Georges Papakonstantinou fut le ministre grec des Finances par qui la catastrophe est arrivée, en 2009. C’est lui qui a eu le courage de rétablir la vérité des comptes publics grecs et qui s’est exposé au risque personnel du premier plan de sauvetage du pays. Il nous a accordé une longue interview que nous publions en trois parties.
Le rendez-vous a lieu dans une maison bourgeoise du quartier périphérique de Kifissia, l’une des banlieues chics d’Athènes. La maison est bourgeoise, mais sans éclat particulier et sans ostentation. Dans le petit jardin qui la borde, des chats paressent au milieu du chant des cigales. La température est écrasante et les moustiques sont virulents.
Georges Papakonstantinou, ancien ministre grec des Finances
Georges Papakonstantinou ouvre presque timidement la porte. L’homme, depuis son expérience ministérielle au sein du gouvernement Papandreou, entre 2009 et 2011, a subi le traumatisme des réformes. Certains, parmi les opposants au PASOK comme parmi les forces économiques, ne lui ont toujours pas pardonné d’avoir dit la vérité sur les déficits publics grecs et d’avoir voulu moderniser le pays.
Il en a payé le prix fort, en faisant l’objet de calomnies sur une accusation de favoritisme fiscal dont la justice grecque n’est pas parvenue à démontrer le fondement. Pour cette étoile montante puis filante de la politique grecque, députée en 2007, élu au Parlement européen en 2009, espoir du feu PASOK, la déconvenue est douloureuse.
Comment s’est orchestrée la crise grecque
Il faut écouter Papakonstantinou (Papak pour les intimes) faire le récit des événements dramatiques de 2009 pour comprendre comment la tragédie grecque contemporaine s’est nouée. Lorsque Papandréou prend le pouvoir en septembre 2009, son jeune ministre des Finances découvre l’impensable: la Grèce ment fortement, inconsidérément, sur la réalité de son déficit public.
Estimé à 6% du PIB en juillet 2009, pendant la campagne électorale qui voit la défaite de la Nouvelle Démocratie de Samaras, le déficit risque en réalité d’atterrir à plus de 10% en fin d’année. La découverte est terrible, car elle annonce forcément des coupes sombres dans les dépenses publiques pour juguler l’implosion en cours de l’État grec.
La bombe éclate à la figure des Européens. Les marchés comprennent brutalement que la Grèce est un maillon bien plus faible que prévu dans la zone euro. L’Allemagne, Angela Merkel en tête, refuse de solliciter le contribuable allemand pour sauver un pays qui a menti. À cette époque, personne n’a clairement compris que seul un mécanisme européen de résolution de la crise pour sauver la monnaie européenne. À monnaie unique, sauvetage unique.
Encore une fois, la question de la rationalité économique en politique est posée
Sur le fond, le sujet majeur qui se pose au gouvernement grec de 2009 est celui de la rationalité économique et de la bonne gouvernance politique, ce que les penseurs italiens de la fin du Moyen-Âge appelaient le buon governo. Face à un désastre annoncé, vaut-il mieux injecter au peuple une dose d’euphorisants et lui mentir sur la situation du pays (technique prisée des politiques français) en laissant à d’autres le soin de devenir impopulaire en soignant le mal, ou vaut-il mieux lui administrer le remède nécessaire, au risque de tuer l’animal en se transformant au passage en épouvantail collectif et en bouc-émissaire?
Papakonstantinou opte pour le second scénario, avec les conséquences néfastes que l’on sait: la panique des marchés aggrave la situation, et les blocages des partenaires européens retardent une solution en laissant le mal se métastaser.
Tel est le risque auquel les pays qui repoussent les indispensables réformes s’exposent. À force de nier le mal et de ne pas vouloir se soigner, la cure n’en est que plus douloureuse. Surtout lorsqu’elle est imposée par les marchés financiers: dans ce cas de figure, la puissance du remède est fortement accrue par l’urgence et la pression financière.
Voilà une petite leçon dont la France ferait bien de se souvenir.
Tsipras est-il un Orban grec?
On entend beaucoup parler des dérives autoritaires d’Orban en Hongrie. La bien-pensance française en fait volontiers ses choux gras. On parle moins, curieusement, des mêmes dérives autoritaires de Tsipras, qui semble particulièrement friand d’une intervention directe dans les affaires judiciaires.
L’ancien chef du service des statistiques Elstat en fait les frais. Accusé d’avoir gonflé artificiellement les chiffres du déficit entre 2010 et 2015 pour justifier la mise sous tutelle du pays, il vient d’être blanchi par l’accusation.
Mais un juge de la Cour de Cassation demande le réexamen du dossier. Manifestement, la Cour tient à le punir. On notera que la Cour de Cassation est désormais présidée par une ancienne syndicaliste choisie par Alexis Tsipras en violation des principes habituels de la justice grecque.
De là à penser qu’Alexis Tsipras cherche à instrumentaliser la justice grecque pour régler des comptes politiques…
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog