Fin août, la France a laissé entendre qu’elle s’opposerait à la prolongation de l’habilitation de la molécule glyphosate. L’Allemagne pourrait s’abstenir comme elle l’avait déjà fait en 2016 sur ce dossier. Faute d’une majorité claire, la décision européenne est toujours en suspens et le secteur agricole, premier otage de ce statu quo, attend angoissé que Bruxelles mette fin à des années d’incertitudes.
Le glyphosate, molécule qui sert à la fabrication de plus de 750 produits distribués par 90 fabricants, est à l’origine d’une véritable saga internationale impliquant des juges américains, des chercheurs européens, des journalistes, des associations et des paysans des deux côtés de l’Atlantique.
Ingrédient principal des herbicides de Monsanto, Bayer ou Syngenta, le glyphosate est classé en 2015 comme « probablement cancérigène pour les humains » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence intergouvernementale créée en 1965 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et dont les locaux se trouvent à Lyon.
Les conclusions du CIRC ont néanmoins été rapidement nuancées, voire contredites intégralement par des études postérieures, notamment celles de l’Agence européenne de la sécurité des aliments (EFSA) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui concluront au caractère non cancérigène du glyphosate. Selon l’ECHA, la molécule est également non-mutagène et non-toxique pour la reproduction.
Mais ces avis ne mettent pas fin à la polémique, qui se nourrit d’un procès actuellement en cours en Californie contre Monsanto, dont l’herbicide Roundup est le plus utilisé dans le monde et le plus vendu en France. Une polémique qu’a du mal à comprendre le Commissaire européen à la Santé Vytenis Andriukaitis, pour qui il n’y a pas de raisons d’interdire le glyphosate à l’échelle européenne. Ce dernier s’est récemment montré surpris de l’importance accordée à la monographie du CIRC, au vu des dernières études publiées : « Il s’agit d’une position commune (selon laquelle le glyphosate n’est pas dangereux pour l’homme). Pourquoi rejette-t-on cette conclusion en faisant systématiquement référence à la première étude ? ».
Résultats mis en cause
Les conclusions du CIRC ont également été remises en cause par les révélations de deux enquêtes menées en juin dernier par Reuters et en août par le magazine Politico. Ces dernières ont apporté les preuves que l’institut lyonnais a sciemment choisi de ne pas prendre en compte deux études concluant à la non toxicité de la controversée substance.
Le CIRC a d’abord ignoré l’Agricultural Health Study (AHS), une étude qui concluait à la non toxicité du glyphosate après avoir évalué l’impact de celui-ci sur des agriculteurs exposés à la substance pendant plus de 30 ans. Aaron Blair, épidémiologiste au CIRC dont le rôle a été central lors de ces discussions, faisait également partie de l’équipe de chercheurs travaillant sur l’AHS. Il était donc parfaitement au courant des résultats de cette étude bien qu’elle n’ait pas été officiellement publiée à l’époque.
Le CIRC a également négligé l’étude de l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR), établissement compétent en matière de sécurité alimentaire, sécurité des produits et des substances chimiques, contamination de la chaîne alimentaire, protection des animaux et santé des consommateurs. Parue en 2015, l’étude du BfR conclut également à la non toxicité du glyphosate.
L’institut lyonnais a pourtant refusé de soumettre à Charles Jameson, un spécialiste des tests sur les animaux en charge d’évaluer les dangers de la molécule (qui sont au cœur de la décision de l’institut lyonnais), deux études concluant à la non-toxicité du glyphosate, dont celle du BfR, dans les temps impartis. Les résultats de ces études, disponibles à l’époque, auraient pourtant apporté des informations indispensables au débat selon l’aveu de Jameson lui-même, cité par le magazine Politico.
Deux erreurs commises coup sur coup par le CIRC qui remettent en cause la crédibilité de l’organisme, mais qui ne semblent étrangement pas entacher ses conclusions dans le milieu journalistique.
Une controverse qui n’a étonnamment pas empêché le gouvernement français de prendre position en dépit des rapports scientifiques des agences européennes : le ministre de la Transition énergétique Nicolas Hulot a annoncé le 31 août à l’AFP que Paris votera contre le renouvellement de la licence du glyphosate dans l’UE. La balle est désormais dans le camp des autorités allemandes, dont le choix sera déterminant pour le futur de l’herbicide.
Les agriculteurs, grands perdants d’une interdiction du glyphosate
En attente de la réponse définitive de l’Union européenne cette année, les agriculteurs européens demeurent dans l’angoisse, leur sort étant lié, pour une partie non négligeable d’entre eux, à celui du glyphosate. L’an dernier, peu de temps avant une décision officielle de l’Union européenne, Eric Thirouin, président de la Commission Environnement de la FNSEA, le principal syndicat agricole français, avait été interrogé à ce sujet. L’agriculteur avait été on ne peut plus pessimiste « C’est un produit irremplaçable, dont l’impact sur les rendements et la qualité des récoltes est inestimable. S’il était interdit du jour au lendemain, ce serait une catastrophe pour une grande partie de la profession. Le coût s’estimerait sans doute en centaines de millions d’euros pour l’agriculture française, alors que celle-ci traverse déjà une grave crise ».
Aujourd’hui, les choses n’ont guère changé, et la situation économique ne s’est pas améliorée. Beaucoup savent qu’une interdiction du glyphosate serait fatale, comme le montre une étude réalisée par IPSOS à ce sujet en 2016. Le sondage avait essayé d’imaginer l’impact qu’aurait une interdiction du glyphosate sur l’agriculture française. Le constat, très peu médiatisé, était pourtant accablant.
En cas de retrait, 9 agriculteurs sur 10 appliqueraient tout de même des traitements herbicides supplémentaires avec d’autres matières actives. L’augmentation de leurs coûts de production serait de 24%, tandis qu’une baisse de rendement était estimée à 25% par la moitié du panel en cas de suppression.
Pour plus de la moitié des agriculteurs sondés, il s’agirait « avant tout d’une décision symbolique », tandis que 81% des agriculteurs « n’approuveraient pas du tout » le retrait du glyphosate, ce qui en ferait une mesure à la fois inefficace mais également impopulaire.
Car la molécule « la plus utilisée au monde » permet des gains indispensables en matière de rendements agricoles, de rentabilité économique des exploitations ou encore de préservations des cultures. Toujours pour IPSOS, les trois quarts des agriculteurs français estimaient déjà que les herbicides à base de glyphosate sont des outils indispensables aux techniques de conservation des sols.
Est-il nécessaire de rappeler que le recours aux produits phytosanitaires préserve de l’érosion, facteur écologique rarement évoqué par les écologistes de la première heure ? Le remède peut parfois être pire que le mal…