Tous intermittents !

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Par Philippe Préval Modifié le 25 février 2017 à 21h32
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@shutter - © Economie Matin
2,4 millionsLa France compte 2,4 millions d'indépendants.

L’extension des conditions d’accès aux allocations chômage proposée, en particulier par Emmanuel Macron, peut paraître une mesure de simple ajustement à visée de justice sociale. Elle aurait toutefois de graves conséquences.

On prête à Emmanuel Macron et à son programme fantomatique, l’idée de vouloir faire bénéficier les employés démissionnaires des allocations chômage. Ces allocations ont pour objectif de permettre à ceux qui se retrouvent sans emplois de façon involontaire de percevoir un revenu le temps de retrouver un autre emploi. Le terme « involontaire » n’est pas anodin. Les ruptures conventionnelles sont toujours rédigées pour bien manifester que rien ne relève du confort ou de la convenance personnelle. On parle d’ailleurs d’assurance chômage qui signifie clairement qu’il s’agit de couvrir un risque, en l’occurrence, la perte d’emploi.

En modifiant de façon marginale, les conditions d’attribution de cette allocation, ?onsieur Macron en bouleverse en fait la logique. Il remet en cause la philosophie même de ce mécanisme qui ne serait plus une assurance mais un droit. Au surplus, dans une autre communication, il a fait part de sa volonté d’étendre le principe aux indépendants.

Changer la logique d’un système ou d’une institution est un bon moyen de créer des catastrophes pour la simple raison que ces modifications peuvent faire franchir des limites qui font sortir du cadre d’utilisation ou que, plus simplement, rien n’a été prévu ou même imaginé pour gérer les dérives suscitées par ces changements. Au surplus les effets négatifs sont souvent pernicieux car ils ne se manifestent que progressivement, discrets au début, plus forts à mesure que leur mise en œuvre s’étend et entre dans les mœurs. L’histoire industrielle est jonchée de ces détournements d’outils ou d’infrastructures qui se sont avérés catastrophiques. L’exemple commenté par Paul Watzlavitchdans dans Faites vous-même votre malheur, des hangars des fusées Saturne qui se sont avérés faire rouiller les fusées qu’ils étaient supposés protéger est à la fois amusant et éclairant pour comprendre que l’extension d’un système peut faire franchir ses limites d’utilisation.

Nous nous proposons donc d’évaluer séparément les conséquences de ces deux mesures car si elles se rejoignent dans le droit au chômage, elles sont fondamentalement différentes.

Intermittents du travail

Ouvrir les allocations chômage aux indépendants est une mesure apparemment sociale qui est en fait une généralisation du statut d’intermittents du spectacle. Outre que le milliard d’euros de déficit devrait faire réfléchir un politique avant d’en amplifier l’assiette (il y a tout de même 2,4 millions d’indépendants pour 250 mille intermittents), et qu’il est bien évident que cette mesure aura comme conséquence directe l’explosion des coûts, les conséquences indirectes nous semblent bien plus graves.

La généralisation des allocations chômage aux indépendants bouleversera les bases même de l’indépendance qui n’est pas un statut mais un état d’esprit : la liberté d’entreprendre. Le statut d’indépendant attirera beaucoup de candidats qui ne sont pas du tout faits pour cela et ces gens iront à l’échec.

Je me souviens d’un cours d’économie, pour élèves ingénieurs, où un de mes camarades demanda au chargé de cours s’il était possible d’envisager une assurance pour entreprise ou entrepreneur, à même de couvrir les cas d’échecs de l’entreprise. Le professeur avait eu un peu de mal à garder son sérieux mais il avait tout de même répondu que la question n’avait pas de sens, qu’on ne pouvait avoir une assurance pour la perte de son stylo, les tâches sur sa cravate, l’obtention d’un diplôme, la qualité de ses vacances ou la réussite de sa première sortie avec une petite amie. On ne pouvait assurer l’extensivité de la vie. Ou plutôt essayer de le faire n’amènerait qu’à se rendre compte que cela n’avait pas de sens économique. Entreprendre c’est prendre un risque. Ceux qui sont rétifs à la notion de risque ne sont pas faits pour entreprendre. S’ils le font, attirés par des mesures fallacieuses, ils vont au-devant de grandes déconvenues.

