Comment diminuer impôts et cotisations sociales ?

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Par Jacques Bichot Publié le 31 août 2020 à 5h24
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@shutter - © Economie Matin
46%46% du PIB français est consacré aux prélèvements obligatoires.

Diminuer la pression fiscale et sociale est un souhait très répandu en France. Le 25 août 2020, des personnalités compétentes composant une liste impressionnante ont cosigné dans Les Echos un article intitulé « Baisser les impôts de production, une urgence économique et sociale ». D’autres visent plutôt la TVA, ou l’impôt sur le revenu, ou la CSG – prélèvement hybride, à la fois fiscal et social. Certains s’inquiètent aussi, avec raison, de l’importance des « charges sociales », qu’elles soient salariales ou patronales.

Tout en estimant que, effectivement, le recours aux prélèvements obligatoires est excessif dans notre pays, je suis assez sceptique face aux arguments avancés dans la plupart des libelles de ce genre. Pourquoi ? Parce que le problème crucial, plus encore que le caractère massif du prélèvement, est l’usage que font nos gouvernants des euros dont ils font débiter nos comptes en banque au profit de ceux de l’Etat et de ses satellites, dont les organismes de protection sociale et les collectivités territoriales sont les plus importants. Si cet argent était dépensé vraiment à bon escient, seuls les grincheux se plaindraient. Mais quand le citoyen lit dans Le Figaro du 5 juin, sous le titre Le grand bazar de l’informatique judiciaire, « Alors qu’un demi-milliard d’euros sur cinq ans a été injecté en 2017 pour créer de nouveaux logiciels à destination des juridictions, les outils incomplets s’empilent », le citoyen se pose inévitablement la question : ne serait-ce pas moi qui paie pour ce gaspillage ?

Une dépense excessive au regard des services rendus

Les administrations publiques, nationales et locales, sont des prestataires de services. Les impôts et cotisations constituent le prix à payer pour disposer de ces services. Nous souhaitons pouvoir circuler rapidement et en sécurité : évidemment, cela requiert des investissements, ainsi que l’entretien et la surveillance des routes, des rues, des ports, et ainsi de suite – donc des dépenses publiques. Certains trajets peuvent être facturés ; pour d’autres, ce n’est pas le cas, si bien qu’il faut imposer l’ensemble de la population, ou utiliser des taxes spécifiques, dont la plus importante est celle qui gonfle le prix des carburants. Si les routes sont bien construites, rénovées, entretenues, pour un coût raisonnable, tout va bien. En revanche, si les taxes sur les carburants sont gaspillées en changements inappropriés des panneaux de limitation de vitesse ou en aménagements induits par des modes passagères, rien ne va plus.

Tout est allé de travers dans une célèbre affaire liée à la circulation routière, celle de l’écotaxe sur les poids-lourds décidée en 2007, qui a fonctionné plus ou moins de 2014 à 2016. Les portiques ont été construits et installés à grands frais, puis abandonnés après deux années de service problématique. L’indemnisation des organismes engagés dans l’opération, comme le consortium Ecomouv, a dépassé le milliard d’euros. Et ensuite, faute d’argent pour construire des prisons, des coupables échappent partiellement à la sanction de leurs actes.

Les rapports de la Cour des comptes regorgent de constats du même acabit. Je me souviens par exemple de la passionnante étude que la Cour consacra au service du mobilier national, institution qui fait du travail de qualité, mais en quantité bien modeste par rapport au personnel employé. Le gaspillage constaté dans l’organisation et le fonctionnement de cette petite structure existe hélas à beaucoup plus grande échelle. Nos dirigeants se gargarisent volontiers à propos du « numérique », mais certains d’entre eux excellent surtout dans le ratage très onéreux de grands projets, comme le logiciel de paie Louvois qui a posé tant de problèmes à nos militaires, et provoqué des pertes abyssales.

Hélas, cette coûteuse mésaventure n’est pas un cas isolé : par exemple, le système de gestion des ressources humaines de l’Education nationale, Sirhen, lancé en 2007, a été abandonné en 2018 au terme d’un gaspillage évalué à 320 millions d’euros.

Une tradition de gaspillage

Il existe une tradition en matière de gaspillages. Remontons par exemple à l’entre-deux guerres, avec la mise en place de la ligne Maginot. Alors que le budget voté pour réaliser ces fortifications se montait à 2,9 milliards de francs, la dépense effective atteignit 5,5 milliards, montant considérable à cette époque. La France s’équipa ainsi du nec plus ultra en matière de défense statique au moment même où la motorisation modifiait complètement l’art de la guerre. Charles de Gaulle publia en 1934 Vers l’armée de métier, préconisant le recours aux blindés, à la mobilité, mais il était déjà trop tard : le choix de fortifications, obsolètes en dépit de leur qualité, effectué par des dirigeants incompétents, s’il n’est pas la seule erreur ayant rendu possible le fantastique succès initial des armées nazies, y a largement contribué.

