Voitures électriques : La stratégie industrielle de Renault est la bonne

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Par Pascal de Lima Modifié le 13 décembre 2022 à 20h41

Merci à Boulogne Billancourt d'avoir donné son envol international à Renault

A l'heure où les critiques pleuvent vertement sur les dirigeants des entreprises et plus particulièrement ceux du CAC 40 pour leur choix stratégiques et les conséquences en termes de diminution d'effectifs, nous essayons de comprendre la logique des stratégies mises en œuvre pour Renault.

La stratégie et les orientations économiques du pool de direction d'une entreprise est un ensemble d'orientations visant à établir un avantage comparatif ou spécifique par rapport à un concurrent. Elles s'établissent en fonction de plusieurs critères qui peuvent être la qualité, la quantité, le savoir-faire, la politique économique d'un pays à un instant donné, la stabilité ou la rentabilité économique, la recherche de compétitivité, la conquête de nouveaux marchés, etc...

Tous ces éléments aboutissent à des décisions qui sont parfois très impopulaires localement mais qui vont permettre à l'entreprise de vivre, voire de survivre et se repositionner si la situation est difficile pour elle à un moment donné.

Pour illustrer la difficulté des choix, nous allons nous attacher à décrypter les choix de 3 grands groupes européens automobiles : Renault-Nissan, Peugeot et Le groupe VAG.

Pourquoi choisir ces 3 groupes ? Parce qu'ils ont des stratégies radicalement différentes.

Les constructeurs automobiles ont produit dans le monde 82,7 millions de véhicules.

Tout d'abord que sait faire Renault historiquement : Renault et Nissan fabriquent des véhicules d'une qualité moyenne à un prix moyen dont l'objectif est de plaire à la classe moyenne des pays du monde entier. L'alliance Renault-Nissan est un constructeur mondial qui vend 8,03 millions de véhicules par an en 2011, soit 10% du marché mondial. C'est le troisième constructeur automobile mondial.

Chaque fois que Renault a tenté de se créer un accès dans un nouveau segment ou un marché de l'automobile captif, cela a été le fiasco : Lorsque dans les années 70, la Régie a voulu pénétrer le marché américain : un fiasco. Lorsque Renault en même temps que Peugeot a tenté de développer une filière haut de gamme avec les « Baccara », le fiasco...

Renault et la réussite Dacia

Pour les clients, Renault devait vendre des voitures moyennes, des « voitures à vivre » qui est devenu leur slogan dans les années 80. Renault ne pouvait se contenter de ce segment, donc, Renault a racheté Nissan pour pénétrer les marchés asiatiques, américains et le haut de gamme, car les dirigeants de l'époque ont bien compris qu'il fallait devenir un constructeur mondial.

A partir de la gamme existante de Renault et Nissan, il a réussi à s'installer durablement sur des marchés qui lui étaient fermés. Cela n'était pas suffisant, et donc Renault a créé une nouvelle catégorie de véhicules : les Low cost. Comment cela s'est-il fait ? Encore une fois le client est surprenant et a dicté la conduite...Renault avait développé la Twingo pour en faire la remplaçante de la R4, véhicule pour les jeunes et les ouvriers, la Twingo a trouvé son public aussi dans les catégories supérieures qui « voulaient montrer qu'elles n'avaient plus rien à démontrer ».

Cette clientèle n'était pas prévue et a ouvert de nouvelles perspectives avec le low cost. La voiture ne devenait plus un moyen de montrer sa Catégorie socio professionnelle. Donc les services marketing ont créé Dacia. La marque Dacia est la partie du groupe qui vend les véhicules sur des méthodes développées dans les années 80 et sur la base de véhicules le plus standardisés possibles. Ce sont des véhicules robustes, fiables et peu chers.

