Hanouna : gendarmes du CSA contre guignols du PAF

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Par Olivier Méresse Publié le 9 juillet 2017 à 5h00
Touche Pas A Mon Poste Sanction Csa C8
@shutter - © Economie Matin
6 millions ?La sanction du CSA contre l'émission Touche pas à mon poste représente un manque à gagner de six millions d'euros pour C8.

Cela faisait un moment que je n'avais pas jeté un œil à l'émission de Cyril Hanouna, Touche pas à mon poste ! et j'ai pu l'apprécier dans sa nouvelle mouture, débarrassée de toute coupure publicitaire.

Par quel miracle bénéficie-t-on de tant de vulgarité gratuite ? Nous ne sommes pourtant pas sur le service public puisque C8, la chaîne émettrice, appartient à Vivendi. C'est le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), autorité présidée par Olivier Schramek, qui a annoncé le 7 juin dernier sa décision de priver l'émission de publicité durant trois semaines, l'interdiction portant également sur le quart d'heure qui précède ou qui suit l'émission. Touche pas à mon poste ! assurant à elle seule 50 % des recettes de C8, cette sanction prive la chaîne de 6 millions d'euros sur un chiffre d'affaires annuel estimé à 130 millions d'euros.

Polémiques en cascade pour Hanouna

Cyril Hanouna est actuellement au cœur d'une polémique car il est accusé d'avoir diffusé une séquence homophobe (première faute) qui aurait embarrassé un homosexuel en dévoilant cette part de lui-même à sa famille (deuxième faute). Ce n'est pourtant pas pour cette histoire que la sanction du CSA a été prononcée. Les deux séquences qui la motivent remontent à la fin 2016. Dans la première, Cyril Hanouna fait mine de tuer un complice cascadeur et demande à Matthieu Delormeau, chroniqueur régulier de l'émission, de s'accuser du crime. Bref, c'est une « caméra invisible » et je n'en ai jamais vues que de navrantes (il s'agit toujours de piéger un dindon pour s'en moquer). La seconde séquence s'est déroulée hors antenne avant d'être diffusée dans un sujet sur les coulisses de l'émission. On y voit Cyril Hanouna faire deviner à Capucine Anav, chroniqueuse régulière de l'émission, quelle partie de son corps il lui fait toucher. Après lui avoir fait tâter sa poitrine et son bras, il guide la main de la jeune femme sur son entrejambe, ce qui la fait éclater de rire. Interrogée par sa voisine : « – Il t'a mis la main sur son sexe ? », elle répond : « Comme d'hab ! ».

Plus de 30 000 signalements

Matthieu Delormeau et Capucine Anav ont-ils porté plainte ? Non. Question subsidiaire : au nom de quoi une autorité quelconque devrait-elle se substituer à eux pour le faire ? Le CSA enquête à partir de signalements qui lui sont envoyés par des téléspectateurs. Un seul signalement peut suffire à mettre en branle la machine. La tragédie du touche-pipi a ainsi été « signalée » par 850 personnes et la récente polémique comptabiliserait quant à elle plus de 30 000 signalements, ce nombre ayant été gonflé par des internautes répondant aux nombreux appels lancés sur les réseaux après la diffusion. Curieuse façon de procéder que de ne pas demander leur avis aux victimes présumées et confier à des e-pétainistes ne trouvant plus le bouton pour éteindre la télé, le soin de moucharder à la Police de l'audiovisuel à chaque fois qu'ils se sentent « trop choqués ». Qu'en a-t-on à braire de l'opinion de ces chômeurs rongés par l'ennui et peut-être par l'envie ? Je ne réclame pas une dictature de l'Audimat mais si aucune plainte n'est déposée et qu'un million de téléspectateurs se retrouvent chaque soir devant l'émission de Cyril Hanouna, est-ce le rôle de l'État, à travers le CSA, de faire savoir à tous ces contribuables qu'ils ont mauvais goût ?

