Gaulois réfractaires contre mondialisés soumis ?

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 30 août 2018 à 13h24
Gaulois
@shutter - © Economie Matin

La sortie d’Emmanuel Macron au Danemark critiquant les « Gaulois réfractaires au changement » n’est pas passée inaperçue. Au-delà des polémiques partisanes inévitables avec ce genre de provocation, c’est la vision profonde de la France que nourrit Emmanuel Macron qui se dévoile par petites touches. Et c’est une déception: car Emmanuel Macron ne véhicule rien d’autre que les images basiques des élites parisiennes sur le reste du pays.

Je n’aime pas les discours d’Emmanuel Macron que je trouve pompeux, fastidieux, terriblement classiques, et sans grande hauteur de vue. Emmanuel Macron a reçu une formation à l’ancienne: la rhétorique avant tout, le soin apporté à la forme, au style, et peu d’importance accordée aux idées.

Au demeurant, les idées d’Emmanuel Macron sont les préjugés de la caste à laquelle il appartien t: toujours plus d’Europe, parce que l’Europe c’est la paix et la civilisation, l’identité d’un peuple est nationaliste, donc méchante, donc à combattre. Et toujours plus d’État par ailleurs, parce que l’État, c’est l’intérêt général sans limite et sans réticence, c’est la raison en action contre le désordre de la concurrence.

Je le trouve bien meilleur dans ses saillies caustiques, comme celle d’hier où il a stigmatisé au Danemark les « Gaulois réfractaires », en qui il voit quand même des « Européens » comme les Scandinaves. C’est dans ces moments-là qu’il est le plus « signifiant », c’est-à-dire qu’il délivre le mieux le fond de sa doctrine personnelle.

Le Gaulois ne vaut-il que parce qu’il est européen ?

On pourrait méditer longtemps sur le sens ambigu, complexe, polymorphe, de cette phrase.

Immédiatement, on en déduit que notre Président n’aime les Gaulois que dans le mesure où ils sont Européens. C’est déjà un aveu: Emmanuel Macron appartient à cette caste où l’on ne se sent pas vraiment français, mais continental. Ces gens-là trouvent la France trop « gauloise » pour eux, c’est-à-dire vulgaire, comme on parle de « gauloiseries » pour désigner l’humour de corps de garde. Dans l’univers de Macron, la France fréquentable est celle des officiers, des nobles. Mais celle des soldats qui plaisantent sur les « gueuses » est une abomination.

On retrouvera d’ailleurs dans ses discours de nombreuses allusions à sa France à lui, qui se réduit à ses élites, les seules dignes d’être considérées. Les autres méritent à peine d’exister.

L’étrange écho de l’Europe raciale chez Macron

Mais il y a un autre sens dans la remarque de Macron, sens involontaire, qu’il dénierait sûrement, et c’est en cela que sa phrase intéressante: par ce qu’elle dit de la pensée macronienne profonde, comme un acte manqué le dévoilerait.

Lorsque Macron explique que les Scandinaves comme les Gaulois partagent l’Europe, il fait écho à une « couche basse » de la conscience européenne : l’existence d’un grand peuple indo-européen antérieur aux nations actuelles, et que la construction communautaire permettrait, d’une façon ou d’une autre, de reconstruire. Macron n’a pas osé dire « Gaulois et Vikings ». Mais il n’en était pas loin.

L’Europe que nous projette le Président est bien celle d’un grand tout auxquels les « Gaulois » appartiennent. Sur ce point, il retrouve de façon étrange le substrat idéologique des mouvements païens qui appellent de leurs voeux à une Europe des nations blanches. On peut ici remercier Emmanuel Macron d’avoir osé glisser sur une pente qu’il stigmatise régulièrement par ailleurs.

Le mythe du Gaulois réfractaire au changement

Pour le reste, en assimilant le Gaulois à la résistance au changement, Macron avoue son adhésion à cette culture élitiste où l’histoire du vaincu Vercingétorix fut écrite par le vainqueur Jules César. C’est le mythe du barbare quasi-sauvage gaulois face au génie rationaliste romain qui nous est resservi par le bien né Emmanuel Macron, baigné durant toute sa jeunesse dans l’admiration de ce qui gagne, et dans la honte de ce qui échoue.

