Mon cher François, est-ce par la grâce de Valérie que vous absorbâtes quelque philtre sorcier grâce auquel vous semblez depuis quelques semaines échapper aux récriminations de votre peuple ? Car il semble vous aimer, dans votre cuirasse de lieutenant-général du Royaume qui porte le glaive dans les entrailles sarrasines, aux confins de la Barbarie et de la Nigritie. Vous-mêmes semblez prendre plaisir à guerroyer contre ces sauvages qui se glissent dans le sable pour échapper à vos coups. Tout cela me rappelle nos combats contre les Iroquois, dans les Amériques.
Cette expédition coloniale vous profite et vous avez bien raison de la faire durer. J’ai lu que nos régiments demeureraient chez les sauvages le temps qu’il conviendrait. Si nous admettons que chaque heure de cette guerre inégale si semblable à un spectacle pyrotechnique vous offre un regain d’amour de votre peuple, alors votre choix semble empreint de sagesse. Prenez simplement garde à l’état de vos dépenses : la guerre, même sauvage, coûte cher, et le produit des mines dont regorge le sol du royaume de Tombut que vous avez envahi ne suffira peut-être pas à compenser les pertes financières dues à votre expédition.
Profitez de l’instant qui passe ! Car l’état du royaume vous laisse bien peu le loisir d’agir autrement. Vos manufactures semblent fermer les unes après les autres, et vos manufacturiers ne vous font point de cadeaux. Il est vrai que le royaume a fondé sa prospérité, depuis plus d’un demi-siècle, sur ces grandes manufactures réunies où, comme le disait l’Encyclopédie, « tout se fait au coup de cloche, les ouvriers (y) sont plus contraints et plus gourmandés. Les commis accoutumés avec eux à un air de supériorité et de commandement, qui véritablement est nécessaire avec la multitude, les traitent durement et avec mépris ; de - là il arrive que ces ouvriers ou sont plus chers, ou ne font que passer dans la manufacture et jusqu'à ce qu'ils ayent trouvé à se placer ailleurs. »
De mon temps, le royaume comptait bien plus de manufactures dispersées, où les paysans consacraient quelques heures de leur semaine à des travaux manuels dont ils vendaient ensuite le produit à leur profit. Ce modèle avait ses vertus : les gens s’appartenaient et n’avaient guère le sentiment d’être aliénés à la volonté d’un entrepreneur, et de sa cohorte de valets, d’intendants, de préposés, qui ne trouvent leur importance et leur utilité que dans l’écrasement des petites gens.
Vous qui fûtes élu président sur le principe d’une répartition plus égale des richesses devriez prendre garde au ressentiment du petit peuple sur tous ces sujets. Les entrepreneurs qui vous rudoient apportent avec eux l’espérance d’une prospérité, mais aussi l’aigreur d’un mauvais traitement infligé aux ouvriers qui produisent les richesses. Pourtant, il n’en fut pas ainsi de tout temps. Les ouvriers vous feront grief, tôt ou tard, de votre indifférence à leur sort.
Car, vous le savez, un entrepreneur est d’abord un homme qui fait des calculs. Il cherche, et c’est bien naturel, à gagner sa pitance en dépensant le moins d’argent possible. S’il peut profiter de la mauvaise conjoncture pour baisser la solde de ses ouvriers, il n’hésite guère à le faire. S’agissant de manufacturiers français, la méthode est plus difficile à concevoir, mais vos manufacturiers étrangers, vos Good Year, vos Arcelor-Mittal, n’ont guère de scrupule à dépouiller nos ouvriers pour s’enrichir encore.
Jusqu’ici vous avez traité cette question avec la souplesse du dauphin qui fait des cabrioles pour éviter les obstacles que l’entraîneur place sur sa trajectoire. Mais concevez, mon cher François, que vos ouvriers ne se nourriront pas toujours de vos victoires militaires chez les Sarrasins. Il leur faudra aussi tôt ou tard du pain pour remplir leur assiette, et de la considération pour exister.
