Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) s’est réuni le 11 juin pour examiner les conséquences de la crise liée au COVID-19 en matière de retraites. Il n’était évidemment pas possible de produire un rapport annuel classique, préparé durant plusieurs mois. Le secrétariat du COR a donc confectionné un power-point (disponible sur son site web) fournissant les principaux résultats de différents organismes publics et de ses propres travaux, sans trop se prononcer sur les mesures à prendre.
Nettement moins de ressources pour des dépenses en légère hausse
Deux chiffres montrent l’ampleur du problème financier auquel est confronté notre système de retraites par répartition : entre 2019 et 2020, la rémunération de l’ensemble des actifs, base des cotisations vieillesse, est prévue en baisse de 5,3 %, alors que la pension moyenne nette serait en hausse de 1,2 % et que le nombre de pensionnés sera plus élevé. Il existe donc à première vue un manque de ressources s’élevant à plus de 6,5 % des pensions à verser. Le déficit global, tous régimes confondus, augmentera fortement, à moins que l’Etat ne le prenne en charge, en tout ou en partie, ce qui le transformera en un supplément de déficit de la République.
Le message du COR, pour l’essentiel, nous informe que les ressources de l’ensemble des régimes baisseront d’environ 25,7 Md€, tandis que les dépenses diminueraient de 0,5 Md€. Le rapporteur prend bien soin de dire qu’il s’agit d’une « estimation provisoire, susceptible d’être ultérieurement révisée de manière significative ».
L’évolution depuis 2005
Nous disposons aussi des chiffres pour 2019, et de leur évolution depuis 2005 : la DREES (Direction de la recherche et des études des ministère sociaux) les a publiés le 12 juin sous le titre Les retraités et les retraites, édition 2020. Probablement le COR en a-t-il eu connaissance un peu plus tôt, à temps pour sa réunion. Là, il ne s’agit plus de prévision, mais de constat – ce qui ne signifie pas que l’exercice soit facile, étant donné la multiplicité des régimes et l’existence de flux complexes entre ces régimes, ainsi qu’entre beaucoup d’entre eux et le Trésor public. La DREES prévient d’ailleurs que des « ruptures de série » ont eu lieu à deux reprises durant la période sous revue, ce qui oblige à relativiser certaines évolutions indiquées par les chiffres qu’elle fournit.
Ce sont les deux années où se sont produites ces ruptures de série qui donnent le minimum et le maximum de départs à la retraite, 840 000 en 2008 et 600 000 en 2012 : probablement 840 000 est-il un chiffre trop élevé et 600 000 une estimation trop faible ? Quoi qu’il en soit, il apparait que l’effroyable complication inhérente aux 44 régimes qui existent actuellement entraîne des incertitudes statistiques dont on se passerait bien quand il s’agit d’y voir clair pour prendre les bonnes décisions. Le passage à un régime unique de retraites par répartition, qui devait être une des grandes réformes du quinquennat, pour ne pas dire « la » grande réforme, aurait beaucoup amélioré notre connaissance des évolutions, et permettrait un management bien plus efficace que ce qui est réalisé tant bien que mal actuellement.
Reste que la croissance assez affolante des effectifs de retraités de 2005 à 2010 (augmentation supérieure à 300 000 par an) s’est ensuite assagie : de 2011 à 2018, l’augmentation annuelle moyenne est un peu inférieure à 200 000. Ces chiffres très importants montrent ce qui arrive lorsque les pouvoirs publics, dépassés par la complexité du système, renoncent à faire le nécessaire pour que l’âge de départ à la retraite évolue sensiblement comme la longévité : les nouveaux retraités de 2018 ont une espérance de vie à la retraite trop supérieure à celle de leurs prédécesseurs de 2005. La France n’a pas su gérer l’allongement de la durée de vie moyenne, alors que cela aurait été facilité par l’allongement concomitant, bien qu’inférieur, de l’espérance de vie en bonne santé.
Une grande réforme est indispensable
Il n’arrive heureusement pas souvent un phénomène tel que l’épidémie Covid-19, mais cela ne signifie pas qu’il faille se contenter du système de retraites actuel, si difficile à manœuvrer même en période faste, et incapable de faire face à une crise de grande ampleur. Si Emmanuel Macron démissionne avant la fin de son mandat, pour essayer de se faire réélire et de retrouver une légitimité qui est en train de lui échapper, les conditions pourraient être favorables au lancement d’une vraie réforme, non seulement de la branche retraite, mais de l’ensemble de notre protection sociale, système bâti de bric et de broc, difficilement pilotable.
Une réforme de type Delevoye ne suffira pas. Nous avons besoin d’une réforme d’ensemble de notre sécurité sociale, d’une refondation, basée sur des idées économiquement raisonnables. Attribuer des droits à pension au prorata des sommes versées aux retraités, c’est carrément débile ! Nos gouvernants ont commencé à comprendre que les régimes catégoriels ne sont pas viables, en voyant la détresse de divers régimes privés de cotisants : ceux notamment des exploitants agricoles, des mineurs, des ouvriers de l’Etat, de la SNCF, des artisans et commerçants. Il leur reste à comprendre que, selon la parole d’Alfred Sauvy, « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ». Sauvy écrivait cela il y a plus d’un demi-siècle, mais la classe politique n’a pas la comprenette très rapide…
Si nos prochains dirigeants, qu’il s’agisse des mêmes ayant enfin fait un effort d’analyse économique, ou de nouveaux venus, comprennent ce que j’appelle le « théorème de Sauvy », la France pourra se doter d’un système de retraites par répartition réellement fonctionnel. Mon prochain ouvrage les y aidera, en expliquant non seulement comment réformer intelligemment nos retraites, mais aussi l’ensemble de notre sécurité sociale : il n’y a rien de plus nécessaire, actuellement, que de rajeunir en profondeur notre bonne vieille sécu !