Interview de Nicolas Sarkozy: décodage en termes de communication

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Par Christophe Ginisty Publié le 5 juillet 2014 à 2h31

Si l'interview de Nicolas Sarkozy hier est abondamment commentée ce matin dans sa dimension politique, je vous propose de revenir quelques instants sur ce qu'elle nous dit du point de vue de la communication politique. Car beaucoup d'éléments ont attiré mon attention.

1. Le choix du lieu

Le fait d'avoir privilégié le cadre de son bureau personnel est loin d'être anodin en termes de communication. C'est d'une certaine manière "le seigneur qui accorde audience" et non pas le politique qui se déplace pour aller s'expliquer chez les journalistes, au coeur des rédactions. En choisissant ce format, il crée un sorte d'effet de cour, très prisé en France (et totalement impensable dans les pays anglo-saxons) où il reçoit les journalistes dans son environnement familier. Il maîtrise le lieu et peut ainsi contrôler l'image qu'il donne au public. On est très loin d'un Dominique Baudis, transpirant et saisi par l'émotion, qui vient expliquer à Claire Chazal qu'il n'est en rien impliqué dans un sombre affaire criminelle et dont la sincérité crève l'écran.

2. Le choix du format différé

Evidemment, c'est le point central de la stratégie de communication dans sa forme. En exigeant que l'émission soit enregistrée — même si elle le fut dans ce que les journalistes appellent "les conditions du direct" — ce format permet de faire un travail d'optimisation de la prise de parole lors du montage, de corriger ou supprimer les éventuelles maladresses, de choisir les meilleurs plans, histoire de soigner l'image de l'interviewé, et surtout cela permet d'éviter tout risque de basculement émotionnel ou d'emballement. C'est encore un choix qui vise à garder le contrôle total de la prise de parole, au détriment selon moi de la sincérité et la spontanéité.

3. Le choix des journalistes

Là encore, on est dans le contrôle total et la maîtrise. En choisissant Jean-Pierre Elkabbach et Gilles Bouleau, on s'assure qu'il n'y aura ni agressivité, ni débordement. Le premier est un fidèle depuis des années, ils se tutoient et s'apprécient, Nicolas Sarkozy l'ayant même invité à titre personnel dans des voyages officiels, notamment en Israël. Le second est le taulier du 20h de TF1, salarié de la maison Bouygues dont la complaisance vis à vis de l'ancien hôte de l'Elysée ne fait aucun mystère. Du coup, la contribution des journalistes s'est limitée à donner la parole en mode "passe plats" plutôt qu'à réaliser une véritable interview, rigoureuse et impertinente.

4. Le choix du "Monsieur le Président"

Je sais bien que dans la ligne protocolaire, Nicolas Sarkozy est légitime à se faire appeler de la sorte en France jusqu'à la fin de ses jours mais, franchement, les journalistes ne sont pas des laquais et ne devraient avoir que faire des règles du protocole. Ils auraient très bien pu se contenter de "Monsieur Sarkozy" plutôt que de lui servir à toutes les sauces des "Monsieur le Président" qui entretiennent la confusion que l'on est pas en face d'un justiciable comme les autres mais face à une sorte de Président de la République à vie. Ne croyez pas que ce soit un point de détail, c'est absolument clé dans la stratégie de communication. Si les policiers et les magistrats ont peut-être déployé du zèle pour traiter Nicolas Sarkozy comme un justiciable comme les autres, il n'est pas normal que les journalistes le ré-installent dans la posture présidentielle. Il y a là un décalage assez déstabilisant.

5. Le choix des éléments de langage

Avez-vous remarqué la phrase clé hier, répétée à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy et qui en fait le pivot central de sa communication ? La réponse est "Je prends les Français à témoin." La stratégie de communication de Nicolas Sarkozy pour son intervention d'hier a consisté à faire une référence permanente aux Français, à ses électeurs, aux autres, en les prenant à témoin des invraisemblances dont il s'estime la victime. Ce que révèle cette stratégie est double. D'abord, en faisant cela, il en appelle aux émotions des téléspectateurs et des auditeurs pour apprécier des faits dont la technicité leur échappe forcément. Deuxièmement, il se place sur un plan politique et non pas judiciaire, signe qu'il est dans une stratégie de reconquête d'une partie de l'opinion, voire des électeurs. C'est à ce type d'attitude que l'on comprend qu'il a décidé de revenir. Le risque d'une telle stratégie est qu'elle présuppose que l'opinion vous aime et vous attend, ce qui est loin d'être gagné à mon avis.

6. Le choix des arguments de contre attaque

Je ne sais pas de qui est l'idée de discréditer un magistrat sous prétexte qu'il appartient à un syndicat professionnel mais c'est, selon moi, une argumentation très fragile et très dangereuse. Non seulement la liberté d'appartenance à un syndicat est une liberté fondamentale rappelée en préambule de notre constitution mais cette appartenance ne fait pas de vous pour autant un sous-magistrat disqualifié pour exercer son métier en toute impartialité. On a le droit d'être de gauche ou de droite dans ce pays et en même temps exercer des responsabilités qui nous commandent d'être neutres. Nous avons tous été confrontés à ce type de situation et l'idée de disqualifier 30% des magistrats de ce pays sous prétexte qu'ils ne partagent pas la sensibilité de l'ancien Président de la République me semble être une erreur de stratégie de communication, au-delà d'être une posture choquante.

Voilà ce que j'avais envie de partager avec vous sur l'intervention d'hier soir.

Pour résumer, je trouve cette intervention beaucoup trop artificielle car beaucoup trop travaillée par les conseillers en communication de l'ancien président. Il lui a manqué de la sincérité et de la pertinence. C'est dommage mais c'est une autre illustration d'un phénomène qui me désole : la communication crève des conseils en communication et autres spin doctors. A trop maquiller l'expression, on déforme le message.

Quand on voit avec quel luxe de détails cette intervention a été travaillée, on se dit qu'on est bien loin de ce que devrait être l'expression publique d'un personnage politique aussi important dans une telle séquence. La démocratie n'en sort pas victorieuse.

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Christophe Ginisty est professionnel de la communication, patron du numérique pour le Benelux au sein de l'agence Ketchum, blogueur sur www.ginisty.com. Son Twitter : @cginisty.

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