A l’heure où ces lignes sont écrites, rien ne garantit que le gouvernement grec et les institutions de la "troïka" (BCE, FMI et Commission européenne) parviennent à un accord. De plans de sauvetage en plans d’urgence, cela fait maintenant cinq ans que le dossier grec est sur la table. Cinq ans que l’avenir de la zone euro est suspendu à la situation d’un pays qui représente moins de 2% de son économie.
Face à cette situation, la première question qui vient à l’esprit est : pourquoi en est-on encore là ? Pourquoi, puisque les problèmes de compétitivité et d’endettement public grec sont connus depuis longtemps (ils datent au moins des années 2000), aucune solution viable n’a-t-elle été mise en œuvre ?
Les solutions sont épuisées
Bien sûr, des « solutions », il y en a eu. Pour « résoudre » les problèmes de compétitivité, la Grèce s’est engagée, sous la supervision directe des autorités européennes, dans une marche forcée vers la dérégulation de son marché du travail et la baisse des salaires. Elle a ainsi pratiqué un dumping social brutal en dérogeant aux normes européennes élémentaires en matière de droit du travail. Pour « résoudre » le problème de la dette, la Troïka a imposé une politique de rigueur d’une extrême violence qui a entraîné le démantèlement des services publics essentiels (notamment la santé), la privatisation à marche forcée de pans entiers de l’économie (notamment les infrastructures de transport), et une hausse des impôts qui s’est massivement portée sur les classes moyennes et populaires.
En cinq ans, le bilan de ces politiques a été catastrophique, non seulement du point de vue social, mais aussi du point de vue des objectifs que la Troïka s’était assignés : la dette publique ? L’effondrement économique consécutif aux politiques d’austérité l’a fait exploser. Mesurée en proportion du PIB, elle dépasse aujourd’hui le niveau qu’elle avait atteint en 2010, malgré une restructuration partielle négociée alors. La compétitivité ? Elle est loin d’être rétablie. L’économie dans son ensemble exporte aujourd’hui moins qu’en 2008, et son activité industrielle a été diminuée d’un quart par rapport à son niveau d’avant crise. La Grèce produit moins, exporte moins, et est plus endettée qu’avant la crise. Voilà pourquoi, cinq ans après, rien n’a été accompli, à part l’appauvrissement et l’humiliation d’un peuple.
Il ne s'agit plus d'aider la Grèce, mais de limiter la casse
Mais alors à quoi sert-il de demander encore à la Grèce de flexibiliser son marché du travail, de diminuer encore ses pensions de retraites et de dégrader encore les conditions de travail de ses salariés ? Dans une tribune parue dans le Monde du 31 mai dernier, le Premier ministre grec Alexis Tsipras soulignait ce qui semble être en réalité l’enjeu réel de ces négociations. Les mesures imposées par les autorités européennes et le FMI ne visent pas à aider la Grèce. En poursuivant un programme qui échoue depuis cinq ans, la Troïka n’a aucune chance de garantir la solvabilité du pays et le remboursement de ses créanciers. Car l’enjeu réel de ces négociations est d’instaurer une logique autoritaire et post-démocratique en Europe. Exiger l’application de mesures absurdes et contraires au mandat confié par le peuple grec envoie un message très clair à l’ensemble des autres peuples européens : l’instauration du néolibéralisme n’a pas d’alternative. La préservation de l’euro et l’application dogmatique de traités mal fagotés ne sont pas négociables. En somme, l’intransigeance des créanciers est le symptôme qu’une logique de puissance tend à se substituer à une logique démocratique.
En ce sens, Alexis Tsipras a raison : si le message des urnes grecques n’est pas entendu, si la démocratie meurt en Europe, alors c’est tout le projet européen qui est condamné à disparaître. À force d’avoir « sauvé » l’euro, on aura détruit l’Union.