Avec Dacia, dont la cible affichée était les populations des pays d'Europe venant de sortir du communisme ou à faible revenu, Renault a su également attirer la population des classes moyennes des pays les plus riches d'Europe qui ne voulait plus des voitures avec les derniers gadgets, mais qui voulaient un moyen de transport robuste avec un peu de confort.

Il est amusant de constater que la Russie ne veut pas entendre parler de Dacia. Les véhicules Dacia sont vendus sous le logo Renault !!! L'évolution de la législation sur la vitesse a également diminué l'importance de la catégorie du véhicule acheté. Et aujourd'hui, avec cette stratégie à 3 volets, le groupe Renault-Nissan (Renault, Nissan, Dacia) continue à vendre plus de voitures année après année avec cette stratégie. Ce n'est pas tout !


Le groupe Renault a également décidé de développer un nouveau type de véhicules : le 100% électrique. Cela repose sur la construction d'un nouveau modèle économique : l'acquisition du véhicule où la batterie (le cœur du système) est louée et mise à disposition de bornes de recharges. C'est un pari et nous verrons si cette gamme va trouver sa clientèle. L'alliance Renault Nissan prévoit de vendre 100 000 véhicules électriques dès cette année.

Il n'est même pas sur que Renault acquiert une avance technologique sur les batteries prépondérante par ce biais. Là où l'avance peut être conséquente, c'est sur l'acquisition de la connaissance du processus de production de masse des batteries. Car les véhicules électriques, d'après les perspectives technologiques actuelles, pourraient avoir d'ici 2020, soit dans 7,5 ans (ce qui est à rapporter à la durée de vie moyenne d'un véhicule est de 8,2 ans), des capacités prix/autonomie meilleures que celles de nos véhicules à moteur à combustion. Donc à voir.

Pourquoi la régie forte de cette politique industrielle a-t-elle autant de mal à vendre des voitures en France ?

Pour probablement plusieurs raisons :

- La première d'entre elles est probablement le manque de clarté du message de la signature institutionnelle « Drive the Change ». Mettre cette terminologie après « Des voitures à vivre » qui présentait si bien les Renault, constitue à notre sens une première faute qui marque une difficulté de compréhension.

- La deuxième est la relation que Renault a avec la France (son marché historique). Renault était avant la régie nationale Renault. Etre salarié de Renault revenait à être fonctionnaire. La relation était étroite entre Boulogne-Billancourt, ville qui a vu naitre Renault en 1889, et Renault. Les Renault étaient fabriquées à Boulogne-Billancourt sur l'île Séguin. Les autres usines de Renault étaient en France. Bref, Renault et la France, plus particulièrement Boulogne-Billancourt, sont étroitement associés dans l'inconscient collectif.

La manière dont Renault a laissé l'île Séguin, dont les acquéreurs ont proposé des projets rencontrant une forte opposition, donne un sentiment d'abandon par rapport à la cité qui a permis le développement de l'entreprise. D'autre part, cette répétition de l'abandon de site de production en Europe vers des réaffectations des sites de production au Maroc, au Brésil, en Russie rajoute à une impression d'entreprises ayant tourné le dos à ses valeurs fondatrices des trente glorieuses. Le premier marché de Renault est le Brésil depuis 2011...

- La gamme vieillissante actuelle n'est pas à négliger non plus. Pour autant, l'effort consenti pour créer les nouveaux véhicules électriques a consommé une partie de l'énergie des ingénieurs au détriment de la nouvelle gamme en cours de présentation. Le nouveau haut de gamme de Renault qui a été démoli dans la presse spécialisée montre aussi que Renault cherche aujourd'hui une nouvelle stratégie.

- Dernier point troublant, la soif d'argent des dirigeants de Renault. Carlos Gohn commet une erreur de communication terrible lorsqu'il accepte de « reporter le versement de son bonus » d'une des filiales du groupe pour pouvoir faire baisser de 7500 le nombre de salariés de Renault. Les drames induits pour les familles ne sont pas à mettre en relation avec le report du versement d'une prime de 350 000 Euros lorsque l'on gagne 14,5 millions d'Euros.

