« Comment taxer un territoire ?» : au-delà des remèdes pratiques, la question revêt un enjeu théorique. Historiquement, le lien entre fiscalité et territoire est double : l’impôt permet la défense du territoire mais il est aussi un instrument d’affirmation de la souveraineté de l’Etat sur son territoire. Le premier aspect reste un leitmotiv des débats fiscaux ; le second, lui, est largement oublié.
A la fin du Moyen Age, quand l’impôt moderne commence à se profiler en France, il est accolé à la construction du territoire national. D’une part, le droit du roi d'imposer ses sujets est légitimé par la défense du royaume. Les théoriciens de l’entourage royal le répètent à l’envi : l’impôt est justifié parce que levé pour les besoins de la guerre. D’autre part, la fiscalité traduit une nouvelle forme d’autorité exercée par le roi sur les habitants du royaume. En se passant du consentement de ses sujets, à partir du milieu du XVè siècle, le roi donne à l'impôt un sens politique inédit : il ne s’agit plus, comme pour l’aide féodale ou seigneuriale, d’une redevance payée en échange (plus ou moins fictif) d’une protection, dans le cadre d’un lien d’homme à homme ; la fiscalité est désormais la manifestation de la souveraineté royale sur un territoire.
Le système fiscal qui se reconstitue après la Révolution ne modifie pas sensiblement ce lien au territoire. La souveraineté a changé de mains, mais l’impôt reste sa marque. Avec la volonté d’apaiser le rapport à l'impôt, cette dimension passe toutefois à l’arrière-plan. C’est surtout à la protection du territoire contre l’ennemi que la fiscalité est arrimée. Le vocabulaire traduit clairement ce lien : dans les années qui suivent la défaite de 1870 et la Première guerre mondiale, ceux qui fraudent l’impôt sont désignés comme « déserteurs civiques » ; dans l’entre-deux-guerres, la pression fiscale exercée sur les foyers sans enfant est présentée comme compensant « l’impôt du sang ».
Depuis les années 1970, la logique territoriale de la fiscalité est discutée. Pourtant, la fonction protectionniste de la fiscalité est loin d'avoir disparu. Elle a seulement changé d'appellation : on ne parle plus de défense, mais d’attractivité du territoire. En son nom, les gouvernements successifs ont multiplié les instruments d’optimisation fiscale (comme le crédit impôt recherche), malgré des résultats économiques très mitigés.
En revanche, l'autre aspect du lien entre impôt et territoire a bien été oublié. L’idée selon laquelle l'impôt affirme l’autorité étatique sur tous ceux qui sont rattachés, d’une manière ou une autre, à un territoire, a été reléguée. Face aux multinationales qui profitent d’être implantées dans tous les Etats pour choisir la fiscalité la plus avantageuse ou aux grandes fortunes qui dissimulent une partie de leur patrimoine aux quatre coins du monde, l’Etat brade sa souveraineté. Il négocie plus qu’il n’impose ; en cas de fraude, il invite à rentrer dans l’ordre mais ne sanctionne pas.
Printemps de l’économie – Paris du 8 au 14 avril 2016
Pour sa 4° édition le Printemps de l’économie s’intéresse à « L’Economie en quête de territoire(s) ». Ce fil rouge se décline en plusieurs thèmes - Territoire & entreprises ; Des activités, des hommes, Mondialisation & Europe, Politiques publiques, Innovation & industrie et Métropoles – qui seront abordés à l’occasion de plus de 40 conférences organisées du 8 au 14 avril 2016 à Paris. L’ambition est d’offrir au grand public la possibilité de réfléchir et d’échanger pour mieux saisir les enjeux et agir… L’un des intervenants à cet événement unique vous livre ici son point de vue…