La « fertilisation croisée »: un vecteur d’innovation

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Par Robert Moor Modifié le 11 avril 2013 à 0h26

Dans une conjoncture économique difficile, les entreprises cherchent des relais de croissance: l'innovation – grâce à la fertilisation croisée - est incontestablement un formidable vecteur de développement à terme.

La France produit moins de grandes entreprises innovantes depuis 40 ans, si ce n'est pas fusions et rapprochements industriels : 3ème pays scientifique en 1970, 5ème en 1985, encore 7ème en 1995, la France n'est plus désormais qu'à la 14ème place mondiale en termes d'effort financier consacré à la recherche.

Le poids de la dépense intérieure R&D dans le PIB a été de 2,25% en 2011, indice qui s'est amélioré mais reste en-deçà de l'objectif de 3% en 2020 fixé par l'Union Européenne. La désindustrialisation de l'économie française a inévitablement pénalisé la R&D privée et publique ; réciproquement, le fléchissement des dépenses investies en R&D a pesé sur l'industrie. Les entreprises françaises sont de moins en moins présentes dans les secteurs les plus intenses de la R&D : transport, technologie de l'information et de la communication, pharmacie, électronique et chimie notamment.

Or, il n'y a pas de fatalité : à l'heure où il est question d'innovation « ouverte », « pull » ou « push », certaines entreprises ont fait de la fertilisation croisée- interne et externe- leur credo en mettant en place une stratégie offensive.

Hormis l'effet sérendipité où une découverte heureuse et inattendue se fait accidentellement lors d'une recherche dirigée initialement vers une autre recherche, aucune entreprise ne peut assoir son « business model » uniquement sur le hasard ou la chance en matière de R&D.
Car l'innovation est avant tout un état d'esprit et une volonté d'inventer pour avancer, qui doivent être génétiquement inscrits chez tout industriel et faire partie de son ADN.

La créativité technologique qui apporte des réponses nouvelles face aux besoins évolutifs n'a pas de limite. Chercher et trouver est une organisation et une prise de risque. Extrapoler une découverte est un talent, une disposition, une aptitude et c'est toute la force de la fertilisation croisée.

Les exemples foisonnent où une recherche en laboratoire aboutit à une découverte qui sait être déclinée dans d'autres domaines que celui initialement prévu. Ainsi, dans l'industrie chimique, les produits créés pour le textile traitent le coton qui provient de la cellulose ; or la cellulose étant utilisée dans l'industrie papetière, il est judicieux – par analogie – d'utiliser ce savoir-faire pour pénétrer ce nouveau marché. Dans la même logique, des produits créés pour les peintures sont appliqués pour le couchage du papier, l'enduction de films plastiques voire l'enrobage de semences.

Les industriels sont friands de nouveautés : il en va de leur continuité pour avancer techniquement et se développer économiquement

Outre la curiosité scientifique et prospective qui favorise la transposition de découvertes, les entreprises industrielles doivent oser l'aventure de la diversification, pour affermir leur stratégie en R&D dans une démarche continue d'innovation. Mais rares encore sont celles qui en font une réalité quotidienne.
Concrètement, la mise en place d'une « Innovathèque » au sein de chaque laboratoire industriel pour travailler sur des thématiques pertinentes et économiquement viables au regard des activités présentes et futures de l'entreprise est bénéfique. Il importe de recenser les compétences et savoir-faire afin d'apprécier les secteurs où précisément, une innovation utilisée pour une application précise peut être extrapolée et expérimentée dans d'autres domaines.

La mise en place d'un tel outil encourage l'anticipation des tendances sur les marchés de demain, les réponses innovantes et réactives et leur matérialisation. Cela maximise la créativité et l'efficience associées à des projets d'envergure avec la mobilisation de nouvelles forces et permet d'intégrer dans le processus de la R&D largeur d'esprit et hauteur de vue.

Il résulte de cette fertilisation croisée au sein même de chaque entreprise une valorisation de la recherche puisqu'il y a une démultiplication possible des découvertes profitables. Cette démarche pousse à l'exploitation des sous-produits - laquelle engendre nécessairement des économies financières et la réduction de l'empreinte environnementale.