Des "leçons de civilisation"

Le respect de la dignité et de l'intégrité de la personne humaine, c'est dans des émissions que le CSA a validées ou n'a pas pris la peine de sanctionner que vous les trouverez : L'île de la tentation, Les Ch'tis à Ibiza, Les anges de la téléréalité-Miami Dreams ou Les Marseillais en Thaïlande (liste non-exhaustive...). Que de belles leçons de civilisation à consommer sans modération ! Les neuf sages (c'est ainsi qu'ils se nomment) du CSA ont d'ailleurs bien tort de se limiter à la télévision dans leur noble combat contre l'abrutissement. Pourquoi ne pas élargir le champ de leurs investigations à l'école, à la politique, à la législation ou à la fiscalité ? La télévision est plus souvent le miroir d'une société que son moteur. Chacun est libre de choisir son programme ou de débrancher la prise et il nous appartient d'interdire à nos enfants les chaînes ou les bouquets qui nous semblent indignes. Même en s'autorisant le recours à la vulgarité, fédérer en les divertissant plus d'un million de téléspectateurs chaque soir est un art difficile. Ils sont nombreux à s'y essayer et fort peu à y parvenir.

L'État n'ayant pas l'influence nécessaire pour faire baisser l'audience, il s'attaque aux revenus, discipline dans laquelle il excelle. En l'occurrence, les 6 millions d'euros de publicité perdus le sont stupidement et pour toujours. Car durant ces trois semaines, l'émission est financée à fonds perdus, uniquement pour conserver ses audiences. La sanction revient à une perte de 4,6 % de chiffre d'affaires pour C8 alors même que l'article 42-2 de la loi du 30 sept. 86 stipule qu'aucune sanction du CSA ne doit jamais excéder 3 % de ce montant. Heureuse coïncidence pour C8, cette sanction tombe au moment où de nombreux annonceurs retirent leur publicité des écrans de Touche pas à mon poste ! (suspicion d'homophobie de mai 2017) permettant de concentrer sur une seule période la sanction du CSA et la sanction du marché.

Pourquoi l'émission énerve-t-elle certains téléspectateurs ou notre autorité administrative indépendante (ne riez pas, c'est le statut officiel du CSA) ? En dehors de quelques débordements, le contenu du programme est très consensuel. Divers jeux de plage rythment les propos de quelques poivrots qui échangent leurs points de vue sur le PAF (Paysage audiovisuel français) critiquant sans ménagement toutes les émissions, y compris celles de C8 ou des chaînes appartenant au groupe Vivendi. Le succès de l'émission tient probablement à cette liberté de ton, qui se retrouve inévitablement dans les relations que les chroniqueurs entretiennent entre eux sur le plateau ainsi qu'avec les invités qui acceptent de se soumettre à la règle du jeu. Toute cette société s'écharpe et se chambre autant qu'il est possible, pour claironner en conclusion : « Et n'oubliez pas : la télé, c'est que de la télé ! » (la négation n'est pas respectée mais le principe de non-contradiction l'est ; ne soyons pas plus exigeants).

Touche pas à mon poste ! semble aujourd'hui victime de son propre gauchisme. Nous n'avons aucune raison de nous en réjouir car le Droit doit – par principe – bénéficier même à ses ennemis. Mais sous couvert d'expression grossière, le programme distille un parler politiquement correct du meilleur aloi. Qu'il s'agisse par exemple de subventions, de redistribution, d'interdictions ou d'obligations, la légitimité de l'intervention publique y fait rarement débat. Et à force de condamner les discriminations dans leurs manifestations les plus subtiles, l'émission en arrive à militer contre sa propre liberté de ton. Espérons seulement que la fronde à laquelle il doit actuellement faire face amène Cyril Hanouna à prendre mieux conscience du fait que le premier devoir d'un média est de défendre jour après jour son droit le plus précieux : la liberté d'expression. Et à la toute fin, pour que le spectacle soit apprécié des petits et des grands, c'est Guignol qui doit rosser le gendarme.

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Olivier Méresse consultant en entreprise, et secrétaire de l’Aleps, Association pour la liberté économique et le progrès social

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