Afrique : nouvel eldorado pour la Chine et l’Inde ?

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Par Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembins Modifié le 23 janvier 2013 à 5h52

Ou comment dépasser l’image médiatique d’une « Afrique des conflits et sinistrée ». En buvant par exemple, quand on est Africain, une bière enfin fraîche dans un village reculé, en téléphonant facilement à ses amis ou en se soignant moins cher - et pas forcément moins bien, grâce en particulier aux inventions frugales des Chinois et des Indiens. Ne nous trompons pas de guerre : celle sur le continent africain se jouera sur ce terrain là.

Les yeux rivés sur la crise malienne ou la sanglante attaque terroriste dans le désert algérien, on en oublierait presque que l’Afrique change aussi en bien. Elle est entrée depuis plus de dix ans dans la mondialisation à un rythme de croissance de 5 % par an. Tout est bien loin d’être gagné sur ce continent de centaines de micro-nations et de 54 pays, souvent parmi les plus pauvres du monde. Pourtant, derrière les guerres et les attentats ultra-médiatisés, le nombre moyen des conflits, mesuré par des instances comme les Nations Unies, diminue en réalité régulièrement, après les décennies terribles 1980 et 1990.

A force de voir toujours le verre à moitié vide, on finit par négliger des données simples mais essentielles : l’Afrique compte ainsi déjà plus d’abonnés au téléphone mobile que l’Union Européenne. 720 millions, selon les dernières données. Un chiffre qui croît sans cesse : ils pourraient dépasser les 900 millions en 2015, avec un taux de pénétration de 85 % de la population, selon la GSM Association, pour qui le secteur pèse déjà plus de 3 % de la richesse africaine. Pour mieux mesurer ce saut technologique fulgurant, il faut se rappeler qu’en 2006 l’Afrique ne comptait que 200 millions d’abonnés au mobile et 26 millions en 2001…

Les groupes chinois et indiens ne sont pas pour rien dans cette révolution silencieuse. Un des premiers opérateurs mobiles sur le continent est indien : Bharti Airtel, avec plus de 240 millions de connexions dans le monde en 2011 dont 53 en Afrique, contre 230 millions pour le français Orange (74 en Afrique) et plus de 160 millions pour le sud-africain MTN (près de 110 sur le continent) sauvé in extremis par le gouvernement sud-africain du rachat par Bharti il y a deux ans. Les équipementiers télécoms les plus agressifs sont chinois, comme Huawei ou ZTE. Pourquoi ces acteurs de « Chindia » sont-ils en pointe sur ce continent, malgré une concurrence féroce et même quelques déconvenues en matière de marges pour Bharti ? Parce qu’ils ont dès le début envisagé l’Afrique comme un marché différent, terrain d’expérimentation de nouveaux « business models » ou modèles économiques. Ils n’ont pas cherché à y vendre d’emblée des technologies coûteuses à l’occidentale à des populations souvent pauvres mais au contraire à séduire ce « bas de la pyramide » qu’ils connaissent déjà bien sur leur marché domestique.

Les astuces sont légions : des portables de base mais complets et efficaces, grâce notamment au taylorisme industriel géant du « made in China » ; ensuite, des minutes de communication vendues quelques centimes d’euro grâce à la solution Bharti expérimentée sur le marché indien depuis 1994. Elle associe notamment les meilleurs équipementiers mondiaux comme IBM ou Cisco qui se partagent ainsi le risque mais aussi la part du gâteau avec des contrats étalés sur plusieurs années. Il s’agit surtout d’inventer de nouveaux usages du mobile, à travers ce que les Français appellent « système D » et les Indiens « Jugaad ». Cela va du partage autorisé de l’abonnement entre plusieurs villageois à l’utilisation du portable comme un terminal bancaire basique, avec des opérations par SMS, validées auprès d’un commerçant de quartier, dans des régions où les réseaux bancaires sont souvent embryonnaires.

La téléphonie n’est pas le seul terrain d’expérimentation des « business models » frugaux en Afrique, ils sont partout. Les Indiens, à travers un réseau dense d’Organisations non gouvernementales (ONG) et d’entrepreneurs familiaux peuvent en particulier apporter des innovations comme le réfrigérateur solaire de Godrej, qui ne coûte que 50 euros, le filtre à eau basique de Tata, avec des recharges à environ 3 euros. Les Chinois sont complémentaires dans cette logique : ils peuvent fournir de classiques équipements d’infrastructures à prix très compétitif et en un temps record. Mais ils sont aussi capables d’inventer des solutions frugales comme de la télémédecine dans des régions reculées d’Afrique, en connectant un téléviseur et un portable.

Il s’agit bien d’une bataille économique mais plus vertueuse qu’on ne le pense : pour inclure in fine dans les circuits économiques ces Africains les plus pauvres, qui, faute de solutions simples mais concrètes, risquent de se tourner vers de plus sombres horizons.

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Professeur agrégé de sciences sociales, Jean-Joseph Boillot est  conseiller auprès du club du CEPII et co-fondateur de l’Euro-India Economic & Business Group (EIEBG). Il est l’auteur ou co-auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur les pays émergents et sur l’Inde.Stanislas DEMBINSKI est journaliste, spécialiste des marchés émergents. Il a été rédacteur en chef de l'émission télévisée Eco et Quoisur la chaîne Paris Première.

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