Hollande en colère mais affolé

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Par Jean-Marc Sylvestre Publié le 3 avril 2013 à 16h23

 

 

 

 

L'allure martiale, solennelle, le regard noir et le discours bref. Le président de la République n'a pas tardé à réagir à l'affaire Cahuzac en rappelant qu'il resterait fidèle à ses engagements d'exemplarité, de vertu, d'honnêteté.

 

François Hollande a choisi la condamnation et l'intransigeance devant cet « outrage à la République » et d'accélérer la mise en place de trois séries de mesures sur l'indépendance de la justice, la surveillance des conflits d'intérêt et la mise hors-jeu des élus condamnés.

 

Beaucoup trouveront que la réaction du Président n'est vraiment pas à la hauteur de l'enjeu. Dans certaines démocraties du nord de l'Europe, les gouvernements auraient pris leurs responsabilités politiques, ils auraient mis à plat tout le fonctionnement de l'appareil d'État et seraient même allés jusqu'à démissionner.

 

Que l'on se repasse les meilleurs moments de la série Borgen pour avoir un aperçu de ce qui aurait pu se passer du côté de Copenhague si une affaire semblable s'était passée.

 

Est ce que le président de la République va réussir à reprendre la main en se contentant de renforcer « l'indépendance de la magistrature » ? Peu probable.

« Cahuzac ? Ce n'était pourtant pas le plus mauvais ». La gauche assommée et la droite interloquée, qui a essayé dans un premier temps d'être discrète sur cette affaire. Tous les responsables de l'opposition savent bien qu'ils sont eux-mêmes assez mal placés pour donner des leçons de morale. Après tout, Jérôme Cahuzac avait bien été élu président de la Commission des finances sous la présidence de Nicolas Sarkozy sans que cela ne gène personne.

 

Ils considèrent ensuite, que Jérôme Cahuzac était porteur d'une volonté de réformes capables de répondre à la crise et qu'ils ne sont pas si nombreux au gouvernement. Enfin, la droite considère qu'une telle attitude est évidemment intolérable, ils attendent aussi de voir comment le Président va essayer de se relever politiquement de cette affaire.

Si les aveux de Jérôme Cahuzac ont provoqué un tel séisme dans la classe politique, c'est que la gauche craint aujourd'hui que cette affaire ne provoque un énorme tsunami. Pour trois raisons.

La première, c'est que cette affaire est évidemment loin d'être terminée. Elle va empoissonner la vie du régime pendant des mois, voir des années. Ce n'est pas une demande publique de pardon qui effacera une telle indignité. D'autant que l'enquête va, tous les jours, soulever des questions auxquelles il faudra apporter des réponses.

 

D'où venait l'argent ? Depuis quelle date ? A qui était-il destiné ? N'y a-t-il pas là, un circuit de financement politique ? Par ailleurs savait-on que le comportement antérieur de Jérôme Cahuzac était sulfureux quand il a été nommé au gouvernement ? Enfin le président de la République, Jean-Marc Ayrault, et tous les cadres du PS, étaient-ils au courant du rôle particulier joué par Jérôme Cahuzac ? Où bien François Hollande dit qu'il n'était pas au courant et il passe une fois de plus pour un naïf et non compétent. Ou bien, il était au courant et dans ce cas il aurait couvert, d'une certaine façon, son ministre.

En l'état actuel des événements, François Hollande a le choix entre la naïveté ou la complicité.

François Hollande a choisi aujourd'hui de jurer haut et fort qu'il n'était pas au courant. Probable qu'il persistera à expliquer qu'il n'était pas au courant mais politiquement ça ne renforce pas sa crédibilité de Président.

 

La seconde raison, c'est que ce passage aux aveux est très nouveau au PS. C'est la première fois qu'une personnalité de gauche reconnait avoir mis les mains dans la confiture de l'argent. Jusqu'alors, la règle était « n'avouons jamais, ne démissionnons jamais ». Il fallait nier, toujours. Le seul ministre de gauche à avoir démissionné fut Dominique Strauss-Kahn soupçonné, jadis, d'avoir organisé un financement occulte du PS et cette accusation s'est terminée par un non lieu.

Or, cette ligne de conduite très stricte a servi à protéger la thèse d'un parti composé de gens honnêtes, exemplaires contrairement à la droite qui pouvait être corrompue par des liaisons dangereuses avec le pouvoir économique. Personne n'a oublié que François Hollande a fait campagne en promettant une République intègre. Seul moyen de demander à l'opinion des sacrifices et des efforts. Seul moyen de restaurer la confiance.

 

Cette ambition s'est complètement brisée par les aveux de Jérôme Cahuzac.

Si le ministre en charge de la restauration des comptes publics et chargé de lutter contre la fraude fiscale est confondu lui-même d'évasion fiscale, toute la construction morale et toute l'architecture du président de la République s'effondrent. Comment gouverner et avec qui, si un ministre du gouvernement ment de façon violente à toute la représentation nationale. La confiance, ou ce qu'il pouvait en rester, est partie en éclat. Le PS ne peut définitivement plus se positionner comme le gardien de la morale publique.

