Haut-Commissariat au Plan : une réelle opportunité ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 13 décembre 2022 à 20h38
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11%Bercy s'attend à une récession de 11% en France en 2020.

Techniquement, la création d’un Haut-commissariat au Plan semble consister simplement à mettre en place une petite structure permettant à François Bayrou de passer des commandes à France Stratégie, organisme qui dispose de nombreux collaborateurs (une centaine, selon le rapport d’évaluation réalisé en 2016) et d’un budget (environ 15 M€, selon le même rapport).

L’origine de cette institution est ancienne : son appellation actuelle remonte à 2013, mais elle existait antérieurement en tant que Centre d’analyse stratégique, structure qui avait elle-même pris la place, en 2006, du Commissariat général au Plan institué en 1946.

« Il faut que tout change pour que rien ne change »

Ces changements de dénomination reflètent le désir des hommes politiques de créer de nouvelles structures, en se conformant à l’adage mis sur les lèvres de Don Léopold Auguste dans Le soulier de satin de Paul Claudel : « du nouveau, encore un coup, mais qui soit exactement semblable à l’ancien ». La formule de Tomasi di Lampedusa dans Le Guépard, « il faut que tout change pour que rien ne change », est réaliste en ce qui concerne le microcosme politique : la plupart des gouvernants se croient soumis à un impératif de nouveauté, si bien que, ne sachant que faire, ils modifient les dénominations, et quelques modalités de fonctionnement, d’organisations qui, bonnes filles, s’accommodent aussi bien de s’appeler Clémentine qu’Ernestine.

Néanmoins, il est possible que la nomination de François Bayrou comme Haut-Commissaire change la donne. La situation actuelle de la réflexion économique, sociale et politique, assez lamentable, n’est pas une fatalité. Elle ressemble à celle que connut Galilée lorsqu’il fit aboutir les travaux de Copernic renversant les idées relatives aux rôles réciproques de la Terre et du Soleil. Pour sauver sa vie, Galilée dût dire au tribunal qu’il renonçait à prétendre que la terre tourne autour du soleil ; le Béarnais va se trouver à son tour face à des conceptions inexactes mais sacralisées : osera-t-il dire qu’un chat est un chat, que certaines de nos lois qui prétendent que c’est un chien sont des erreurs ?

Nous allons examiner deux exemples de ces législations qui décrètent que les chats sont des chiens. Elles ont une importance considérable, si bien que le passage de l’actuelle conception ptolémaïque à une conception copernicienne serait particulièrement dynamisant pour notre pays. Le premier exemple est celui des retraites – les retraites dites « par répartition » - et le second celui des cotisations sociales.

Le Plan pourrait aider la classe politique française à réfléchir logiquement aux retraites

Premier exemple particulièrement important de situation traitée actuellement dans le cadre d’une logique pré-copernicienne, celui des retraites. Notre législation, analogue sur ce point à celles de nombreux pays, dispose que les cotisations vieillesse, destinées à être immédiatement reversées aux retraités actuels, ouvrent des droits à pension. Une telle législation constitue l’équivalent moderne du dogme médiéval selon lequel le soleil tournerait autour de la terre : elle n’a rien à voir avec la réalité. La vérité a été exposée par Alfred Sauvy il y a un demi-siècle : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ». Si le Haut-commissaire au plan a l’intelligence et le courage de conseiller la mise au rancart de la disposition juridique diamétralement opposée à la réalité économique, et son remplacement par une attribution des droits à pension au prorata des investissements réalisés dans le capital humain, notre pays deviendra la lumière du monde en matière de retraites.

Un deuxième mythe à mettre au rancart : les cotisations patronales de sécurité sociale

Le caractère onirique de notre législation ne se limite pas à la formation des droits à pension. Toujours dans le domaine du Droit Social, l’existence de cotisations dites « patronales » est tout aussi rocambolesque. Le dogme juridique officiel affirme en effet que le financement de la sécurité sociale serait réalisé pour partie par les travailleurs, et pour partie par les employeurs. Cette idée reçue montre que le Législateur n’a rien compris à ce qui se passe réellement, et qu’il a construit un point très important de notre droit social à partir d’apparences trompeuses.

En fait, tout l’argent de la protection sociale vient de l’employeur ; et ce flux d’argent vers les caisses de la Sécu et de l’ARRCO-AGIRC, qu’il porte le nom de cotisation patronale ou celui de cotisation salariale, ampute la rémunération du salarié. La vraie rémunération du travailleur est le salaire super-brut (salaire net plus cotisations, tant patronales que salariales), dont l’amputation au profit de la Sécu s’effectue bizarrement sous une forme duale, les cotisations dites patronales, et les cotisations dites salariales. Cette dualité relève du dicton « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? »

En instaurant deux catégories de cotisations, les une dites patronales et les autres salariales, le Législateur a substitué à la réalité économique une sorte de phantasme juridique. La véritable rémunération du salarié est clairement le salaire super-brut ; le prélèvement opéré sur cette rémunération pour alimenter les assurances sociales et les caisses de retraite complémentaires a été divisé juridiquement en deux parts pour différentes raisons, dont la principale fut historiquement de mettre en valeur la « générosité » des employeurs, soucieux du bien-être de leurs salariés au point de prélever sur leur cassette pour qu’ils puissent percevoir des prestations en cas de maladie ou d’accident, et des pensions de vieillesse.

