Tout ou presque a été évoqué sur les retraites en France. Sauf la grande et coûteuse injustice entre le privé et le public, un sujet tabou que semblent fuir les médias. A leur décharge, sans un examen sérieux, il est quasiment impossible de s'y retrouver dans cette nébuleuse. C'est à croire que chaque futur retraité aura son propre régime et se rêve en expert-comptable DSCG pour estimer quel sera son revenu (bienheureux s'il y en a un) à la fin de sa vie active. On sait aussi que le système français court à sa perte : le déficit des régimes de retraite pourrait atteindre 21,3 milliards d'euros en 2017 selon le Conseil d'orientation des retraites. Celui-ci a trois mois pour tenter de limiter la casse en faisant des propositions acceptables par tous dans un contexte social quasi insurrectionnel.
Du temps de Sarkozy malgré la violence des crises successives, la confiance était là, les forces vivent ne fuyaient pas encore la France, la courbe du chômage était encore maîtrisée, la croissance renaissait après le tsunami conjoncturel mondial. Celle-ci n'était pas encore l'Arlésienne qu'elle est devenue depuis l'avènement des socialistes. François Hollande, idéologie et promesses électorales obligent, s'obstine à creuser le fossé entre le privé et le public. Aujourd'hui pressé par Bruxelles de redresser les comptes publics et la compétitivité, il devrait faire enfin face à ses responsabilités... Après l'incompréhensible retour à la retraite à 60 ans pour certains, et la calamiteuse suppression de la journée de carence pourtant salutaire contre l'absentéisme chronique et si coûteux des agents de l'État, François Hollande s'apprête à sabrer les pensions. Mais lesquelles au juste ?
Le Président de la République vient d'annoncer que « des choix courageux » devraient être faits «dans l'année» pour assurer l'avenir des retraites. Soit ! En toute logique, puisqu'il s'agit de « courage », le gouvernement doit demander au secteur public l'effort correspondant à celui qu'on a depuis toujours exigé du secteur privé, qu'en pensez-vous ?
Le système par répartition trouve son fondement en France depuis le Moyen-Age où la vie des anciens reposait sur la solidarité intergénérationnelle. Au fil du temps, sous l'influence des syndicats corporatistes, ce principe a sombré dans une effroyable complexité. Depuis 20 ans et malgré les avancées de la droite, la fracture entre privé et public reste béante :
Des inégalités flagrantes
> Est-il « normal », alors que les contribuables sont matraqués par Bercy, que cette opacité masque opportunément des injustices entre public et privé ainsi que les surcoûts inutiles de gestion engendrés par cette complexité pour l'ensemble de la collectivité ? Il faut simplifier !
> Est-il « normal » que les réglementations contraignantes soient appliquées (et encore partiellement) à la fonction publique, avec un retard de 5 à 15 ans, ce qui engendre outre un sentiment de profonde injustice avec ce très joli cadeau aux bénéficiaires, un coût considérable pour les finances publiques ? Le président veut gouverner par décret et bien décrétons la synchronisation !
> La base des 75% du salaire moyen des 6 derniers mois (salaires les plus hauts) prévaut toujours dans la fonction publique contre les 25 meilleures années dans le privé. Cela encourage les petits arrangements, les promotions et augmentations de salaire des actifs quelques mois avant leur départ en retraite. Peut-on encore tolérer que cette pratique soit si fréquente dans le secteur public qu'elle porte le nom de « Coup de chapeau » ? Portons un coup d'arrêt à ces abus. Uniformisons la période de référence !
> Doit-on encore admettre que l'écart de niveau de pension reste si important même pour les carrières complètes : en moyenne 1.920 € par mois pour la fonction publique et autres régimes spéciaux, contre 1.520 € pour le privé ? Une refonte systémique doit venir à bout de ces injustices !
> Est-il admissible que les veuves de fonctionnaires cumulent intégralement leur retraite et la réversion de leur conjoint décédé sans aucun plafond, alors que les autres obtiendront une pension de réversion plafonnée et sous conditions liées au mariage, à l'âge et à des ressources inférieures à 1634 € par mois ? Mettons un terme à l'inégalité. C'est l'un ou l'autre, mais le même pour les deux catégories privé public !
> 30% des effectifs de fonctionnaires dits « actifs » eu égard à leur exposition aux « risques et à la pénibilité » anticipent leur départ à la retraite dès 52, 55 ou 57 ans... Où est l'égalité de traitement alors que dans le privé, les mêmes métiers (soignants, enseignants, etc...) n'ouvrent droit à aucun avantage, quand bien même les dangers encourus ou la pénibilité subie seraient égaux ou supérieurs à ceux supportés dans le secteur public ? Revoyons sérieusement les critères de pénibilité dont certains remontent à 1853 !...
