À l'instar de la Deutsche Bank actuellement en difficulté, ils semble que toutes les banques systémiques du monde entier aient pris l'habitude de publier des bilans comptables "arrangés" faisant apparaître des ratios de solvabilité particulièrement flatteurs qui les font paraître bien plus solides qu'elles ne le sont en réalité.
Depuis quelques jours, l'actualité financière (mais pas seulement) vibre au gré des soubresauts de la Deutsche Bank dont certains semblent découvrir avec effarement l'extrême fragilité au lendemain d'une condamnation à payer une amende, certes considérable mais qui, normalement, ne devrait pas être de nature à l'ébranler sur ses bases. Plus globalement, le public est en train de découvrir ce que les experts savent en revanche depuis très longtemps, à savoir que les institutions financières les plus puissantes du monde, celles sur lesquelles repose la stabilité économique de la planète tout entière, ces banques que l'on appelle systémiques, n'ont finalement rien appris de la crise de 2008 et, pire encore, se sont encore davantage approchées du précipice.
Une banque qui a continué à s'exposer de façon inconsidérée
Cela fait quelques années qu'on entend parler de "banques systémiques", à savoir des banques dont la faillite pouvait causer d’énormes dommages au système bancaire mondial. Le G20 en a même dressé une liste. Elles sont au nombre de 28 et, parmi elles, on trouve effectivement la Deutsche Bank dont on sait désormais qu'elle a, à la fois, trompé les marchés, manipulé les cours des métaux précieux et accumulé les positions risquées au point d'arriver aujourd'hui à plus de 72 000 milliards de dollars d'exposition sur les produits dérivés. Pour rappel, les produits dérivés sont des instruments financiers censés anticiper les cours futurs mais dont la multiplication abusive et incontrôlée à donné naissance à tout une panoplie d'actifs toxiques dont lessubprimes ne sont qu'un exemple parmi d'autres. Autant dire qu'avec plus l'équivalent de plus de 20 ans de PIB allemand misés sur ce genre de produits, et seulement "quelques" dizaines de milliards d'euros réellement en caisse, la Deutsche Bank est dans une situation particulièrement délicate.
D'ailleurs, les marchés ne s'y sont pas trompés et, plus douloureuse encore que l'amende de 14 milliards de dollars réclamée par les tribunaux américains, c'est bien la chute phénoménale du cours de son action (50% en 1 an et 90% depuis 2007) qui traduit le mieux la position inconfortable dans laquelle la première banque allemande (et même européenne !) se trouve aujourd'hui.
Les principales banques françaises également concernées
Mais gardons-nous bien de jeter l'opprobre sur nos voisins d'Outre-Rhin car notre position n'est guère plus enviable. En effet, parmi les 28 banques systémiques listées par le G20, on trouve également la BNP, la Société Générale, le Crédit Agricole et le groupe BPCE, soit l'essentiel du tissu bancaire français. Or, il semblerait que leur situation comptable soit, sinon identique, au moins comparable à celle de la Deutsche Bank. Car, justement, toute la subtilité du montage risqué dans lequel tous ces établissements se sont engagés tient uniquement et simplement... à la présentation de leur bilan comptable.
Et si aujourd'hui, toutes ces banques commencent sérieusement à s'inquiéter c'est parce que la réalité, cette mauvaise fille, a décidé de contredire tous les modèles mis en place pour masquer des prises de risques inconsidérées qu'on pensait pouvoir équilibrer par le jeu des marchés, lesquels ne pouvaient bien évidemment que croître sur le long terme.
Sauf que cela ne s'est pas passé comme on l'espérait. Aujourd'hui, la croissance mondiale est en berne, les banques centrales ne savent plus quoi inventer pour soutenir l'économie, au point de proposer désormais des taux d'intérêt négatifs, et le système financier dans sa globalité semble ne plus vouloir se conformer aux modèles théoriques dans lesquels on l'avait pourtant jusqu'ici contenu. Le moment de stupeur passé, il a donc bien fallu prendre des mesures, à commencer par mettre à plat tous le bilans afin de redresser ce qui pouvait l'être. Et c'est là que les (mauvaises !) surprises sont apparues.