Il serait excessif de dire que la gestion de nos services publics est lamentable, car il existe hélas des pays où la situation est pire, mais personne ne peut sérieusement soutenir qu’elle est bonne. Il serait possible de faire nettement mieux pour moins cher. Si l’on veut sérieusement réduire la fiscalité sans pour autant augmenter encore un déficit budgétaire et un endettement public déjà très préoccupants, la solution consiste à réaliser un effort massif et surtout intelligent d’amélioration de la productivité des services de l’Etat, des collectivités territoriales et des administrations de protection sociale.

Concernant ces dernières, songeons par exemple que la fusion de nos quatre dizaines d’organismes de retraites par répartition permettrait d’économiser environ 3 Md€ par an de frais de gestion tout en simplifiant considérablement la situation des assurés sociaux, parfois effroyablement compliquée. Hélas, l’amateurisme présidentiel, gouvernemental et syndical n’a pas permis, à ce jour, d’avancer efficacement sur ce projet.

L’efficacité du service public est insuffisante…

Il ne serait évidemment pas sérieux de prétendre fournir en quelques lignes une recette miracle. La productivité est influencée par de nombreux facteurs. L’important est de ne pas s’imaginer que « le numérique » va nous apporter automatiquement la solution. L’informatique, comme le papier et la parole, peut donner de mauvais comme de bons résultats. Il faut faire travailler nos « petites cellules grises », comme le répète le détective fétiche de la très efficace Agatha Christie. Ce qui veut dire à la fois de l’inspiration et de la transpiration.

Les deux sont nécessaires. Pour sortir de la médiocrité ambiante, il faut mettre fin à la culture de l’inefficacité, si joliment croqué par Aurélie Boulet, devenue célèbre sous son nom de plume Zoé Shepard, dans son livre Absolument débordée. Le sociologue Michel Crozier l’avait expliqué quelques décennies plus tôt après avoir réalisé des enquêtes de terrain très fouillées ; le bon sens et l’ironie grinçante de Zoé Shepard mènent au même résultat. « Il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark », écrivait Shakespeare, et grâce à la jeune fonctionnaire et au sociologue chevronné nous savons à peu près ce qui est pourri dans nos administrations.

… comment l’améliorer ?

Le diagnostic une fois posé, quelle thérapeutique prescrire ? Nous devons développer une culture du travail bien fait, mais sans perfectionnisme, car le mieux est l’ennemi du bien. Il ne s’agit pas de disposer de quelques services d’excellence perdus dans un océan de médiocrité : l’excellence doit certes être recherchée, mais le plus important est d’obtenir que, sur les quelque 5,7 millions de personnes travaillant pour l’Etat, pour les collectivités locales et pour la sécurité sociale, il y ait au moins 4 millions d’agents vraiment efficaces. Nous en sommes loin. Pourquoi ?

Pour une bonne part, parce que la qualité et la quantité du travail effectué ne sont pas assez prises en compte pour la rémunération des agents. Les diplômes et les concours ne doivent certes pas être considérés comme négligeables, mais leur place actuellement trop importante empêche de tenir suffisamment compte des résultats. Comme dans le privé, ou du moins dans la partie du secteur privé qui fonctionne bien, il faudrait que le secteur public récompense ses agents au prorata de leurs performances.

Un bon résultat ne sera obtenu que si « la hiérarchie » devient plus dynamique et plus centrée sur les besoins de la population. Les enseignants, qui constituent le plus gros bataillon de la fonction publique de l’Etat, et le personnel hospitalier (quasiment 1,2 million d’agents), produisent une « valeur ajoutée » dont l’évaluation est délicate, mais indispensable. La gestion bureaucratique de ces « gros bataillons » doit céder la place à une forme de gestion plus réaliste, plus personnalisée, sans quoi les gains de productivité requis pour à la fois bien rémunérer les fonctionnaires et bien servir la population ne seront pas obtenus.

S’il faut assouplir le statut de fonctionnaire, pourquoi pas ? La rigidité de ce statut rend difficile, voire parfois impossible, l’amélioration du rapport qualité/prix des services publics. La compétence et l’ardeur au travail doivent devenir les maître-mots : c’est à cette condition que les Français pourront disposer un jour de services publics de qualité supérieure obtenus en versant des impôts et cotisations plus raisonnables.

Le client des « grandes surfaces » veut en avoir « plus, plus » pour son argent ; grâce à la concurrence, ce souhait n’est pas trop mal réalisé. Nous devons trouver le moyen d’arriver à une situation comparable pour chaque citoyen, consommateur de services publics. Il est fondé à en vouloir « plus, plus » pour ses impôts et cotisations, et pour cela il faut améliorer la gestion de l’Etat, des collectivités territoriales, de la sécurité sociale et du système de santé. Un chantier aussi passionnant que vaste !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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