En réalité, le patronat et les autorités craignaient que si les cotisations étaient purement salariales, les ouvriers et employés préfèrent qu’elles soient minimes, la préférence pour le présent étant forte : tant qu’on est en bonne santé, il est tentant d’améliorer son ordinaire plutôt que de cotiser pour le cas où l’on serait malade ou victime d’un accident. Le recours aux cotisations patronales permettait donc à la fois de faire mousser l’humanisme du patronat et de contrer la tendance à l’imprévoyance qui existe chez bon nombre de personnes. Un siècle et demi plus tard, ces raisons sont moins prégnantes, mais la division des cotisations sociales en une part salariale et une part patronale demeure, à la fois parce que le législateur, en apparence friand de nouveauté, est en fait très conservateur, et parce qu’elle donne du grain à moudre aux organisations de salariés et d’employeurs tout comme au Gouvernement et aux Assemblées.

La logique voudrait que la cotisation salariale absorbe la cotisation patronale : cela ne changerait rien au coût du travail pour l’employeur, ni à la couverture sociale des salariés, mais ceux-ci prendraient conscience du fait qu’en réalité ce sont eux qui paient la totalité de leur protection sociale, grâce évidemment à la rémunération de leur travail. Leurs délégués syndicaux seraient enfin mis en face des réalités : il ne leur serait plus possible de prétendre augmenter la générosité de la protection sociale de leurs mandants aux frais des employeurs.

Il serait très profitable pour le dialogue social de sortir du mensonge institutionnel actuel, de cesser de s’encombrer de trois grandeurs salariales, le super-brut, le brut et le net. Seuls deux de ces concepts ont un sens : le super-brut, somme due par l’employeur à son salarié pour le travail accompli, et le salaire net, reste de la rémunération après paiement des cotisations sociales. Le Haut-commissariat se rendrait vraiment utile en préparant la suppression des cotisations patronales, remplacées par une augmentation des cotisations actuellement dites salariales. Il est grand temps que le salarié comprenne ce qu’est sa vraie rémunération, et ce qu’il paye réellement pour que lui-même, sa famille et ses concitoyens aient une bonne couverture sociale. Nous vivons enveloppés de voiles qui nous dissimulent la réalité, cela n’est pas sain. La loi sert à maintenir une mythologie qui dissimule la réalité, ce n’est pas démocratique. Si le Haut-commissariat ne se consacre pas à mettre les Français face à la réalité, qui le fera ? Ajoutons que cette réforme sera très profitable au dynamisme de notre économie, miné par ce mensonge institutionnel comme par celui que nous avons signalé plus haut relativement à l’attribution des droits à pension.

Quand un congé définitif aura été donné à la notion actuelle de salaire brut, simple base de calcul de ce qui va être versé d’une part au salarié, d’autre part aux organismes sociaux, pour le compte des dits salariés, un grand pas aura été fait en direction du réalisme institutionnel et juridique, qui pour l’instant brille surtout par son insuffisance. La fiche de paie comportera le montant total de la rémunération, actuellement appelé « salaire super-brut », les versements aux caisses de sécurité sociale et autres organismes du même genre, le versement au titre de l’impôt sur le revenu, et le salaire net de tous ces prélèvements à la source. Employeurs et salariés seront enfin placés dans une situation juridique correspondant à la réalité économique, ce qui facilitera grandement le nécessaire aggiornamento du dialogue social.

Le Plan et nos relations avec le reste du monde

Notre petite planète file du mauvais coton. La surexploitation des ressources naturelles et la prolifération des êtres humains dans les pays sous-développés peuvent à moyen terme causer de graves difficultés. La France n’a évidemment pas les moyens, seule, de faire grand-chose pour changer la donne, mais elle peut et doit contribuer efficacement au management d’une situation extraordinairement délicate. Un ministère des affaires planétaires, englobant – sans s’y limiter – l’actuel ministère des affaires étrangères, aurait du pain sur la planche ! Plan, planète, les mots eux-mêmes indiquent par leur proximité que le Haut-commissariat devrait jouer un rôle éminent dans la réflexion à mener sur ce terrain névralgique, et dans la préparation des actions.

Le covid-19 vient de nous montrer que les problèmes sanitaires sont en grande partie planétaires. La montée des eaux, quand elle conduira des dizaines de millions d’êtres humains à se déplacer ou à changer leurs modes de vie, sera évidemment plus grave pour le Bangladesh que pour la France, mais il serait naïf de croire que ce drame ne nous concernera pas, au même titre que la désertification de certaines zones, qu’elle soit liée au réchauffement climatique global ou à des comportements locaux incompatibles avec une forte croissance démographique. Celle-ci, comme la perte de substance démographique dans la majorité des pays développés, pose des problèmes à moyen et long terme qui sont clairement un sujet pour le Plan.

L’Union européenne a visiblement besoin d’un nouveau souffle. La calamiteuse gestion du Brexit montrerait à elle seule, si besoin était, que le management de l’Union n’est pas satisfaisant. Les décisions requises ne sont pas prises, bien des problèmes pourrissent. Nous ne disposons, ni au niveau mondial, ni au niveau européen, d’une gouvernance adéquate. Là encore, le Haut-commissariat au Plan a du pain sur la planche …

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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