Cette approche est productive pour autant que d'autres laboratoires, centres de recherche, universités, établissements scientifiques, sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) s'invitent - à leur initiative - chez les industriels.

Depuis une trentaine d'années, innover est devenu de plus en plus technique, réglementé, pluridisciplinaire.

D'où la nécessité de s'ouvrir en se tournant vers l'extérieur pour promouvoir davantage la fertilisation croisée et devancer les tendances avant-gardistes du marché.
L'innovation peut et doit même venir du dehors : or, l'innovation ne se décrète pas, c'est le fruit de millions d'idées, de l'intelligence collective, par essence disséminée.
En coopérant avec des laboratoires, centres de recherche, universités, établissements scientifiques, SATT, et les autres sociétés, la fertilisation croisée permet de rompre avec la fragmentation des thématiques, d'explorer des domaines nouveaux, de maîtriser le risque de l'aventure pour pénétrer de nouveaux marchés, grâce au co-développement d'applications porteuses avec des partenaires.

Conscients de cette nécessité, la Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et le Ministre du Redressement Productif – qui devrait être celui du Développement Productif – ont présenté, lors du Conseil des Ministres du 7 novembre 2012 une communication relative à la nouvelle politique de transfert pour la recherche, avec en particulier le renforcement des dispositifs de transfert vers les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

En pratique, le transfert qui correspond aux actions pour passer – via une innovation – d'un résultat de recherche ou plutôt d'une trouvaille à un impact économique doit être assuré par la mobilité des chercheurs du public ou en détachement vers les entreprises, par des projets communs entre la recherche publique et les entreprises...

Renforcer les programmes de recherche communs est aujourd'hui une priorité pour doper les découvertes et se mobiliser en faveur du progrès scientifique.
Le décloisonnement entre public et privé, entre la recherche fondamentale et les applications industrielles, les chercheurs et les ingénieurs, les laboratoires et les entreprises est inéluctable et incontournable pour l'innovation: ce sont autant de projets de recherche, créateurs de valeurs, qui pourront émerger - à court et moyen termes - avec l'idée sous-jacente de se positionner sur des marchés prometteurs.

La fertilisation croisée - qui peut être multiforme -doit être encouragée, plutôt que par des versements monétaires, en détachant des chercheurs de leur centre de rattachement, en stimulant la recherche dans les différentes sections d'un même laboratoire...
L'accès à de nouvelles compétences est facilité, les investissements de R&D sont optimisés, les délais de mise sur le marché de nouveaux produits réduits, la pression de la concurrence est amoindrie ; à la clé, de nouveaux emplois et une alternative aux délocalisations.

Tous ceux qui œuvrent en faveur de l'innovation doivent se nourrir mutuellement et créer les conditions propices à une dynamique collective, pour un bénéfice mutuel, avec l'accès à de nouvelles expertises et technologies scientifiques et techniques. C'est cette volonté de fond transformatrice qui est la source de la fertilisation croisée.

Il y a urgence à pourfendre le déclinisme et à soutenir la réindustrialisation : la fertilisation croisée est à l'évidence un levier pour une innovation féconde et plus productive, à même de dynamiser la recherche et l'industrie française qui se doit d'assurer sa place face aux enjeux de la mondialisation.

La culture de l'échange et des collaborations doit être mise en œuvre, de façon constructive, pour retrouver la spirale vertueuse d'une culture « innovatiste », inventer et fabriquer notre futur ...

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Robert Moor,Ecole Centrale de Paris, commence à travailler à 22 ans pour la petite société familiale PROTEX, spécialisée à l’origine dans le textile (d’où le nom PROduits TEXtiles). La société se diversifie rapidement dans d’autres niches : papier, électronique, peintures et encres… par le biais de la « fertilisation croisée », i.e. chaque fois que cela est possible une innovation déclinée pour une application précise est diffusée dans d’autres domaines (Les produits créés pour le marché textile traitent le coton qui provient de la cellulose. Comme le papier est à base de cellulose, il est judicieux, par analogie, que Protex se diversifie dans les produits destinés à la filière papier) tout en développant les activités du Groupe à l’étranger.

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