Les marchés obligataires anticipent une solide reprise économique aux États-Unis, comme en témoigne la hausse des taux longs, qui ont triplé ces six derniers mois. Cela a des conséquences profondes et immédiates pour les investisseurs, mais ne fait pas l'affaire de la Réserve fédérale dont le calendrier de réduction des achats d'actifs et de hausse des taux directeurs pourrait être perturbé.
Le 6 mars, le Sénat américain a approuvé le plan de relance de 1 900 milliards USD de l'administration Biden, ouvrant ainsi la voie à une reprise des programmes de soutien équivalant à 8% du produit intérieur brut. Il y a un mois, la secrétaire au Trésor Janet Yellen a déclaré : « Il n'y a absolument aucune raison pour que nous souffrions d'une longue et lente reprise ».
Les taux à long terme ont pris l'ascenseur vers mi-février en réponse à l'embellie des perspectives économiques et aux anticipations d'une augmentation de l'inflation. Le rendement des bons du Trésor à 10 ans a ainsi augmenté de 7 points de base la semaine dernière pour atteindre plus de 1,54%, trois fois le niveau de 0,51% du 4 août 2020. Le 5 mars, le S&P500 a clôturé en baisse de 2% par rapport à son record du 12 février. Les cours élevés des marchés boursiers, qui reflètent la reprise post-pandémique depuis des mois, laissent peu de marge pour une erreur de politique monétaire.
Sommes-nous proches du but ?
La semaine dernière, les enquêtes de février publiées par l'Institute of Supply Management ont indiqué que les prix étaient à leur plus haut niveau depuis 2008 et son indice manufacturier a enregistré un record depuis trois ans, et son neuvième mois d'expansion consécutif. On observe également des signes de reprise dans le secteur des services : le taux de chômage américain a légèrement diminué à 6,2%, avec une grande partie des nouveaux emplois créés dans les secteurs de l'hôtellerie et des loisirs. Les matières premières ont également progressé cette année, le pétrole et le cuivre enregistrant des niveaux inédits depuis plusieurs années.
La Fed a constamment rejeté l'idée que les récentes hausses de prix indiquaient une poussée inflationniste soutenue et les a qualifiées de « transitoires ». La Fed veut maintenir des conditions monétaires accommodantes aux États-Unis avec des taux proches de zéro en prévision d'une large reprise économique.
Son président, Jerome Powell, continue à mettre l'accent sur le plein emploi. Les objectifs d'emploi maximum et d'inflation moyenne à 2% « sont hautement souhaitables et représenteraient une économie très avancée sur la voie de la reprise ». Trois mois de croissance limitée de l'emploi ne constituent « pas un énorme progrès », a-t-il ajouté.
Il y a deux semaines, nous avons écrit que nous n'envisagions pas d'augmentation soutenue de l'inflation tant que les capacités excédentaires persisteraient dans l'économie. Nous estimons qu'au rythme actuel de la reprise, le marché de l'emploi américain aurait besoin de deux ans et demi encore pour retrouver son niveau d'avant la pandémie. Par conséquent, tant que ces capacités excédentaires perdureront, elles empêcheront toute augmentation plus soutenue des prix.
Dans l'intervalle, les décideurs politiques peuvent tolérer des taux plus élevés, aussi longtemps que ces derniers reflètent une amélioration de la confiance et des perspectives économiques, sur la base de programmes de vaccination et de mesures de relance supplémentaires.
Communication et calendrier
L'arme la plus efficace de M. Powell est la communication. En décembre dernier, la Fed a promis de maintenir son taux directeur à court terme proche de zéro jusqu'en 2022. Cependant, la présentation du 4 mars réitérant les perspectives de la Fed n'a pas convaincu les marchés. Pour l'instant, la hausse des taux n'a pas suffi à susciter une réaction de la part de l'autorité monétaire américaine. Cela pourrait changer si cette hausse se poursuit.
