Innovation : le gâchis des aides publiques

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Par Charles Sannat Publié le 19 novembre 2012 à 11h04

Il faut relancer l’innovation. Le rapport Gallois sur la compétitivité mettait en avant la nécessité de relancer et de développer l’innovation afin de redonner un élan aux entreprises françaises et donc à l’emploi. Pour cela, Monsieur Gallois préconise de renforcer les aides financières via le « crédit impôt recherche » pour faciliter et financer l’innovation. L’idée est belle mais, hélas, l’innovation n’est pas qu’une question d’argent, loin de là. Avant de détailler quelques statistiques sur le nombre de dépôts de brevet dans le monde et le classement par entreprise et leur nationalité, je souhaitais vous raconter une expérience personnelle sur l’innovation dans une grande entreprise française.

Ancien de BNP Paribas, je prendrai volontairement l’exemple de cette société qui est l’une de nos championnes et qui est une grande et belle société tricolore. Quelques consultants grassement payés sont venus un jour dans cette grande banque. Ils ont réuni quelques dizaines de personnes pendant plusieurs mois. Au bout de ce travail… une démarche qui devait permettre à tous les niveaux, même les plus bas, de faire remonter des « propositions » d’innovations. L’un de mes plus proches collègues de l’époque, encore un peu jeune en terme de maturité et cherchant à se faire remarquer par sa hiérarchie, pensait avoir trouvé le Saint Graal en proposant de nombreuses innovations « innovantes ». Comme il m’en parlait, je peux vous assurer que ces innovations étaient globalement dignes d’intérêt.

Un jour, son téléphone sonne. Le grand patron veut le voir pour ses innovations. Il est très fier de lui et pense avoir réussi son coup. Il a été remarqué. Je ris sous cape avec un certain scepticisme et lui recommande une certaine « sobriété ». Il rentre deux heures après, totalement dépité et scandalisé. On lui avait demandé ni plus ni moins d’arrêter de proposer des innovations car cela ne se faisait pas. Il faut dire qu’au même moment le vraiment très grand patron, c’est-à-dire le directeur général de la banque, déclarait publiquement et très sérieusement que « commencer à réfléchir, c’est commencer à désobéir ». Proposer des innovations c’est donc en réalité remettre en cause le fonctionnement actuel d’une entreprise. C’est montrer que l’on peut faire mieux et différemment. C’est donc une remise en cause du travail forcément brillant du Politburo, pardon… de la sainte hiérarchie.

Nier ce principe de base qui sape la créativité de nos entreprises est faire une erreur fondamentale. Ce n’est pas l’argent pour innover qui manque à nos entreprises. C’est la capacité de tous à se remettre en cause et c’est bien sûr valable pour nos patrons qui, de façon générale, ne supportent pas la contradiction. Vouloir innover, c’est commencer à mener une réflexion. Innover c’est forcément réfléchir. Or, si on vous dit que réfléchir c’est désobéir, innover devient de fait une désobéissance intolérable. Par voie de conséquence, l’innovation devient impossible. Vouloir innover, c’est accepter qu’une idée puisse jaillir d’un petit esprit, des sans-grade, des crétins d’en bas… Or, c’est bien connu, le crétin d’en bas doit savoir rester à sa place. Le bon crétin d’en bas est celui qui se tait. Combien de batailles ont-elles été perdues par des généraux ou des politiques coupés des réalités du terrain? Pourtant, étant le plus proche de la réalité, c’est en général le crétin du bas, méprisé par les « hautes instances », qui a les meilleures idées. Vouloir innover, c’est accepter de prendre des risques. Or prendre un risque c’est dangereux en soi, mais dans le cadre de l’entreprise c’est particulièrement nocif pour une carrière. On reproche rarement à un directeur un choix sage et rationnel, même s’il tourne mal ou n’apporte rien ou presque à l’entreprise. On reprochera bien vite les initiatives qui seront vite qualifiées d’hasardeuses ou d’agressives…

Cela nous amène vite à la situation suivante si bien résumée par la citation : « Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi ceux qui voulaient faire la même chose, ceux qui voulaient le contraire et l’immense majorité de ceux qui ne voulaient rien faire. »