L’histoire rendra un jour raison de cette forgerie historique. On n’enseigne pas assez dans les écoles en France que, 400 ans avant la conquête de la Gaule par Rome, la Gaule dominait l’Europe. Le roi gaulois Brenn s’était même offert le luxe de mettre Rome à sac avant de partir à la conquête de la Grèce. On peut en vouloir à Emmanuel Macron de ne pas être fier de ces moments où la Gaule fut grande, mais il est vrai qu’un homme qui admire les premiers de cordée préférera toujours le récit d’un César à la mémoire d’un Gergovie.

Il évitera aussi toujours de valoriser les apports des Gaulois à la prospérité romaine. On peut d’ailleurs se demander si l’empire romain d’Occident aurait pu croître et durer sans l’inclusion de la Gaule dans un espace unique impérial.

En tout cas, les références historiques du Président de la République en disent long sur ce qu’il place sous l’adjectif « française » qui orne sa carte de visite. Pour lui, l’identité gauloise, ce sont les braillards obscurantistes qui affrontent les légions du progrès. La République française ne serait donc grande que par les apports extérieurs qui lui donneraient des lumières. La France n’est estimable que si elle s’ampute de ce qui fait son héritage le plus profond, puisque cet héritage est populaire, réfractaire, hostile au changement et au reste du monde.

L’étrange fascination de Macron pour la soumission mondialisée

En creux, ce que nous dit Emmanuel Macron, c’est que, à rebours du Gaulois réfractaire, il existe un Européen qui ne l’est pas, et celui-là est le modèle à suivre. L’Européen, c’est cet homme détaché de ses racines populaires, tout entier pénétré d’une culture internationale, cosmopolite, forcément supérieure, élégante, délicate, sélective. On retrouve là encore la fascination très française pour l’esprit platonicien, consacré au bien, à l’intelligence, qui a fait taire en lui tout ce qui le rattache à la barbarie.

Là où la logique macronienne est révélatrice, c’est dans sa façon de qualifier moralement l’esprit de résistance. Au pays de Jean Moulin et du général De Gaulle, on pourrait s’attendre à ce que le Président de la République traite avec égard la capacité à dire non, spécialement à dire non à ce qui vient de l’extérieur et qui n’est pas choisi. Pour Macron, la France de Jean Moulin est « réfractaire ». Il préfère la vision européenne non réfractaire.

En grattant un peu, on ne devrait pas traîner à trouver, dans les discours des technocrates qui prirent le pouvoir avec le maréchal Pétain, des phrases analogues sur les vertus de l’homme européen prôné par l’Allemagne.

Macron, héros d’une Europe amnésique

Le même jour, Emmanuel Macron répondait à l’axe Salvini-Orban qui se dessine pour durcir le ton contre les migrations en Europe. Assez curieusement, Macron semble endosser avec joie la tête de la croisade inverse. Il a notamment déclaré:

Je ne céderai rien aux nationalistes et à ceux qui prônent ce discours de haine. S’ils ont voulu voir en ma personne leur opposant principal, ils ont raison 

Devons-nous en déduire que, dans la vision macronienne de la réalité, il faut peu à peu remplacer les Gaulois par un peuple doté d’une culture européenne qui ouvrirait largement ses portes aux petits Africains tout en jugeant les dolmens et les menhirs comme une honte qu’il faut oublier?

Macron et sa caste toujours fâchés avec la contradiction

Dans tous les cas, si l’Europe de Macron, c’est celle de l’obéissance qui étouffe en elle toute capacité à résister, je préfère être un Gaulois réfractaire. Je n’ai jamais aimé le culte de la soumission, ni de la passivité. M’expliquer que l’indépendance d’esprit, la liberté de choix, c’est obscurantiste, réfractaire, passé de mode, nationaliste, vulgaire, barbare, ne changera rien à l’affaire. Je préfère être un barbare libre plutôt qu’un soumis branché et fréquentable.

Dans cette vision des choses, Macron rejoint tous ceux qui, lors du referendum sur le Brexit, avaient stigmatisé les Britanniques au nom de la culture face au repli nationaliste. Manifestement, le mépris élitiste ne fait guère avancer les choses.

Macron et ses amis devraient longuement méditer cette leçon infligée par l’histoire il y a deux ans à peine.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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