L'adoption par la Fed d'un cadre de ciblage de l'inflation sur le moyen terme pourrait alimenter une prime plus élevée à l'extrémité longue de la courbe, car cette approche peut impliquer une plus grande incertitude en matière d'inflation et la réaction de la politique monétaire à une hausse des prix. Ce qui nécessiterait une solide communication de la part de la banque centrale pour orienter la dette souveraine à plus court terme. Cela pourrait aussi conduire à une pentification de la courbe des taux, sans toutefois atteindre les niveaux observés en 2009 et 2011 dans le sillage de la grande crise financière.
Si l'augmentation des rendements obligataires représente un défi pour les investisseurs en actions, elle reflète également des perspectives plus positives concernant la reprise économique. Ce qui est fondamentalement positif pour les entreprises sous-jacentes. Dans ce cas, et si elle est gérée avec prudence, l'amélioration des perspectives économiques devrait contrer toute réduction éventuelle du soutien monétaire.
La Fed poursuit ses achats d'actifs au rythme de 120 milliards USD par mois. M. Powell préfère attendre que l'économie indique de nouveaux signes de redressement avant de les réduire. Une fois que ce processus de réduction progressive sera achevé et que le bilan de la banque centrale sera stable, la Fed commencera à augmenter les taux directeurs, un moment que l'on appelle « décollage », sans compromettre la croissance. « Les directives concernant le décollage sont précises et il faudra un certain temps pour y parvenir », a-t-il assuré la semaine dernière.
Une fois que cette période de volatilité sur les marchés sera passée, et puisque la Fed ne prévoit de commencer à réduire ses achats d'actifs qu'en 2022, nous pensons que les premières hausses de taux d'intérêt post-pandémie ne se produiront pas avant 2023 aux États-Unis.
Une situation suivie de très près
Le reste du monde suit de près l'évolution des marchés américains. Les pressions inflationnistes se normalisent partout tandis que les programmes de vaccination se déploient à l'échelle mondiale. Cependant, les capacités excédentaires, les écarts de production, l'amélioration des échanges commerciaux et la concurrence internationale représentent des forces déflationnistes qui maintiennent l'inflation à un niveau inférieur aux objectifs des banques centrales, de la Suisse à la Chine en passant par la zone euro.
La Banque populaire de Chine (BPdC), par exemple, a promis que sa politique ne prendrait pas de « virage brusque » et a mis en garde les investisseurs contre les bulles des marchés financiers à l'étranger suite à des politiques monétaires laxistes à long terme. La banque centrale a déjà retiré des liquidités du système bancaire et nous estimons que la BPdC commencera à relever ses taux directeurs vers la fin de l'année. La BPdC cherche à éviter la création de bulles d'actifs, à rééquilibrer le marché des obligations d'entreprise et à réduire la dépendance de l'économie à l'égard de l'immobilier.
En Europe, la reprise économique continue à prendre du retard sur celle des États-Unis. Toutefois, le rendement de référence du Bund allemand à 10 ans est passé de -0,6% au début de l'année à -0,3% ce mois-ci. Durant la majeure partie de ces huit dernières années, l'inflation de la zone euro s'est avérée inférieure à la cible de 2% fixée par la Banque centrale européenne (BCE). En février, elle est restée inchangée par rapport à janvier, à 0,9%, selon les estimations d'Eurostat.
Les dirigeants de la BCE se réunissent le 11 mars. L'autorité monétaire européenne « ne devrait pas hésiter » à augmenter ses achats sur le marché obligataire pour limiter la hausse des taux, a déclaré Fabio Panetta, membre du conseil d'administration, le 2 mars.
Positionnés pour la reprise
Si la hausse des taux longs s'est avérée abrupte, elle ne nous a pas surpris et nous avons positionné les portefeuilles en vue d'un redressement au cours des deux derniers trimestres. En septembre dernier, nous avons augmenté notre exposition aux actifs sensibles à la conjoncture, tels que les actions européennes, britanniques et émergentes, et réduit les obligations de qualité et l'or, des actifs ont tendance à souffrir en cas de hausse des taux à long terme.