L’innovation technique, l’innovation marketing, l’innovation organisationnelle. Vous l’aurez compris lorsque l’on parle innovation, on imagine avant tout une innovation technique. Les innovations techniques sont essentielles bien évidemment et il ne s’agit pas de dire qu’elles ne comptent pas. Mon propos est juste d’attirer l’attention sur le fait que les innovations marketing, c’est-à-dire la capacité non pas du savoir-faire mais du faire-savoir, et que les innovations organisationnelles sont également très importantes dans un processus de compétitivité, puisque c’est bien de cela que l’on parle ou en tout cas que l’on vise.

Savoir faire plus avec moins requiert de l’imagination, de la créativité et donc fondamentalement de l’innovation. Or nous pouvons tous constater à quel point les progrès sont lents notamment dans l’administration qui, à l’ère du Web 2.0, continue à nous demander de remplir des formulaires papiers en triple exemplaire avec des cases toujours trop petites par rapport aux informations que l’on doit mettre dedans… Toujours pas de signatures numériques, toujours pas de dématérialisation ou très peu, pas d’automatisation mais des tâches administratives absurdes qui n’ont plus aucun sens lorsque les innovations techniques sont là. Elles sont là, les innovations techniques. Elles ne sont pas utilisées ou sous-utilisées. Je voulais juste pointer du doigt que la technique peut être là, mais pas l’innovation organisationnelle et les deux sont intimement liées.

Pour avoir pratiqué comme banquier nos amis d’OSEO ou de l’ANVAR à l’époque, j’ai toujours été ahuri par le gâchis énorme de l’aide à l’innovation. Une simple recherche sur Internet vous donnera le nom de dizaines de sociétés spécialisées dans le racket d’État, heu pardon, dans l’aide à l’obtention de subventions. Elles sont bien ces entreprises. Elles se font même rémunérer à la commission. Un pourcentage des sommes versées par l’Etat. 10 % par exemple. Aucun risque pour l’entreprise qui les mandate qui ne paie rien si elle n’obtient rien.

Mais comment voulez-vous choisir de financer tel ou tel projet ? Sur la base de quels critères ? Pourquoi privilégier la recherche sur telle voie technique plutôt que sur telle autre ? Bref, des centaines de questions d’ordre technique et scientifique dont la maîtrise n’est pas à la portée des hommes et des femmes de ces agences gouvernementales. Résultat de toutes nos politiques d’innovations ? On saupoudre des milliers de projets de quelques dizaines de milliers d’euros, tout en sachant que voir des subventions de 500 000 euros pour un projet n’est pas rare du tout. Ces 500 000 euros permettent souvent l’acquisition d’outils de démarchages commerciaux comme une BMW série 5 dernier modèle en leasing… Aux frais du contribuable et au détriment de notre balance commerciale.

J’ai vu trop, beaucoup trop d’abus et, pendant plus de 10 ans, pour ne pas être désabusé par toute idée qui consiste à dire que l’État, c’est-à-dire nous, les contribuables, allons donner de l’argent à des entreprises pour qu’elles innovent !! L’innovation est un processus complexe et en réalité l’argent y est totalement secondaire. Enfin, vouloir investir l’argent des autres dans des projets qui ne sont pas les siens n’a pas grand sens et ne peut pas donner de bons résultats à l’arrivée. Il ne faut pas être naïf. Cela ne marchera pas. La seule chose qui puisse fonctionner, c’est de confier l’innovation à des fonds de placements qui vont décider où investir. C’est exactement le métier des « capitaux risqueurs ». Et, jusqu’à maintenant, ils l’ont toujours globalement bien fait.

Cette politique d’aide à l’innovation est donc une tentative stupide de réinventer l’eau chaude avec des organismes qui existent déjà et qui n’ont jamais permis l’émergence d’une technologie ayant changé le monde… mais qui nous ont coûté déjà des dizaines de milliards pour pas grand-chose. Mais on va recommencer avec les idées qui ne fonctionnent pas. Lassant.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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