Quand il y a 40 ans, Raymond Barre proposait aux chômeurs de « créer leur entreprise », lui-même étant un pur fonctionnaire, un universitaire n’ayant jamais pris le moindre risque, il n’était pas seulement léger, il manquait d’humanité car il savait bien que tout le monde n’est pas fait pour ça et que ce faisant qu’il risquait d’envoyer, à leur grand dam, des gens dans une voie qui n’était pas la leur.

Cette mesure polluerait totalement la libre entreprise et aurait, au-delà des conséquences financières, des conséquences humaines très lourdes.

Le chômage après une démission

La mise en œuvre de la rupture conventionnelle a facilité les modalités de séparation entre une entreprise et un de ses employés. Cette mesure récente est un progrès qui permet d’éviter de prolonger des situations d’échec et d’entrer dans des guerres de tranchées où les uns et les autres « montent des dossiers ». Toutefois on note déjà des dérives. Il n’est pas rare qu’un jeune employé, voulant changer d’orientation, vienne voir son chef pour lui proposer rupture conventionnelle, alors qu’il n’est pas du tout en situation d’échec, et qu’il souhaite simplement se donner le temps de réfléchir. Il s’agit tout simplement d’une escroquerie aux allocations chômage mais certains acceptent de se prêter à ce jeu.

Généraliser le processus, en retirer les garde-fous, aura là aussi une conséquence financière directe, ce qui devra être supportée par l’économie mais surtout une conséquence indirecte qui sera l’augmentation du turn-over dans les entreprises, en particulier les entreprises technologiques. Le turn-over est un des enjeux de l’entreprise, trop faible elle se sclérose, trop fort, elle perd son savoir-faire. C’est l’une des difficultés du marché indien de l’informatique: les employés quittent les entreprises à peine leur formation achevée. Mais le marché indien corrige ces difficultés par sa dynamique. Il est difficile de trouver des collaborateurs ou de les garder, mais il est facile de trouver des marchés qui permettent d’attirer de nouveaux collaborateurs... Dans le cas qui nous concerne, le turn-over n’aura aucune base économique, donc aucune compensation.

Cela va bien au-delà. Il n’est pas toujours facile de se lever le matin pour aller travailler, il n’y a pas que du plaisir à travailler, c’est aussi une contrainte.Nous ne vivons pas au paradis, la terre et l’entreprise ne sont pas peuplées de bisounours. La perspective de perdre son emploi et les difficultés qui s’ensuivent est, qu’on le veuille ou non, une source de motivation, à tout le moins un élément structurant.

Ôter ce garde-fou, c'est généraliser les démissions de complaisance, de caprice, d’impulsion ouvrant droit à quelques mois de vacances. C’est un dévoiement de la civilisation du travail. Je connais une usine à Bobigny qui a du mal à faire signer des CDI, les ouvrières préférant se contenter d’un mélange de CDD, de chômage et de RSA. Elles gagnent moins bien leur vie, ne progressent pas mais travaillent moins. Ça existe, c’est comme ça ! Nous vivons sur la terre, pas dans un monde idéal.

Proposer des mesures sans en évaluer les conséquences y compris les dérives, n’est pas une attitude responsable. L’esprit de l’entrepreneur le conduit non seulement à évaluer positivement un plan d’action mais aussi à imaginer le pire et à calculer ce qu’il peut coûter. Sans cette attitude intellectuelle, il peut réussir provisoirement mais finit toujours mal. Il est dommage que cette façon de penser soit si peu présente en politique.

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Philippe Préval est entrepreneur, DG de la société Lusis et candidat-citoyen à l’élection présidentielle.

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