Très haut débit pour tous : la nécessité d’un Etat stratège

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Par Mireille schurch Modifié le 8 avril 2013 à 10h56

Les tentatives pour concilier l'ouverture à la concurrence et la fourniture des services numériques pour tous n'ont vraiment pas fait leurs preuves.

C'est le second rapport en deux ans, sans compter l'avis du Conseil économique, social et environnemental, qui dresse ce constat : la France accuse toujours un retard dans ce domaine.

À la première fracture relative à l'accès au réseau que nous connaissons tous, s'en ajoute une deuxième, qui se rapporte au débit. En effet, les technologies les plus répandues d'accès à l'internet haut débit, l'ADSL en particulier, sont au maximum de leurs capacités. Depuis l'arrivée de la fibre optique, les performances entre ces deux technologies varient d'un à cinquante.

S'il existe d'autres techniques que celle du fibrage – je pense notamment à la montée en puissance du réseau cuivre et aux réseaux mobiles 4G –, nous partageons l'idée que le fibrage constitue l'investissement d'avenir à réaliser.
Toutefois, s'il est le seul moyen valable, à terme, pour assurer une couverture en très haut débit sur l'ensemble du territoire national, un tel déploiement ne pourra pas, à notre sens, intervenir à très court terme, tant les investissements sont importants. On parle d'une somme de 20 milliards d'euros voire de 30 milliards d'euros.

C'est pourquoi nous pensons qu'il est aussi nécessaire de maintenir un emploi raisonné et raisonnable de technologies que d'aucuns qualifient de palliatives pour ne pas laisser se creuser l'écart entre les territoires. En effet, aujourd'hui encore, ce sont 1,7 % des foyers qui n'ont pas accès à l'ADSL, et 600 000 foyers qui n'ont pas accès à un débit de plus de 512 kilobits par seconde. Cette situation fait ressortir de manière accrue la nécessité de reconnaître l'accès à un débit minimum pour tous comme élément du service public ou du service universel.

Le rapprochement, annoncé par le Président de la République, de l'échéance pour le déploiement des réseaux sur l'ensemble du territoire à 2022, et non plus à 2025, comme le prévoit le programme national très haut débit, est une bonne chose, même si, pour la majorité des acteurs, et notamment les maires ruraux, l'investissement dans le très haut débit doit être réalisé dans les cinq ans à venir. Pour eux, en effet, c'est une véritable course de vitesse qui s'engage et qui conditionne l'attractivité de nos territoires.

Toutefois, la question du financement d'une telle ambition reste entière. Le déploiement de ces nouveaux réseaux représente un investissement de plus de 20 milliards d'euros. 3 milliards d'euros d'aide de l'État ont été annoncées, mais sans cadrage financier.

Comment les collectivités territoriales financeront-elles la charge restante ? Elles agissent dans un contexte financier plus que contraint. Le pacte budgétaire européen encadre la capacité d'intervention des États, mais aussi des collectivités territoriales. Cette question se pose avec acuité. On se souvient en effet que le précédent gouvernement avait refusé de taxer les profits, pourtant non négligeables, des opérateurs privés.

De même, qu'en est-il de la taxation ou de l'imposition plus juste des géants du net, qui ne peuvent s'enrichir, en réalité, que grâce au développement d'un réseau fiable, rapide et neutre ?

La question du réseau ne peut être séparée du contenu. Pour notre part, si nous nous félicitons que le prix des abonnements soit moins élevé que dans le reste de l'Europe, cela ne signifie pas que cette dépense ne pèse pas sur le budget des ménages. N'ajoutons pas une fracture sociale à la fracture territoriale, à un moment où la question du pouvoir d'achat de nos concitoyens n'est pas qu'une question rhétorique.

Le rôle des collectivités territoriales est aujourd'hui essentiel pour lutter contre la fracture numérique, nous en convenons tous. Le jeu du marché n'a pas permis de parvenir à une couverture totale et équilibrée du territoire en haut débit, en téléphonie mobile, et encore moins en fibre optique. C'est pourquoi nous partageons les doutes sur la pertinence du modèle choisi, qui repose principalement sur les opérateurs privés. Ce choix conduira nécessairement à un déploiement plus rapide de la fibre optique sur les territoires à forte densité de population, les départements ruraux étant, à l'inverse, délaissés.

Ce mécanisme induit donc une réelle inégalité des débits de connexion disponibles au sein d'une même agglomération, les opérateurs privés n'ayant pas le souci de l'aménagement du territoire, mais étant uniquement préoccupés par la rentabilité.

En ce sens, nous partageons les conclusions qui démontrent que ce schéma n'est pas adapté, qu'il est inefficace et contraire à l'équité.
Selon nous, pour atteindre ces objectifs, il faudrait que la puissance publique reprenne en main le déploiement des réseaux afin de garantir une nécessaire stabilité, tant en termes d'environnement juridique qu'en termes financiers.

Les collectivités territoriales, qui ont la charge d'assurer la cohérence des déploiements et, en dernier recours, doivent prendre l'initiative d'engager des projets sur les territoires qui ne seraient pas concernés par l'investissement d'opérateurs privés, sont en première ligne. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP, recensait 215 projets de réseaux d'initiative publique, dont 111 couvrant chacun plus de 60 000 habitants. À cet égard, l'Auvergne fait figure de premier de la classe.

En termes de tarifs, comme le souligne le Conseil économique, social et environnemental, cette intervention a permis d'aller au-delà des offres proposées par les opérateurs privés, et de faire bénéficier les particuliers et les entreprises de tarifs moins élevés.
Pourtant, l'action des collectivités territoriales reste contrainte par la priorité donnée aux opérateurs de déployer leurs offres dans les zones rentables, mais aussi par l'impossibilité d'intervenir dans ces zones. Ainsi, les opérateurs privés peuvent aller là où ils veulent et « geler » la situation par leurs annonces de déploiement. Cela nuit à l'organisation d'une véritable péréquation.

De plus, l'action des collectivités territoriales est encadrée par une législation multiple – nationale et européenne – et complexe. Cette action ne s'inscrit pas dans l'anticipation, mais est seulement une réaction à une situation de retard, ce qui ne permet pas de soutenir une stratégie pérenne de long terme.

Enfin, je dirai un mot sur l'aide de l'État relative à l'établissement d'un réseau par un opérateur privé. De nombreuses collectivités souhaitent être associées au processus de décision. Elles se positionneraient ainsi dans un véritable rôle de codécision des politiques publiques nationales à l'échelle locale.

Nous prônons donc la pertinence d'un opérateur de réseau unique ayant la capacité de procéder à un aménagement progressif de l'ensemble du territoire. L'application de règles complexes et la présence de multiples acteurs ne permettent pas d'avoir une vue globale du secteur numérique. La mise en place de réseaux publics est préférable à l'octroi de subventions à des opérateurs privés, qui défendent leur seul intérêt individuel.

Une telle mise en place est nécessaire si l'on veut éviter les gâchis engendrés par la concurrence, notamment dans les zones rentables, où se superposent d'ailleurs pléthore de réseaux. Les milliards de profits du secteur démontrent qu'une autre répartition des richesses favorable à l'investissement productif est possible et permettrait un financement propre des infrastructures de réseau.

Nous appelons de nos vœux la résurgence d'un État stratège qui pilote, coordonne et soutienne réellement l'action des collectivités territoriales, tant l'aménagement numérique du territoire revêt un intérêt général national.

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Sénatrice de l'Allier depuis 2008, au sein du groupe communiste, républicain, citoyen (CRC). Maire de Lignerolles depuis 1995.    

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