On situe au Cambrien l'apparition massive et « soudaine », voici 530 millions d'années, de la plupart des organismes pluricellulaires dont les descendants existent aujourd'hui. L'explosion actuelle des projets tournant autour de l'innovation sociétale pourrait se comparer à ce temps lointain, en plus rapide...
L'innovation est partout, sitôt que l'on ouvre son navigateur ou son mail, sur Twitter et sur les affiches du métro. Ce n'est pas nouveau ! Voici un moment qu'elle règne sur le palmarès des valeurs invoquées par les entreprises (elle a dépassé la Qualité entre 2009 et 2013, présente dans 34% des discours corporate selon l'index de l'agence Wellcom )... Mais depuis peu, l'innovation a partie liée avec l'évolution sociétale, l'économie solidaire, la French Tech, l'écologie et la geek culture. Elle transcende les frontières entre public et privé, génère ses propres lieux et ses propres concepts d'action collective (ce que le sociologue Alain de Vulpian qualifie de « nouveaux animaux » ) tels que les fablabs, les groupes FaceBook ou même les plateformes web qui connectent les projets entre eux. Les initiatives se créent quotidiennement à une telle vitesse qu'elles se recombinent pour former des écosystèmes entiers, qui sont des solutions plus complexes, comme par exemple UP Campus, Ouishare ou l'Assemblée Virtuelle. Le tout donne un véritable sentiment d'exaltation, voire de frénésie (cf le blog du Monde intitulé les clés de demain). Tout est bon à prendre, si c'est disruptif. Au passage, les industries classiques sont suiveuses. Tout se passe comme si les choses cherchaient d'autres moyens pour se faire fabriquer.
Un tel emballement ne peut s'expliquer par le seul biais culturel consistant à privilégier le nouveau dans notre perception du monde et notre partage d'information (« quoi de neuf ? »). Parmi les biais cognitifs répertoriés, si celui du « statu quo » implique réticence face à la nouveauté, celui de « l'ancrage mental » donne une prime à la première fois, comme pour des pas dans la neige. On reconnaîtra ici l'oubli rapide que subit toute information qui se répète dans les médias, en dépit de sa gravité. Nous vivons dans ce que Herbert Simon a baptisé l'économie de l'attention, un monde où « la rareté devient ce qui est consommé par l'information : l'attention de ses receveurs .» Mais ce facteur explicatif n'est certainement pas suffisant : il faudrait y ajouter le sentiment d'urgence civilisationnelle occasionné par des rapports comme ceux du GIEC sur le climat ou du Club de Rome sur les limites à la croissance, ou plus concrètement par la débâcle de villes industrielles comme Detroit. L'attrait de l'innovation se trouve au cœur d'un cocktail motivationnel jamais vu, qui réunit à la fois peur, plaisir, foi, intelligence, révolte et intérêt économique.
Pour un méméticien, les solutions – récentes, comme l'impression 3D, ou ancestrales, comme le troc –sont des réalités assimilables au vivant qui, par leurs manifestations répétées, se transmettent et s'adaptent, pour leur propre compte, comme pour l'évolution naturelle. Le résultat en est difficilement prévisible, par nature chaotique. À chaque répétition, elles consomment les ressources du tissu social, pour autant qu'elles arrivent à les mobiliser. Parmi ces ressources figurent en première place l'attention, la volonté et la capacité de faire ensemble. Tant que nos ressources psychiques et matérielles seront limitées, certaines solutions s'adapteront mieux que d'autres et le tout ouvrira la voie à un monde encore insoupçonné.
Si l'on admet cette hypothèse d'une « explosion de vie » en cours, alors qu'est-ce fera le tri ? Entre la main invisible de la crise, de nouveaux rêves de puissance et une redéfinition éthique du capitalisme, comment se dessinent les pressions de sélection naturelle ? Y pouvons-nous quelque chose ? C'est l'une des questions qui seront explorées le 2 décembre lors de l'Innovation Ecosystems Agora.