Un monde où l'on respecterait les ratios de solvabilité
Afin de garantir la stabilité des marchés financiers et ne pas exposer les banques à une faillite à cause d'un défaut généralisé de leurs débiteurs, les instances internationales de régulation ont exigé que les banques disposent d'un minimum de fonds propres par rapport aux sommes inscrites à l'actif de leurs bilan. Cesfond propres réglementaires sont fixés de manière régulière, en fonction du climat économique mondial et sont censés permettre aux banques de supporter la plupart des risques inhérents à leur rôle sans faire faillite. La dernière réforme en date, dite des "Accords de Bâle III" en 2010, impose donc un niveau de ressources durables (capital social + réserves, en gros) au moins égal à 8% des sommes inscrites au bilan, ce ratio de solvabilité devant d'ailleurs être porté à 10,5% d'ici 2019.
Et lorsque l'on regarde le bilan de toutes ces banques systémiques, on constate avec plaisir qu'elles bénéficient d'un niveau de réserve prudentielle bien au-delà de ces chiffres, dépassant souvent les 15%. On peut donc se rendormir tranquillement, nos banques sont solides et tout va bien dans le meilleur des mondes.
Une réalité comptable bien plus sombre... voire obscure
En fait, non. D'abord, si les banques s'efforcent de nous montrer qu'elles ont au moins 15% de réserves durables dans leurs caisses, ce n'est pas un hasard. Récemment, le FMI rappelait que le ratio de solvabilité des banques devait justement se situer entre 15 et 23% pour éviter tout risque de reproduire la catastrophe de 2008. Qu'à cela ne tienne, Deutsche Bank, BNP, Crédit Agricole et toutes leurs copines se sont donc efforcées de présenter des bilans comptables qui ont le bon goût de répondre idéalement à cette recommandation. Mais tout cela n'est en réalité qu'une simple question de présentation des bilans.
Du reste, même en ne tenant compte que des exigences minimales des autorités financières (8% hors matelas de sécurité), rares sont les banques systémiques à être véritablement dans les clous. L'astuce, c'est que cela ne se voit pas tout de suite car, en effet, la présentation des bilans comptables de toutes ces grandes banques s'appuie sur le système américain, lequel s'intéresse davantage auxdifférences de soldes plutôt qu'aux flux réels de valeurs. En clair, là où un bilan européen enregistrerait par exemple une recette de 100€ (à l'actif) et une dépense de 95€ (au passif), le bilan américain, quant à lui, se contente de mentionner la "compensation" entre les flux, soit ici un actif de 5€. Dans ces conditions, en minimisant la réalité du bilan, il est facile d'obtenir un niveau de réserve prudentielle élevé.
Des ratios de solvabilité réels divisés par 5 ou 6
Certains se sont alors "amusés" à calculer le ratio de solvabilité réel des banques systémiques, et le moins qu'on puisse dire c'est que ce n'est vraiment pas fameux. Ainsi, pour reprendre l'exemple de la Deutsche Bank qui truste actuellement les colonnes des principaux journaux économiques de la planète, elle présente 56,5 milliards d'euros de capital, dont 51 milliards dits de "Tier 1" (le plus solide). Comme elle déclare en outre un total d'actifs de 334 milliards d'euros (aux normes comptables américaines), on est bien sur un ratio de solvabilité supérieur à 15%.
Sauf que, dans les faits, les 334 milliards correspondent aux "risk-weighted assets", c'est à dire les actifs pondérés par le risque. En gros, on enlève tout ce qui est risqué. Le montant total réel des actifs s'établit plutôt à 2012 milliards d'euros selon le modèle comptable européen (le plus complet et le plus fiable), ce qui ramène le ratio de solvabilité réel à... 2,5% !
C'est même l'un des plus mauvais scores parmi toutes les banques systémiques. Une seule banque fait encore moins bien, avec un niveau d'actifs similaire mais des capitaux quasiment deux fois moindres et un ratio de solvabilité fluctuant entre 1,2 et 1,4%. Et cette banque, c'est notre bon vieux Crédit Agricole ! Quant à toutes les autres, elles présentent un pourcentage de réserves prudentielles compris entre 3 et 5% en moyenne, la meilleure d'entre elles, l'américaine Wells Fargo, affichant fièrement un ratio de 7,6%, soit même pas le minimum requis par la réforme de "Bâle III" censée, rappelons-le, prévenir toute nouvelle crise financière.
Ceux qui pensent qu'on est mal partis, levez la main.
Article écrit par Jean-Fraçois Faure pour sa page LinkedIn Pulse