La polémique qui fait long feu et même enfle autour de la loi El-Khomri ne manque pas de faire sourire: elle montre comment Hollande est en train de se prendre les pieds dans le tapis avec les corps intermédiaires qu’il affirmait tant aimer au début de son mandat.
La loi El-Khomri victime des corps intermédiaires
Il fallait être assez fort pour réussir, comme hier, une intersyndicale contre un texte qui n’est pas encore présenté en Conseil des Ministres. Certes, FO n’a pas signé la déclaration finale en la jugeant trop minimaliste: la présence de la CFDT dans l’intersyndicale a permis de refroidir les ardeurs de chacun. Mais le signal est donné d’un combat rapproché dans les prochaines semaines, et peut-même d’un corps-à-corps avec les étudiants. L’UNEF semble bien décidée, si l’on écoute son président, à croiser le fer avec le gouvernement sur le mode du: « Les jeunes aussi doivent être respectés », qui fonctionne toujours auprès d’une génération politiquement sous-consciente.
Les corps intermédiaires semblent donc aujourd’hui se liguer contre la dernière idée et la dernière réforme du président de la République.
La loi El-Khomri voulait contourner les syndicats
On se gaussera évidemment de ce retour de bâton. Pendant de nombreux mois, François Hollande a vanté sa « méthode » fondée sur le dialogue social. Patatras! la loi El-Khomri en constitue le démenti le plus cinglant. Tous les thèmes abordés dans la loi relèvent en effet de la négociation interprofessionnelle. La loi Larcher aurait dû pousser le président à demander aux partenaires sociaux de s’en emparer pour négocier. Selon la méthode du bricoleur Hollande, ce réflexe aurait dû être la règle.
Mais l’histoire est têtue. Comme Sarkozy avant lui, Hollande a eu quatre ans pour mesurer l’inconvénient du dialogue entre corps intermédiaires: c’est lent, c’est conservateur, c’est incontrôlable et imprévisible. Tous ces syndicats maintenus sous perfusion par des subventions publiques sont équipés pour des logiques défensives, pas pour des réformes à la hussarde.
Hollande a donc préféré contourner les syndicats par la droite en déposant un texte de loi sans dialogue préalable avec les partenaires sociaux.
Les syndicats vont-ils rattraper la loi El-Khomri?
Cette offense faite par François à tous les saints qu’il a vénérés jusqu’ici (et en particulier à Saint-Laurent Berger, patron de la CFDT et de tous les réformismes) lui revient méchamment dans la figure. Tout ce petit monde bouillonne en s’imaginant déjà marginalisé par le Président sur un sujet qui est leur gagne-pain. La tentation risque donc d’être très forte de laisser le gouvernement s’enliser dans une crise qui pourrait très bien occuper le printemps. Un printemps français! il ne manquait plus que cela à François Hollande… avec la perspective d’une rentrée universitaire en ébullition si Hollande devait persister dans l’erreur.
L’intéressé s’est mis tout seul dans ce pétrin. Il croyait piéger la droite à un an des présidentielles en lui mettant dans les pattes un texte qui lui referait une virginité dans l’hypothèse d’un second tour Hollande-Le Pen l’an prochain. Au final, ce sont ses soutiens syndicaux naturels qui risquent de lui briser sa course avant même que l’automne n’arrive.
La loi El-Khomri victime de l’inexpérience de la ministre?
A ces calculs politiciens dangereux, Hollande a probablement ajouté une autre erreur: l’attribution du poste de ministre du Travail à une apparatchik sous-dimensionnée pour une fonction dont le caractère sensible éclate clairement aujourd’hui. En bon social-démocrate issu des beaux quartiers, François Hollande a toujours cru que les Affaires Sociales, et singulièrement l’Emploi, était une sorte de voie de garage pour personnages politiques de série B. Il est en train de comprendre, par le risque auquel il s’expose, combien cette représentation bourgeoise de la réalité mériterait une bonne relecture de Marx.
Il n’y avait en effet pas pire scénario pour présenter le texte: en plein milieu d’une négociation chômage très tendue, et surtout avec une communication totalement défaillante. Le discours de Myriam El-Khomri sur le sujet se limite en effet à répéter les petites fiches rédigées par les technocrates qui l’entourent. On sent bien que ce dossier est un coup politique dont les motivations n’ont rien à voir avec l’intérêt des entreprises.
Résultat, même l’UPA demande le retrait du texte. Décidément, n’est pas mitterrando-machiavélique qui veut.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog