Retardée, la décision socialiste de prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu (IR) va entrer en vigueur en 2019 grâce à LREM.
Parmi les critiques qui ont été faites à cette réforme, figurent évidemment sa complication et son coût pour les employeurs : quid par exemple des particuliers qui emploient, en tant que salariée, une femme de ménage quelques heures par semaine ? Et des artisans, petits commerçants ou professionnels libéraux qui ont seulement un ou deux salariés ? Certains s’interrogent aussi sur les raisons pour lesquelles on choisit de changer une formule bien rodée, un mécanisme qui tourne rond, alors que tant d’autres procédures publiques, exagérément coûteuses et compliquées (pensons par exemple aux retraites) mériteraient d’être complètement rénovées – ce qui ne se fera pas, ou plus tard, car il est impossible de faire beaucoup de réformes à la fois.
Ces points, et bien d’autres, viennent dans le débat public, mais il est un effet de la réforme de l’IR qui n’est quasiment jamais abordé, et dont beaucoup de parlementaire ne sont même pas avertis : il s’agit du fait que l’État va ainsi se priver, au profit des héritiers, de rentrées représentant au total, dans la durée, plusieurs dizaines de milliards d’euros. Vu l’état de nos finances, cela veut dire qu’il va falloir augmenter certains impôts – peut-être même, tout simplement, les taux de l’IR. C’est un « détail » qui a son importance, et dont les citoyens et plus encore les parlementaires, auraient dû être informés.
Pour présenter la façon dont se réalisera cette moins-value fiscale, un exemple vaut mieux qu’un long discours macro-économique. Prenons donc le cas de Mr Dupont, veuf et retraité, ayant des enfants, qui perçoit chaque année des revenus dont le montant imposable (après abattements éventuels) s’élève à 10 000 € par mois.
Selon le barème en vigueur en 2017, Mr Dupont payerait au fisc 35 641 € (application du barème figurant dans Le Figaro du 3 mai 2017). Nous supposerons pour simplifier qu’il s’agit de 36 000 € et que le barème, ainsi que les revenus de Mr Dupont, restent identiques les années suivantes. Le prélèvement à la source s’élève donc à 3 000 € par mois. Regardons ce qui va se passer lors de son décès, supposé se produire le 30 novembre 2021, selon que la retenue à la source aura ou non été instaurée en 2019.
Si le régime fiscal actuel perdure
En 2020, Mr Dupont perçoit 120 000 € et en utilise 36 000 pour payer ses impôts sur son revenu de l’année 2019. Le 30 novembre 2021, Mr Dupont décède. Il a perçu 110 000 €. Il en a versé 36 000 au fisc pour payer l’impôt sur son revenu de l’année 2020. Son IR sur ses revenus de 2021 sera prélevé sur l’actif successoral ; son ordre de grandeur est 32 000 €.
Dans le nouveau système de prélèvement à la source
En 2020, Mr Dupont perçoit chaque mois 7 000 € et le fisc 3 000 € au titre de ses impôts de l’année 2020 ; soit 36 000 € pour le fisc. En 2021, même scénario, mais seulement sur 11 mois. Le fisc prélève 33 000 € sous forme de retenue à la source sur le revenu de 2021. Il n’y a aucun IR à prélever sur l’actif successoral.
Différence pour le Trésor public
Jusqu’en 2020 inclusivement, le fisc perçoit de Mr Dupont les mêmes sommes quel que soit le système, IR actuel payé l’année suivant la perception des revenus ou IR retenu à la source. Par contre, en 2021, année du décès de Mr Dupont, et 2022, les deux systèmes donnent des résultats différents :
- dans le système actuel le fisc obtient 36 000 € en 2021 et 32 000 € en 2022
- Avec la retenue à la source, le fisc obtient 33 000 € en 2021 et rien en 2022
La moins-value fiscale s’élève à 35 000 €. Elle profite aux héritiers. Certes, l’héritage peut donner lieu à des impositions, et puisqu’il sera supérieur de 35 000 € le fisc peut « récupérer » une partie des 35 000 € perdus du fait de la retenue à la source, mais évidemment pas la totalité.
Conclusion
Certains trouveront très bien que les héritiers de défunts ayant des revenus confortables laissent au fisc une portion moins importante de leurs patrimoines. D’autres regretteront cet amoindrissement – sauf modification des barèmes – de la recette IR, du fait que le déficit public et la dette publique sont déjà très excessifs. Chacun a fort heureusement le droit d’avoir son opinion. Mais chaque citoyen a également le droit de disposer d’informations convenables, faute desquelles il est impossible de porter un jugement éclairé sur les choix politiques. Or il apparaît que, dans la réforme de l’IR dite « prélèvement à la source », les citoyens ont été mal informés : on leur a dit que cela n’affecterait pas les recettes de l’État, alors que la réforme les réduira, certes assez faiblement chaque année, mais pendant plusieurs décennies, sauf à augmenter les taux ou certains des taux de l’IR. Et qui pis est, les parlementaires n’ont pas davantage été mis au courant du phénomène qui vient d’être exposé : ils voteront en croyant que la réforme laissera inchangée la recette fiscale, ce qui n’est pas le cas. Est-ce cela, la démocratie ?