Mais pourquoi le Président ne décide jamais rien ?

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Par Jean-Marc Sylvestre Modifié le 8 juin 2013 à 6h58

Mais pourquoi le Président de la République ne décide jamais rien ? C'est la question qui tourne en boucle depuis des semaines. Dans les milieux d'affaires, à Paris, en Province comme à l'étranger.

Mais pas seulement. Dans les entreprises, dans les syndicats, dans les partis politiques, dans les collectivités locales et chez les maires des grandes villes : c'est la grande inconnue. Alors que les rapports très pessimistes sur la situation de l'économie française s'accumulent, alors que tous les signaux d'alarmes sont au rouge. Alors que la croissance française et que le déficit extérieur marquent des pertes historiques et que le déficit budgétaire s'est encore creusé de 100 milliards en un an. Alors que les diagnostics de droite comme de gauche qui sont fait à Paris, à Bruxelles, à Francfort, à la BCE, à l'OCDE, au FMI sont tous au diapason et signalent que la France est en risque de déclin.

Plus grave, le degré d'attractivité de l'hexagone qui était jusqu'à une époque récente un outil fort de développement est en perte de vitesse. Les investisseurs étrangers, les entreprises et les cadres dirigeants hésitent désormais à venir s'installer en France. Les causes ? Instabilité fiscale, manque de visibilité sur la politique économique et absence de souplesse sociale.

Eh bien, en dépit de toutes ces études, ces avertissements et ces alertes, le Président de la république reste figé, immobile. A la fin de l'année dernière, la négociation sur les conditions de travail, le rapport Gallois sur la compétitivité et la décision de créer un choc par le crédit d'impôt, avaient donné le sentiment qu'il allait abandonner les promesses électorales irréalisables pour un pragmatisme capable de dégager des moyens pour sortir de la crise. Le discours plus convenable adressé aux chefs d'entreprise, la réflexion menée à haute voix sur la social-démocratie ont été interprétés comme autant de signes d'une évolution vers la prise en compte des réalités.

En fait, ce qui s'annonçait comme un virage a été de courte durée. Tout le monde reconnait que les réformes engagées (l'assouplissement des conditions de travail et le crédit d'impôt) sont insuffisantes. Les réformes promises sur les retraites sont très floues, le redressement des comptes des allocations familiales sont inadéquates. Ils permettent seulement d'opposer aux demandes de Bruxelles un affichage qui ne résout en rien le financement global du modèle social. Les allocations familiales n'étaient pas en danger.

Leur déficit de 2,5 milliards est lié au fait qu'on a ponctionné la trésorerie pour boucher des trous dans certains systèmes de retraite. Plus grave, on rééquilibre le système non pas par une baisse des dépenses mais par une nouvelle augmentation d'impôts. Ne parlons même pas de la déconstruction du système des auto-entrepreneurs, sous le seul prétexte que c'est une invention du Sarkozisme qui marche. Un million de personnes ont créé leur emploi. Emplois modestes et fragiles certes mais emplois marchands qui ne doivent rien à personne. Leur seule faute : ils ont préféré cela au chômage ou au travail au noir. Incroyable.


Au delà, le Président de la République et son gouvernement continuent d'expliquer les difficultés de la situation, et notamment le chômage, par la gestion antérieure, par la brutalité du régime administré par l'Allemagne, par les exigences aveugles de Bruxelles à qui on a demande deux ans de délais pour revenir dans les clous acceptables.
Bernard Cazeneuve, ministre du Budget, ancien ministre des Affaires Européennes, responsable, solide, rigoureux et honnête faisait peine à voir et à entendre face à François Fillon jeudi soir sur France 2.

Le locataire de Bercy défendait la politique de son gouvernement, lui qui est le mieux placé pour savoir que son budget n'organise aucune baisse des dépenses et qu'il faudra évidemment continuer d'augmenter les impôts l'année prochaine compte tenu du ralentissement mécanique des rentrées fiscales. La hausse des prélèvements a rétréci l'assiette. Les taux d'impositions ont monté mais les rendements ont déjà baissé. C'était prévisible.

Donc, aujourd'hui, tout le monde se rend compte que maintenant que la France a obtenu un sursis de deux ans pour remplir ses engagements budgétaires, le virage plus ou moins annoncé par François Hollande vers l'économie de marché et la prise en compte de la mondialisation ou du progrès technologique, ce virage-là est oublié. Après quelques mois éclairés par des projets de réformes, on est, semble-t-il, retombés dans le sectarisme et l'immobilisme.

Alors pourquoi ? Des responsables politiques aussi formés, intelligents, conscients des enjeux de la modernité, sont-ils incapables d'efficacité dans la gestion de l'équipe gouvernementale ? Et du coup incapables de lancer un minimum de réformes simples qui nous donneraient une chance de sortir de cette crise ?

La question est désormais posée à tous ceux qui connaissent bien François Hollande, ceux qui le côtoient tous les jours, ceux qui le rencontrent, ceux qui sont ses amis... La réponse est toujours la même. L'homme est sympathique, intelligent, drôle mais il a trois caractéristiques qui expliquent le comportement présidentiel.

Première caractéristique : François Hollande est sans doute convaincu dans son for intérieur que la crise finira par s'amortir. Dans le passé, toutes les crises s'inscrivaient dans un cycle au terme duquel, par un effet mécanique de reconstitution des stocks, l'économie finissait par se redresser. Avec ou sans bulle spéculative. Avec ou sans l'aide de l'État. François Hollande est un Keynésien pur sucre, donc adepte de la théorie des cycles courts.

Conclusion : il attend que l'orage passe en annonçant que tout sera réglé dès que la croissance sera revenue. Il croit même, dur comme fer, que la croissance reviendra l'année prochaine, d'où son objectif de renverser la courbe du chômage. La meilleure preuve, c'est que François Hollande explique à qui veut l'entendre que les taux d'intérêt demandés sont extrêmement bas parce que la France est solide et qu'elle a un potentiel de redressement.


Le problème, c'est que ce raisonnement ne tient plus ! Les taux d'intérêt sont bas parce qu'il y a dans le monde des excédents de liquidités (en Chine ou au Japon) et que nous avons la garantie des allemands pour emprunter à ce taux.

Ce raisonnement global ne peut pas tenir parce que la crise que nous traversons n'a rien de conjoncturel. C'est une crise structurelle liée à la globalisation de l'Économie et à des sauts technologiques extrêmement violents et rapides. Dans ces conditions, un État ne peut pas attendre la relance automatique de son économie. Sa croissance ne tombera pas du ciel. Un État ne peut même plus faire de la relance budgétaire. D'abord parce qu'il n'a plus de crédits mais surtout parce que relancer une économie nationale revient à relancer ses importations. Le seul moyen est de renforcer sa compétitivité (coût et qualité) pour assumer les contraintes de la mondialisation incontournable.

Si le Président de la République persiste à penser que la croissance peut revenir toute seule comme dans les années 60, le risque du déclin nous guette sérieusement. Venise a perdu sa splendeur économique et son pouvoir faute de ne pas avoir compris que la pérennité d'une économie marchande imposait de construire une industrie.

La deuxième caractéristique c'est que François Hollande n'est pas ingénieur. HEC et L'ENA ne préparent pas à l'économie d'offre. Il connait J.M Keynes mais ignore tout de Schumpeter. Or, nous sommes dans des logiques d'offre et le premier rôle dans des scénarios d'offre est tenu par les entrepreneurs, les chefs d'entreprises. Ce sont eux, et personne d'autre, qui créent de la richesse.

Qui mettent en place des systèmes mariant du capital, de l'intelligence, du travail, de l'organisation et qui accouchent de produits nouveaux qui créent de la valeur. Ce n'est pas l'État qui crée de la valeur, des activités et de l'emploi, ce sont les entrepreneurs. Il faudrait donc les accompagner et les chouchouter. Les aider à évoluer, à se moderniser et même pour certains à mourir pour permettre aux jeunes pousses de prospérer. François Hollande et ceux qui ont fait campagne avec lui sont à cent lieux de cette culture.

La troisième caractéristique, nous disent ceux qui le connaissent bien et qui sont ses anciens condisciples à l'ENA, c'est que François Hollande est habité par la seule logique politique. Cette logique politique est «court-termiste». Jusqu'à l'année dernière, son ambition était d'accéder au pouvoir. Aujourd'hui son ambition est d'y rester. Dans quatre ans, son ambition sera d'être réélu.

Par conséquent, dossier après dossier, il ne fera rien qui puisse dérégler ce modèle et hypothéquer son marché politique. Il surveillera les feux, les risques de tempête, les grognes et les rognes ; mais des réformes dont l'impact social serait immédiat alors que l'effet bénéfique serait à plus long terme, pas question ! Pas question de prendre le risque de déséquilibrer la majorité en réformant le système de retraite, l'éducation nationale ou le système de santé. Ces réformes le couperaient de son électorat, à savoir les fonctionnaires.

Pourquoi baisser de façon spectaculaire les charges qui pèsent sur le travail, remettre le financement du modèle social en cause, si c'est pour s'attirer les foudres des assurés sociaux ou des chômeurs ? La gauche de la gauche, les écologistes lui interdisent de prendre en compte la mondialisation ou le progrès technique comme facteurs de progrès.

Il y a donc un côté Jacques Chirac chez François Hollande et ce n'est pas seulement la Corrèze. C'est une certaine façon de pratiquer la démocratie et d'exercer le métier d'homme politique. Est-ce que les conditions économiques mondiales permettent un tel exercice ? Peu probable si le grain à moudre vient à manquer, l'opinion ne voudra plus rêver. Elle aura besoin de vérité.

En attendant, on doit se dire du côté de l'Élysée que ça tient. Et comme disait Letizia Bonaparte, recluse dans son hôtel de Brienne en attendant le retour de son fils en campagne, « pourvu que ça dure !»

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Après une licence en sciences économiques, puis un doctorat obtenu à l'Université Paris-Dauphine, il est assistant professeur à l'Université de Caen. Puis il entre en 1973 au magazine L’Expansion, au Management, à La Vie française, au Nouvel Économiste (rédacteur en chef adjoint) puis au Quotidien de Paris (rédacteur en chef du service économie). Il a exercé sur La Cinq en tant que chroniqueur économique, sur France 3 et sur TF1, où il devient chef du service « économique et social ». Il entre à LCI en juin 1994 où il anime, depuis cette date, l’émission hebdomadaire Décideur. Entre septembre 1997 et juillet 2010, il anime aussi sur cette même chaîne Le Club de l’économie. En juillet 2008, il est nommé directeur adjoint de l'information de TF1 et de LCI et sera chargé de l'information économique et sociale. Jean-Marc Sylvestre est, jusqu'en juin 2008, également chroniqueur économique à France Inter où il débat notamment le vendredi avec Bernard Maris, alter-mondialiste, membre d'Attac et des Verts. Il a, depuis, attaqué France Inter aux Prud'hommes pour demander la requalification de ses multiples CDD en CDI. À l'été 2010, Jean-Marc Sylvestre quitte TF1 et LCI pour rejoindre la chaîne d'information en continu i>Télé. À partir d'octobre 2010, il présente le dimanche Les Clés de l'Éco, un magazine sur l'économie en partenariat avec le quotidien Les Échos et deux éditos dans la matinale.  

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