La première réaction du président de la République et de son entourage a été de prononcer une condamnation extrêmement sévère du comportement et de l'attitude personnelle de Jérôme Cahuzac. Ceci étant, une telle posture a ses limites. Parce que si l'entourage de Jérôme Cahuzac était effectivement au courant, ce type de condamnation risque de revenir en boomerang avec des conséquences incalculables.

Pour Jérôme Cahuzac lui-même, sa vie va devenir impossible. Bernard Tapie, qu'on ne peut pas soupçonner de complaisance à l'égard de Jérôme Cahuzac, rappelait très justement ce qu'il était arrivé à Pierre Bérégovoy quand il s'est retrouvé complètement lâché par le président de la République. « Les chiens sont nombreux aujourd'hui et pas seulement dans la presse... »

Un parti politique dont toute l'ADN est tenue par une certaine idée de la morale ne peut pas accepter que l'un de ses membres le trahisse à ce point. Comme dans les familles bourgeoises d'autrefois, l'un des fils peut faire des bêtises et fauter, comme on disait à l'époque, mais surtout que personne ne le sache ! François Hollande n'a pas pu sauver les apparences.

Enfin troisième raison, cette affaire est gravissime aussi parce qu'elle renvoie à toute l'équivoque qui domine la politique du gouvernement. Ce dernier se retrouve coincé entre ses promesses électorales, ses engagements idéologiques et les contraintes de la réalité. Toute la question qui se pose au président de la République depuis plus de six mois est de savoir s'il doit assumer des réformes libérales pour affronter la mondialisation et les contraintes économiques ou alors persister à essayer de répondre à la demande politique qui s'adresse à lui depuis les élections.

Dans le premier cas, il se retrouve en porte à faux avec sa majorité. Dans le second, il se dirige droit à la faillite.
Cette ambigüité était particulièrement sensible lors de sa dernière intervention télévisée. Il devait recadrer sa stratégie d'action politique, il n'a en fait tenu qu'un discours aussi mou que flou auquel peu de gens ont adhéré. Ses partisans ont été déçus et l'opposition n'a rien trouvé de positif comme réformes annoncées. Plus grave, on ne pouvait que s'interroger sur la ligne stratégique. Ou bien François Hollande croit vraiment à ce qu'il dit et ce qu'il explique ou il n'y croit pas et il attend un événement grave pour passer à autre chose et imposer une politique de redressement de la compétitivité dont le seul inconvénient est qu'elle n'a pas l'imprimatur socialiste. Tomber au fond de la piscine pour rebondir.

L'affaire Cahuzac pourrait servir d'électrochoc. Obliger le PS à regarder la vérité de son fonctionnement interne, et plus loin, obliger le gouvernement à regarder la vérité des faits et des chiffres. Reconnaitre que la démocratie à la française avec si peu de contre-pouvoir, n'est pas un modèle de probité même quand elle est « drivée » par des gens de gauche. Reconnaitre que la gauche n'a pas le monopole de la vertu. Reconnaitre que la confiance comme la croissance ne se décrètent pas, reconnaitre que la gauche peut aussi sortir de la route. Franchir la ligne jaune et se faire prendre.

Autant de reformes nécessaires mais inavouables sans électro choc. Au point où le régime en est arrivé, ce n'est plus de réformes dont il a besoin mais d'une révolution.

 

 

 

 

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Après une licence en sciences économiques, puis un doctorat obtenu à l'Université Paris-Dauphine, il est assistant professeur à l'Université de Caen. Puis il entre en 1973 au magazine L’Expansion, au Management, à La Vie française, au Nouvel Économiste (rédacteur en chef adjoint) puis au Quotidien de Paris (rédacteur en chef du service économie). Il a exercé sur La Cinq en tant que chroniqueur économique, sur France 3 et sur TF1, où il devient chef du service « économique et social ». Il entre à LCI en juin 1994 où il anime, depuis cette date, l’émission hebdomadaire Décideur. Entre septembre 1997 et juillet 2010, il anime aussi sur cette même chaîne Le Club de l’économie. En juillet 2008, il est nommé directeur adjoint de l'information de TF1 et de LCI et sera chargé de l'information économique et sociale. Jean-Marc Sylvestre est, jusqu'en juin 2008, également chroniqueur économique à France Inter où il débat notamment le vendredi avec Bernard Maris, alter-mondialiste, membre d'Attac et des Verts. Il a, depuis, attaqué France Inter aux Prud'hommes pour demander la requalification de ses multiples CDD en CDI. À l'été 2010, Jean-Marc Sylvestre quitte TF1 et LCI pour rejoindre la chaîne d'information en continu i>Télé. À partir d'octobre 2010, il présente le dimanche Les Clés de l'Éco, un magazine sur l'économie en partenariat avec le quotidien Les Échos et deux éditos dans la matinale.  

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