Mali : Serval, un véritable test pour l’armée française

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Par Nicolas Mazzucchi Modifié le 22 janvier 2013 à 6h08

L’opération Serval, lancée depuis quelques jours pour libérer le Mali de la présence des groupes islamistes qui menaçaient de déstabiliser complètement le pays après s’être implantés dans le Nord où ils avaient fini par fonder un para-Etat. Cette intervention, dans une région à la complexité ethno-Etatique particulièrement prononcée, marque, après Harmattan en 2011, le retour des opérations militaires françaises offensives sur le sol africain. Venant à la suite des grandes opérations des années 70-80, notamment au Tchad (opérations Bison, Tacaud, Manta), Serval se profile déjà comme un engagement d’envergure avec plus de 2000 hommes déployés sur le terrain.

La situation se révèle complexe à plusieurs niveaux. Géographiquement tout d’abord, la porosité des frontières, héritées de la décolonisation comme du congrès de Berlin de 1885, rend, comme en Afghanistan, la traque aux islamistes délicate. En effet, si ces derniers ont une forte mobilité transfrontalière, il n’en est pas de même des troupes françaises, assujetties au respect des limites souveraines des Etats africains. Pour que cette intervention ne dégénère pas en un conflit régional, la gestion tactique comme stratégique de l’espace d’intervention devra être finement exécutée. Le Mali présente ainsi un profil proche de celui de l’Afghanistan si l’on reprend la dichotomie établie par D. Galula entre « pire » et « meilleur » pays – au niveau géographique - pour mener des opérations de contre-insurrection.

Au niveau géopolitique, cette intervention est également en train de devenir un prétexte pour nombre de groupes terroristes quant à la mise en place d’attaques contre des cibles occidentales. L’assaut et la prise d’otages sur un site du pétrolier BP dans le sud de l’Algérie par un groupe islamiste en est la preuve éclatante. Ces mêmes islamistes algériens avaient mis le retrait français au centre de leurs revendications et il est clair que si jamais un groupe terroriste, quel qu’il soit et quels que soient ses véritables buts, parvenait ne serait-ce qu’à faire croire qu’il est celui qui a fait plier les Français, alors son influence serait démultipliée dans une région où la concurrence entre factions est plus que rude. L’intervention française est donc également devenue un enjeu régional et même local dans une zone où les Etats ont beaucoup de mal à imposer une autorité centrale au niveau régional (sud de l’Algérie, nord de la Côte d’Ivoire) ou même national (Niger). L’intervention des forces armées algériennes sur le site d’In Amenas, est aussi un signal fort envoyé tant à la population algérienne elle-même, qu’aux islamistes et à Paris sur la capacité de l’Etat algérien d’assurer sa propre sécurité.

Le rôle des Etats africains est d’ailleurs assez ambigu. Alors que l’intervention contre les islamistes du Nord-Mali devait à la base être effectuée exclusivement par des forces africaines sous l’égide de la CEDEAO, les jeux d’influence au sein de l’Afrique ont abouti à une situation où c’est la France, pourtant très réticente à un engagement extra-africain, qui mène pour l’instant seule les opérations militaires. Commencée par un engagement des forces aériennes contre les points saillants du dispositif des islamistes, l’opération française se poursuit à l’heure actuelle par un déploiement au sol. Cette conjonction des moyens aériens et terrestres, nécessaire à toute opération d’envergure, permet de formuler, après les premiers combats, quelques réflexions.

Tout d’abord la nécessité absolue d’une complémentarité des moyens qui reste d’une validité irréfutable. Si aucune arme n’a jamais pu apparaitre comme « l’arme absolue », la coordination des différentes actions dans les espaces terrestre, maritime et aérien reste par contre l’une des clés majeures du succès des opérations militaires. De même, l’armée française est en train de démontrer, dans une période de révision du Livre blanc qui risque de s’avérer décisive pour l’avenir de l’outil militaire national, qu’elle conserve toute son efficacité. Alors que la plupart de nos voisins européens sont en train – ou ont déjà – largement amputé l’efficacité de leur armée (Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni), Serval démontre que la France est un leader plus que crédible pour l’Europe de la Défense et qu’un pays qui sait quand il le faut utiliser son armée de manière efficiente dispose d’une capacité d’influence plus qu’importante. Dans cette opération, la France a aussi bénéficié du pré-positionnement d’une partie de ses forces sur le sol africain dans le cadre de différents accords de coopération et de Défense. La base tchadienne de N’Djamena a ainsi servi de plaque tournante des opérations aériennes pendant que les troupes au sol se déployaient depuis le Tchad et la Côte d’Ivoire. L’entretien d’une forte coopération de type militaire entre la France et ses partenaires africains se révèle ainsi un atout extrêmement important dans une optique tant militaire qu’économique puisqu’elle permet de résoudre une partie de l’équation logistique.

Néanmoins les débuts de cette opération laissent aussi entrevoir quelques zones d’ombre quant à l’engagement français. Eu égard à l’ampleur du dispositif terrestre mis en place, le transport des hommes et des matériels s’est avéré problématique. La faiblesse générale des armées européennes en termes de projection de forces s’avère de plus en plus criante. Pour cette opération la France a dû faire appel à ses partenaires de l’OTAN qui lui ont prêté divers appareils de transport, notamment la Belgique qui a fourni deux C-130 ou le Danemark qui a prêté un autre avion du même modèle ou le Royaume-Uni qui a mis ses C-17 à disposition. Ceci démontre la nécessité absolue de repenser, dans le cadre du Livre blanc, la stratégie capacitaire de projection de forces de la France, condition sine qua none de la réussite d’opération complexes et éloignées du territoire national. De même la faiblesse de la France – et des autres armées européennes – en matière de drones, de plus en plus fondamentaux dans le renseignement nécessaire à la conduite des opérations, oblige à s’en remettre en partie à la bonne volonté de Washington. En offrant à la France une capacité qui lui fait défaut de manière criante – comptons sur les industriels de l’armement pour nous le rappeler à longueur d’interviews – Les Etats-Unis mettraient en avant plusieurs éléments. D’une part la générosité intrinsèque au leader de coalition qui montrerait à l’un des membres de l’OTAN qu’il est incapable de mener tout seul de bout en bout une opération de projection de forces aussi complexe. Ensuite les Etats-Unis pourraient mettre ainsi en avant leurs politiques militaro-industrielles ; dans ce cas particulier le pooling & sharing (mise en commun des matériels selon la norme du pays majoritaire), première étape de la déconstruction des industries de Défense européennes. Ces mêmes industries de Défense trouveront sans doute une occasion de se réjouir avec l’opération Serval. Après Harmattan en Libye qui avait quasiment vidé les stocks de munitions des avions français, Serval risque fort d’alourdir les commandes de l’armée française en projectiles et bombes diverses.

Les coûts associés de l’opération seront, il ne faut pas en douter, très importants entre le coût financier lié à la projection des 2000 hommes sur le terrain, le coût humain associé à tout engagement militaire et le coût politique international de l’aide reçue de nos partenaires. Toutefois Serval peut se révéler fondamental tant pour l’avenir des armées dans une période de profonde restructuration de l’outil militaire, comme pour l’influence française en Afrique où aucune autre grande puissance ne veut s’impliquer directement.

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Géoéconomiste et fondateur de Polemos Consulting.

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