On a la même chose, lorsque le PDG de VAG octroie une prime de 7500 Euros à tous les salariés pour cause de bons résultats, et qu'en même temps il baisse sa rémunération de 6 millions d'Euros suite au tollé que le montant de son salaire a suscité dans ce pays. Pourtant VAG fait des bénéfices qui se chiffrent à 21,9 milliards quand dans le même temps, le Groupe Renault voit son bénéfice baisser à 1,3 milliards. Ce péché véniel par le temps de crise que traverse la France et l'Europe peut expliquer une partie du désamour des Français à l'égard de Renault.

Mais comme nous venons de le démontrer, cela n'a strictement rien à voir avec Boulogne Billancourt et la majorité actuelle de la ville. Un peu de recul ne fait pas de mal parfois quand c'est possible.

Pour autant, les marges étant plus faibles et le volume de véhicules à forte marge étant pris par les Allemands, la solution de baisses des couts combinés à l'implantation d'usine dans des pays en voie de développement, donc avec des faibles couts de main d'œuvre est la solution aujourd'hui retenue : Donc Renault s'est installé au Maroc, et au Brésil pour produire ses véhicules.

Quid donc des usines en Europe occidentale ? Et bien elles font les frais de ces choix. Mais il s'agit de la solution retenue pour permettre à Renault de continuer à vendre ses voitures. C'est en fait une leçon du Fordisme, les premiers clients sont les salariés d'une entreprise. Donc le meilleur moyen de garder Renault dans les mémoires de la Ville de Boulogne Billancourt c'est bien de lui laisser la chance de survivre non ? Ou veut-on simplement sa mort ?

Aujourd'hui, la stratégie de Renault est bonne, le nombre de véhicules vendus augmente de nouveau, les bénéfices sont là, il est dommage que certains points dans la stratégie ne soient pas correctement perçus et notamment l'identité de marque et l'évolution de constructeur national vers le constructeur mondial ! Merci à la ville de Boulogne Billancourt d'avoir donné cette seconde chance à Renault.

Pascal de Lima et Jean Paul Gomez

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Chef économiste, Economiste de l'innovation, knowledge manager des cabinets de conseil en management (20 ans). Essayiste et conférencier français spécialiste de prospective économique, mon travail, fondé sur une veille et une réflexion prospective, porte notamment sur l'exploration des innovations, sur leurs impacts en termes sociétaux, environnementaux et socio-économiques. Responsable de l'offre "FUTURA : Impacts des innovations sur les métiers de demain". Vision, Leadership, Remote of Work, Digital as Platforms...secteurs Banque Finance Assurance, PME TPE, Industrie et Sport du Futur. Après 14 années dans les milieux du conseil en management et systèmes d’information (Consultant et Knowledge manager auprès de Ernst & Young, Cap Gemini, Chef Economiste-KM auprès d'Altran - dont un an auprès d'Arthur D. Little...), je fonde Economic Cell en 2013, laboratoire d’observation des innovations et des marchés. En 2017, je deviens en parallèle Chef Economiste d'Harwell Management. En 2022, je deviens Chef économiste de CGI et Directeur de CGI Business Consulting. Intervenant en économie de l'innovation à Aivancity, Sciences po Paris, ESSEC, HEC, UP13, Telecom-Paris... et Conférenciers dans le secteur privé, DRH, Directions Métiers... J'ai publié plus de 300 tribunes économiques dans toute la presse nationale, 8 livres, 6 articles scientifiques dans des revues classées CNRS et j'interviens régulièrement dans les médias français et internationaux. Publication récente aux éditions FORBES de « Capitalisme et Technologie : les liaisons dangereuses – Vers les métiers de demain ». Livre en cours : "La fin du travail" Site personnel : www.pascal-de-lima.com

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