Il y a peu, par une journée ensoleillée, me voilà à Londres au chevet d'une grande Dame.
Comme beaucoup d'autres marques de la grande consommation (ou du FMCG pour les intimes - Fast Moving Consumer Goods), elle souffrait d'un mal bien connu de nos jours : l'angoisse soudaine de voir passer le train du e-commerce sans elle (presque du Wim Wenders à la City). Rien d'exceptionnel jusqu'à présent me direz-vous, si ce n'est qu'il faisait beau à Londres... Et pourtant cette journée et celles qui suivirent furent riches d'intérêts.
Elle en avait pourtant vu d'autres, cette grande Dame centenaire. Leader sur son marché, elle avait déjà vécu bien d'autres batailles. Mais là, son inquiétude était extrême. Petit à petit, sournoisement et inexorablement, elle sentait qu'elle perdait la connaissance des habitudes de ses consommateurs, jeunes ou moins jeunes, mais tous furieusement digitaux.
Pour susciter la mise en panier de ses produits, il lui était jusqu'à présent relativement aisé d'accéder aux rayons de ses distributeurs afin d'en analyser la performance et d'y apporter des optimisations : quelques pincées bien éprouvées de merchandising, de PLV, de coupons, etc. Et nous voilà sur les rails à nouveau !
Mais là, dans ce monde digital - et en particulier celui du e-commerce - en perpétuelle mutation, les choses sont radicalement différentes. La mesure de la performance des rayons est quasiment impossible car ils sont « virtualisés ». Dans ce nouveau monde digital, les données comportementales exhaustives ainsi que les performances économiques restent dans les murs des e-distributeurs ! Le taux d'insertion des produits d'une marque donnée en liste d'achat ou en panier peut évoluer dans un sens ou un autre à tout moment. A présent, il est très difficile pour cette grande Dame de mesurer l'impact de ses actions pour influer sur ces indicateurs... Quant à l'optimisation des campagnes, inutile d'en parler...
Bref, le diagnostic était clair : cécité digitale!
Cet hackathon version business fut prolixe : l'éventail des recommandations étendu, allant du traditionnel «ne rien faire» jusqu'à une exécution en nom propre d'une stratégie Direct to Consumer (proche des pure players).
Mais, encore plus intéressante fut la réaction de la grande Dame devant la mise en évidence de la vitesse d'itération grandissante de la boucle des trois fondements principaux du e-commerce.
Quels sont ces fondements ? Premièrement : accepter de travailler dans un mode «Try». Entreprendre une stratégie digitale - et de commerce en ligne en particulier - c'est avant tout accepter une remise en question permanente de ses acquis. Il faut tester, innover et évoluer sans cesse en fonction des expérimentations.
Le deuxième fondement réside dans la capacité de mesurer sa performance de la manière la plus unitaire possible tout en échappant à la dictature des indicateurs agrégés et des «vanity metrics». Cela signifie en particulier analyser des données fines pour en construire des enseignements pertinents, au lieu de vouloir faire entrer des comportements dans des schémas stéréotypés d'un autre âge (CSP, etc.).
Enfin le troisième, et non le moindre, est la capacité d'actionner des leviers personnalisés sur ces mêmes données, puis d'en mesurer les effets en temps réel et également dans le temps.
Espérer un succès durable - et profitable - pour son activité e-commerce exige un passage incessant au travers de ces 3 étapes pour optimiser sa performance à chaque itération. C'est à ce prix que l'on peut espérer concourir avec des pure players.
Mais la grande Dame fut lucide : «vous savez, nous aimerions faire tout cela mais nous ne connaissons ni les méthodes, ni les moyens à mettre en œuvre pour réagir aussi vite sur ce marché. Nous ne pouvons muter en un cyber marchand du jour au lendemain. Y aurait-il un acteur qui nous permettrait d'accéder à ce graal rapidement ?».
Hélas pas encore vraiment...
Certes de nombreuses sirènes (réseaux sociaux, places de marché, sites de ventes privées, etc.) promettent aux marques de leur donner une existence immédiate sur la toile, mais aucune ne leur permet d'itérer complètement dans la boucle des trois fondements de l'e-commerce. Les résultats engendrés ne sont qu'éphémères et il est difficile de mesurer leur contribution au profit.
Tout juste ont-ils accès au mode «Try». Pour le reste, ils doivent faire face à la même opacité de ces acteurs sur les données et sont réduits à «cruncher de la data», dont la provenance hétérogène diminue la pertinence, ceci malgré l'ingéniosité des Data Scientists.
Autre option : mettre en place une plateforme e-commerce en gestion déléguée. Cette solution offre l'avantage de fournir un vivier de données homogènes. Malheureusement, dans ce schéma, une marque doit alors s'appuyer uniquement sur son assortiment, qui est par nature trop restreint, pour remplir le panier du consommateur. Difficile alors, dans cette situation, de générer une audience suffisante pour être rentable.
Il y a donc un besoin vital pour les marques : celui de se rapprocher, durablement et de manière massive, de leur consommateurs via les canaux digitaux. Il suffit ensuite de nourrir cette relation par une intelligence capitalisable et des données homogènes et actionnables immédiatement.
Aujourd'hui malgré quelques soubresauts digitaux, la grande Dame est toujours malade. Emprunte de cécité sur les comportements de ses e-consommateurs et sans capacité d'agir directement, sa connaissance et sa maîtrise de son marché s'étiolent jour après jour ... Et pourtant elle doit garder espoir : de nouveaux remèdes pour recouvrer la vue à base de modèles prédictifs en temps réel sont en train d'éclore aux quatre coins de la toile. Ils lui permettront d'ici peu d'optimiser sur plusieurs canaux le rendement de son assortiment en agissant directement au moment de la composition ou de l'achat des paniers de ses consommateurs ...
Mais, pour en profiter elle devra sortir de sa torpeur et oser essayer, regarder, voir...