À l’heure où les parlementaires français doivent entériner le budget 2014, jamais la théorie de Laffer (ou la maxime « trop d’impôt tue l’impôt ») n’aura autant fait ses preuves. Le millésime 2014 du Projet de Loi des Finances n’épargnera pas les entreprises françaises, tout particulièrement celles qui structurent l’économie et autour desquelles se tricote le tissu social, les entreprises de taille intermédiaire.
Ce n’est pas une tendance nouvelle, l’imposition des entreprises françaises n’est pas réputée pour être la plus légère. Selon la dernière étude menée par PWC et la Banque Mondiale, la France reste, derrière l’Italie, le pays d’Europe où la pression fiscale sur les entreprises est la plus forte. Le taux global des prélèvements pour les entreprises de 60 salariés y est par exemple de 64,7%, contre environ 58,6% en Espagne, 49,4% en Allemagne et en Suède, 39,3% aux Pays-Bas ou 34% au Royaume-Uni. La France se distingue par la forte pondération des prélèvements sociaux, qui représentent l’essentiel des charges imposées.
Il est surtout édifiant de constater à quel point l’accumulation récente des strates de taxation, usuelle ou exceptionnelle, sur le compte des entreprises, est de nature à éroder leur compétitivité. Récemment le gouvernement a envisagé la création d’une taxe de 1% sur l’excédent brut d’exploitation des entreprises (EBE), un prélèvement supplémentaire destiné à dégager 2,5 milliards d’euros supplémentaires pour boucler le budget 2014. Face à la levée de boucliers que ce projet a suscité et au constat d’un impact trop important pour les entreprises qui investissent, le gouvernement a abandonné ce projet. Sans abandonner ses desseins, puisque l’État a décidé, à la place, d’instaurer une augmentation de la surtaxe provisoire sur l’impôt sur les sociétés (IS) dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250M d’euros. La surtaxe sera plus que doublée, passant ainsi de 5% à 10,7%, avec pour conséquence d’augmenter le taux moyen de l’IS de 33,33% à presque 37%, un record en Europe (l’IS moyen est de 15% en Allemagne, de 24% au Royaume Uni, de 25% au Danemark et aux Pays-Bas, de 27,5% en Italie et de 30% en Espagne). Sans compter les prélèvements additionnels déjà instaurés, tels que la contribution sociale sur l’IS et la taxe sur les dividendes.
L’équation défendue par l’État va s’avérer contreproductive, tant au niveau microéconomique que budgétaire. Ces excès fiscaux envers les entreprises risquent d’aggraver la fuite des talents français sous des cieux plus cléments, de freiner les investissements, qui représentent pourtant le carburant de l’innovation et du développement des entreprises, et plus absurde encore, de nuire à la rentabilité même de ces prélèvements. Nous avons ici un très bel exemple de l’application de la loi de Laffer, selon laquelle « trop d’impôt tue l’impôt ». Autrement dit, au-delà d’un certain seuil, la pression fiscale nuit aux recettes fiscales de l’État en raison notamment d’un effet « d’incitation inversée », qui amènerait les entreprises à moins d’efforts. Selon cette théorie, un taux d’imposition plus bas suffirait à l’État pour collecter des recettes fiscales identiques ou supérieures.
Passons maintenant de la théorie à la pratique : les taux d’imposition globaux des sociétés sont respectivement de 49,4% en Allemagne et de 64,7% en France. A priori, cette différence laisse supposer que les entreprises françaises paient plus d’impôts que leurs homologues allemandes. En réalité, il faut prendre en considération l’écart de taux de marge brute des sociétés entre les deux pays. Le taux de marge brute moyen est de 27% du chiffre d’affaires en Allemagne et de 18% en France. Si bien que pour 100 euros de chiffre d’affaires, une entreprise allemande paie 13,34 euros d’impôts (49,4% de 27) et une entreprise française 11,65 euros (64,7% de 18) d’impôts au sens large (en réalité, surtout des charges sociales). Ainsi, avec un taux global de prélèvements inférieur de 15 points à celui de la France, l’État allemand collecte 15% de recettes en plus ! Preuve qu’à vouloir trop augmenter les taux de prélèvements, l’État français aboutit à une situation où l’assiette de l’impôt baisse plus vite que le taux n’a augmenté. Au final, avec plus de fiscalité, il y a moins de recettes fiscales. Un enseignement précieux alors que s’ouvre en France un grand chantier de refonte de la fiscalité.