6,93%, c'est la prime du marché des actions à Paris. La prime de marché, c'est ce que le rendement que les investisseurs exigent d'obtenir au-delà de l'investissement réputé sans risque, c'est-à-dire, les obligations d'Etat à 10 ans qui rapportent aujourd'hui, 1,70%.
En théorie, lorsque cette prime de marché baisse, c'est un signal de la hausse du marché des actions. Cela fonctionne comme les obligations, avec la même relation inversement proportionnelle entre le prix et le taux.
Pour les actions, cela signifie que le rendement étant anticipé en hausse, le marché accepte de les payer plus cher car, selon son jugement, le risque pour obtenir ce rendement plus fort, devient moins élevé.
Qu'elle est donc cette anomalie qui conduit à observer un marché qui monte alors que cette prime ne bouge pratiquement pas ? Que se passe-t-il surtout sur le marché parisien qui monte alors que les perspectives de l'économie ne sont pas au beau fixe et n'ont pas de perspectives d'évolution favorables sous tous les horizons sous lequel on peut l'observer ?
Une anomalie de marché
D'abord, rappelons-le, il existe et existera encore pendant très longtemps une anomalie de marché qui provient du fait que les taux d'intérêt à long terme sont manipulés par la Banque Centrale Européenne qui fournit des liquidités abondantes et à un taux très bas pour que le système financier puisse absorber sans dommage les énormes quantités de dettes que les Etats européens continuent d'émettre.
Il en découle que lorsque les gestionnaires du portefeuille ne peuvent pas faire mieux que de réaliser un rendement de 1,70% à 10 ans avec des obligations françaises, ils recherchent d'autres actifs. Parmi ceux-ci, les actions ne semblent pas chères au regard de la perspective de rendement qu'elles offrent. A tout le moins, il vaut encore mieux acheter des actions françaises dont le rendement global (prime de risque plus taux sans risque) est similaire au rendement des obligations grecques.
Les perspectives encourageantes de l'économie américaine
L'autre raison, plus conjoncturelle, réside dans le fait que les perspectives de l'économie américaine semblent un peu moins moroses que les nôtres et du coup, Wall Street, qui donne toujours le la en Europe, bat record sur record.
Qu'on en juge, la croissance a été de 2,5% au premier trimestre (contre 0,4% au dernier trimestre 2012), le taux de chômage s'établit à 7,5% en recul de près de 10% sur un an et le déficit budgétaire devrait être en 2013 de l'ordre de 40% inférieur à ce qui était prévu, à son plus bas niveau depuis 2008.
Certes, chacun de ces indicateurs appelle des remarques et de longues explications peuvent être données pour les nuancer : la croissance a été réalisée par une augmentation des stocks et une consommation qui n'a pas été orientée par l'achat de produits fabriqués au Etats-Unis, en conséquence le baisse du taux de chômage diminue en s'essoufflant, et la réduction inattendue et trop rapide des déficits pourrait avoir un effet récessionniste...
Toujours est-il que... dans un contexte moins sombre que le notre et avec des taux d'intérêt monétaires et obligataires aussi bas qu'en Europe, les actions américaines présentent de l'attrait... car la santé financière des entreprises apparaît plus robuste que celle de l'état fédéral.
Des entreprises côtées exposées à la conjoncture mondiale
Par sympathie les actions européennes et françaises montent. Si l'on ajoute que l'indice CAC est composé de grosses sociétés souvent plus largement exposées aux conjonctures extérieures plutôt qu'à la conjoncture domestique, on comprend mieux ce mouvement. D'autant que les grosses sociétés, du fait de leurs implantations internationales disposent également de ressources pour n'être exposée à la fiscalité domestique que dans une proportion moindre que le taux d'imposition théorique.
Cependant, l'analyse de l'imbrication entre le marché des actions et le marché obligataire d'une part et celle de l'effet d'entrainement de l'économie américaine sur l'économie européenne de l'autre, en vogue depuis vingt ans va devoir maintenant tenir compte d'un changement de données fondamental. Et dont on n'a sans doute pas encore mesuré toute la portée et qui peut faire évoluer le schéma de pensée.
En effet, le Japon, en quasi stagnation économique depuis vingt ans vient de prendre des décisions extrêmement spectaculaires pour doper son économie. La BOJ, la banque centrale japonaise, a décidé de fournir des liquidités à l'économie japonaise de façon quasiment illimitée en se donnant la possibilité d'intervenir directement sur toutes les classes d'actifs -ce que s'interdit la BCE qui n'intervient que par l'intermédiaire des banques pour refinancer des créances commerciales et des bons du trésor- dans le but de parvenir enfin à relancer la demande interne mais surtout de faire baisser le yen qui a souffert pendant toute cette durée de son manque de compétitivité dans la zone asiatique face à la monnaie chinoise.
La BCE et l'héritage du Deutsche Mark
Ainsi la BCE demeure la seule banque centrale qui conserve, de façon avouée, un objectif de parité élevé pour sa devise. Les américains ayant, quant à eux, renoncé depuis le 15 août 1971 à toute ambition de cette nature. Il s'agit encore maintenant de préserver l'héritage du deutsche mark qui aurait permis à l'économie allemande de n'être jamais aussi puissante que lorsque sa monnaie était forte. Il sera intéressant de voir dans quelle mesure ce débat va évoluer durant la campagne électorale allemande.
L'Allemagne dont les excédents se sont nourrit du déficit des autres nations européennes ne pourra plus longtemps laisser entendre qu'elle ne veut pas payer pour les autres car les difficultés des autres nations finiront par lui en causer aussi.
Vers une tempête monétaire ?
L'embellie du marché des actions correspond-elle à une fusée rouge préalable à une tempête monétaire ou bien dans sa sagesse le marché des actions est-il en train d'anticiper des jours meilleurs pour les économies américaines et européennes. Si nous pensons que le gros de la crise du crédit est derrière nous, nous sommes loin d'imaginer que les économies vont maintenant repartir sainement et durablement.
La hausse à laquelle nous assistons est liée à des facteurs techniques et à des données conjoncturelles un peu meilleures aux Etats-Unis. Elle n'est pas ancrée dans le temps en Europe car de nombreux sujets concernant le rôle de la BCE et la gouvernance économique de l'Europe n'ont toujours pas été résolus.
Souhaitons que nos dirigeants, au pouvoir depuis un an, finissent par comprendre que la prospérité économique ne se décrète pas et surtout que la hausse de la bourse ne leur laisse pas penser que la prospérité est revenue sans qu'ils aient pris aucune mesure pour aller dans cette direction.
Par Philippe Leroy, Président directeur général de Détroyat Associés