas dissimuler ses liens avec les élites économiques de ce pays et demander aux Français s’ils préfèrent le bilan d’un Hollande « normal ».
Parfois, on gagne plus à admettre ce qu’on est qu’à vouloir être un autre.
Article écrir Eric Verhaeghe pour son blog