Peut-être même faut-il au bas peuple plus de considération que de pain. Ah ! Mon cher François ! L’arrogance de ma Marie-Antoinette, qui avait suggéré à ces mères parisiennes venues tonner à Versailles de remplacer le pain qui manquait par de la brioche... Je l’ai longtemps payée, et je la paye encore.
Songez-y ! Car de toutes parts, je vois la misère monter dans le royaume, et la Cour qui vous entoure ne semble guère s’en soucier. Certains disent que près d’un Français sur six a du mal à se loger. Un Français sur dix serait considéré comme pauvre. Et certaines rumeurs donnent froid dans le dos.
Je lis dans l’une de vos gazettes, par exemple, qu’une famille pauvre visitait le musée d’Orsay cette semaine. Selon la direction du musée, l’enfant de la famille se serait soulagé sur lui-même et l’odeur pestilentielle aurait obligé les gardiens à chasser la famille hors du musée. Selon l’association qui organisait cette visite, il n’en est rien : la famille aurait été chassée à cause de son apparence pauvre.
Eh bien ! Figurez-vous mon cher François qu’à Versailles ou aux Tuileries, jamais l’idée ne nous serait venue de chasser un impétrant à cause de son odeur. Nous qui ne connaissions ni sanitaires ni salles de bain à eau courante, nous acceptions fort bien la promiscuité ordinaire des êtres. Et même si notre noblesse ne pouvait se mélanger avec la roture, elle acceptait d’en partager les rues, les lieux publics, les odeurs courantes.
Par quelle étrange décadence des moeurs, par quelle conception aristocratique inédite dans le royaume ces mélanges ne s’opèrent-ils plus ? S’il existe entre nous des différences de naissance et de classe, cela nous condamne-t-il à faire scission ? A proscrire le brassage des êtres entre les gens ? Cette séparation des êtres, Dieu ne l’a pas voulue, au contraire. Et vous heurtez la loi naturelle en laissant faire, au jour le jour, un partage de cette sorte.
Tôt ou tard, cette complaisance excessive vis-à-vis des puissants vous jouera un mauvais tour. Je prends l’exemple de l’organisation de vos banques et de votre commerce d’argent, sur lesquels vous préparez une loi scélérate.
Je comprends bien l’esprit qui vous anim e: vous-mêmes n’entendez rien à tout ce trafic et vous fiez à l’opinion de quelques-uns de vos amis. Je puis vous les citer. Jean-Pierre Jouyet, que vous nommâtes à la tête de la Caisse des Dépôts et Consignations, et qui est votre Necker, au fond. Pierre Moscovici qui cherche la fréquentation de riches banquiers et assureurs. Emmanuel Macron qui fit fortune grâce à son esprit courtisan et à sa docilité vis-à-vis de vos bourgeois.
Mais enfin, le Crédit Agricole, qui fut longtemps le refuge de l’épargne pour nos paysans, n’annonce-t-il pas aujourd’hui des pertes colossales ? A cause d’une multitude d’investissements hasardeux, tous décidés sans écouter l’avis des paysans qui font la solidité et la richesse de la banque, les petits épargnants ne devront-ils pas rembourser près de 20 milliards d’euros ? N’avez-vous pas connu cette année la faillite de plusieurs banques, comme le Crédit Immobilier de France ou Dexia ?
Il me semble raisonnable, mon cher François, de trancher dans le vif de ces sujets ingrats, car la paix que vous gagnez aujourd’hui à ne pas le faire vous vaudra une bien plus longue intranquillité. Vos banquiers sont aussi cupides qu’arrogants, et rien n’entrave jamais leur soif d’argent et de profit, dussent-ils mettre en péril l’équilibre du royaume tout entier. Montrez-leur que vous ne régnez pas seulement sur le fanatisme de quelques sauvages dans le royaume de Nigritie ou de Tombut, mais que vous entendez bien aussi régner sur le fanatisme des salles de marché, des salles de coffres, et des conseils d’administration où quelques financiers, avec l’arrogance bourgeoise de ceux qui s’enrichissent sans contrepartie, scellent le sort funeste du pays.