Réforme El Khomri : la loi n’est pas un bon instrument de gouvernement

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Par Jacques Bichot Publié le 25 mars 2016 à 5h00
Gouvernement Loi Travail El Khomri
@shutter - © Economie Matin
3,55 millions3,55 millions de personnes sont au chômage en France.

Les mésaventures du projet de loi El Khomri sont typiques de l’impuissance à laquelle est réduit l’exécutif du fait de la confusion qui prévaut entre loi et décisions gouvernementales.

Dans une démocratie efficace, la partie législative du code du travail serait réduite à l’énoncé d’un certain nombre de principes directeurs, et les mesures techniques seraient réservées à la partie réglementaire – qui gagnerait d’ailleurs à être bien moins prolixe qu’elle ne l’est actuellement. Mais nous vivons dans une démocratie inefficace, inefficace parce qu’elle mélange la fonction législative et la responsabilité de la gestion.

Dans une démocratie efficace, la loi ne se mêlerait pas de régenter la façon dont les entreprises comptant moins de 50 employés sont autorisées à conclure des « forfaits jours » avec ceux de leurs salariés pour lesquels le décompte des heures de travail n’a pas grande signification. Ce n’est pas non plus la loi qui préciserait les conditions exactes permettant de distinguer un licenciement « boursier » d’un licenciement répondant à une réelle nécessité économique. Ce n’est pas davantage la loi qui définirait le maximum du travail journalier ou hebdomadaire des apprentis et les adaptations de ces maxima à telle ou telle circonstance particulière. Etc., etc. En fait, la plupart des mesures qui figurent dans le projet de loi – bonnes ou mauvaises, ce n’est pas ici la question – relèvent de la responsabilité du seul Gouvernement. Faire de celui-ci un gamin qui doit, au petit déjeuner, demander l’autorisation de sa maman pour mettre sur sa tartine du beurre plutôt que de la confiture, conduit notre pays, et bien d’autres démocraties, à une impuissance catastrophique.

Que se passe-t-il quand le domaine de la loi est élargi de manière déraisonnable ? Pour gouverner, le gouvernement doit en référer au Parlement. Il cherche donc à prendre l’ascendant sur celui-ci, sans distinguer entre ce qui relève de la loi et ce qui relève de la gestion. L’extension des prérogatives du législateur dans un domaine qui constitue en fait la responsabilité propre des ministres induit un empiètement réciproque de l’exécutif sur le législatif.

Le fameux article 49-3, par lequel la Constitution autorise le Premier ministre à couper court, en engageant sa responsabilité, aux discussions des députés relatives aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale, est typique : ces textes sont composés pour plus de 90 % de mesures de simple gestion qui ne devraient pas avoir à être soumises a priori au législateur ; mais comme notre système politique confond gestion et législation, on laisse se dérouler un simulacre de discussion parlementaire en permettant au Gouvernement de siffler la fin de la récréation lorsqu’il estime que la plaisanterie a assez duré.

Cette gouvernance qui bafoue le principe de séparation des pouvoirs est la cause d’un dramatique manque de qualité tant de la gestion que de la législation : le législateur ne se consacre pas convenablement à ce qui devrait être son travail essentiel, puisqu’il passe le plus clair de son temps se mêler de ce qui est du ressort de l’exécutif ; et ce dernier perd son temps à soumettre ses décisions aux parlementaires au lieu de les préparer de façon professionnelle.

Le jour même où j’écris ces lignes, le 24 mars 2016, le JO publie une loi relative à la formation des élus locaux qui illustre fort bien mon propos. Ce texte crée un fonds pour le financement de la dite formation et délègue à la Caisse des dépôts le soin de le gérer et d’instruire les demandes de formation présentées par les élus ; il précise même les taux de cotisation légaux – j’allais dire réglementaires, ce qu’ils sont évidemment par nature en dépit de l’habit législatif dont ils ont ainsi été affublés.

Il est peu probable que la réforme constitutionnelle utile pour sortir notre République de l’impotence soit l’introduction dans la mère des lois d’un article relatif à la déchéance de nationalité – sujet sur lequel, n’étant pas compétent, je ne me prononce pas. En revanche, si la Constitution établissait une véritable séparation des pouvoirs, donnant au Législateur (peut-être quelques dizaines d’élus plutôt que 900) une pleine maîtrise de la rédaction de ce que Hayek appelle les « lois de juste conduite », au Gouvernement la responsabilité complète de la gestion des affaires publiques, et au pouvoir judiciaire une véritable autorité concernant l’exécution des condamnations dont font normalement l’objet les pouvoirs publics lorsqu’ils enfreignent la loi ou le règlement, alors nous pourrions progresser rapidement.

Après une telle réforme, il n’y aurait plus des projets de loi Macron ou El Khomri, débouchant péniblement sur des lois fortement rabotées, mais des décrets Macron et El Khomri, permettant d’avancer autrement que les jambes entravées en direction de la reprise économique et des créations d’emploi.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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