> Les taux de cotisation employeurs varient du simple au quadruple entre régimes privé et public : 15% dans le privé qui reste stable, jusqu'à 70% pour les fonctionnaires d'État indique la Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques publiques. Les déficits croissants des retraites d'État sont-ils une fatalité ? Il est proprement scandaleux que l'État (c'est à dire nous contribuables) cotise pour ses agents à des niveaux aussi éloignés du privé. Rétablissons l'équilibre !
> Peut-on encore accepter, alors que ceux-ci sont au bord de la faillite, de voir les régimes complémentaires du privé ARRCO - AGIRC pillés pour financer le coût exorbitant des retraites non provisionnées des agents RATP, EDF et bientôt les gouffres financiers que sont La Poste - 70 milliards d'euros non provisionnés aux dernières nouvelles, et la SNCF - 73 milliards d'euros ?
On pourrait ainsi poursuivre la liste, entrer dans le détail mais nous y passerions l'année, et le temps presse ! Il y a 3 millions d'anciens fonctionnaires sur un total actuel de 16 millions de retraités. Cette situation ubuesque ne peut plus durer à l'heure où les Français sont matraqués par Bercy, où les caisses de l'État sont vides et où gronde la révolte. On ne peut imaginer que les sacrifices des retraités ne soient équitablement répartis entre le public et le privé. On ne peut admettre que ceux qui créent la richesse du pays soient toujours moins bien traités que ceux qui vivent des prélèvements sur cette richesse. Le COR réfléchit actuellement sur ce dossier explosif. Saura-t-il impulser l'abolition des privilèges au profit de cette inestimable « égalité » gravée aux frontons de nos mairies ?
Le COR, une caricature de représentation démocratique
Il semble bien qu'avant d'envisager de plancher sur une réforme vitale des retraites, il faille entamer de toute urgence celle en profondeur du COR pour une vraie représentation démocratique de la nation. En effet, sur les 39 membres du COR chargés de trouver un consensus, on compte :
- un seul retraité, représentant 25% de la population totale, pour 28 actifs, seul représentant en titre pour quelque 16 millions de retraités alors qu'il suffit de 273 000 fonctionnaires pour désigner un représentant du secteur public,
- 3 personnes entre 35 et 40 ans, et 27 de plus de 50 ans,
- 7 syndicats, laissant sur la touche 92% des salariés non syndiqués,
- 22 agents de la fonction publique pesant chacun, proportionnellement à leur représentativité, 4 fois plus qu'un représentant du privé,
- 9 femmes pour 30 hommes,
- aucun handicapé,
- les trois principaux responsables du COR comme l'ensemble du secrétariat sont « 100% public ».
Quand on connait par exemple la position plus que contestable du COR qui estime que la charge des retraites des chômeurs doit être prise en compte par le régime de retraite du privé, on s'aperçoit que ce conseil nie que les droits retraite des chômeurs et des pré-retraites sont en réalité un problème de solidarité nationale qui n'a pas à être supporté par les seules caisses de retraite du privé...
Entrer dans le dur des réformes systémiques
Dans un État PS, il ne faut pas rêver : Hollande et son gouvernement prouvent chaque jour leur clientélisme au détriment de l'intérêt général de la nation.
Le problème est d'autant plus grave qu'il va falloir maintenant inévitablement entrer dans des réformes systémiques beaucoup plus ambitieuses que celles déjà obtenues de haute lutte par le précédent gouvernement. On peut se demander au vu de la composition du COR et de la personnalité du chef de l'Etat si cet objectif n'est pas bien au-dessus de leurs forces.
On se souvient de la tentative avortée d'Alain Juppé en 1995 d'étendre à la Fonction Publique les mesures balladuriennes de 1993, tentative qui a échoué à la suite de grèves paralysant la France et de manifestations syndicales comparables à celles de mai 1968. Comment imaginer que ce gouvernement là puisse avoir seulement l'idée de venir à bout de ces aberrations, ne serait-ce que pour réduire les coûts de gestion ?
Livrons-nous à un simple calcul : selon l'Insee, si les règles du privé s'appliquaient au public, la retraite moyenne des fonctionnaires diminuerait de 10% à 20%. Sachant que les régimes de retraite des fonctionnaires représentent 66 milliards (3,3% du PIB) , l'économie réalisée par un alignement du public sur le privé serait de l'ordre de 10 milliards d'euros !
Alors finalement ce changement, c'est maintenant, demain ou bien... jamais ?
©Calculette pour www.revolte.exprimetoi.com
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Article initialement publié le 15/03/2013