La gauche réclame une autre politique, mais laquelle ?

Cropped Favicon Economi Matin.jpg
Par Jean-Marc Sylvestre Modifié le 12 avril 2013 à 9h06

"Pépère est-il à la hauteur ?", « François Hollande, Monsieur faible ». Les hebdos ont frappé fort cette fin de semaine, mais ils avaient des raisons.

Après l'affaire Cahuzac, l'affaire Augier et les paradis fiscaux, Jean-Luc Mélenchon a donné le signal d'une révolte contre, ce qu'il appelle, la politique d'austérité. Mais dans son sillage, des voix s'élèvent au Parti socialiste pour réclamer aussi une autre politique. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement Productif, Benoît Hamon à la Consommation ou Cécile Duflot la ministre du Logement, n'y sont pas allés de main morte sur l'air de « Plus à gauche que la gauche, tu meurs ».

Le week-end va encore nous réserver quelques sorties qui risquent d'aggraver l'incohérence et le manque de solidarité gouvernementale. « Pépère » ne doit pas être à la hauteur, du coup, le bateau fait eau de toutes parts. Dans un gouvernement « normal », des ministres qui se mettent ainsi en marge de la politique du Président et qui critiquent haut et fort le Premier ministre n'auraient pas tenu 24 heures. « Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne » disait Jean-Pierre Chevènement. Mais Jean-Pierre Chevènement avait de l'éducation et des principes. Lui.

Tout observateur normal a évidemment compris que les ministres profitaient de l'état de faiblesse de « Monsieur Faible », flanqué d'un Premier ministre sans autorité, pour jouer leurs cartes personnelles.

Sauf que, quand on interroge les experts en politique socialiste, ils viennent nous dire que l'on a rien compris, que ces propos discordants ou divergents ne marquent pas la distance avec le Président mais la volonté de convaincre les déçus de François Hollande de ne pas se laisser séduire par les sirènes de l'extrême gauche ou de l'extrême droite.

Sous entendu, « faites confiance au Président, les temps sont extrêmement durs mais nous sommes là pour préserver l'essentiel et obtenir que la politique de rigueur ne se transforme pas en politique d'austérité. D'où l'élément de langage qui revenait en boucle : « n'ajoutons pas de l'austérité à la dépression ». Les plus malins ajoutent qu'il n'est pas question d'abandonner le bateau à l'heure « où, en plus, on fait un effort pour renforcer le socle des valeurs qui s'imposent à l'action publique ».

D'une pierre deux coups contre ceux qui soupçonneraient le gouvernement de lancer une vaste opération de moralisation. On se défend en expliquant qu'un effort de vertu, de transparence concourt à la légitimité de la politique économique de redressement. Bref, tout ceux qui pensent que la majorité présidentielle est complètement désarticulée par l'affaire Cahuzac se trompent, on va leur expliquer que la loi de moralisation renforce au contraire sa cohérence et ainsi éteindre l'incendie qui a embrasé la classe politique.

Et à tous ceux qui racontent que le Parti socialiste se fissure au contact de la politique économique, on va donc les convaincre que François Hollande n'a pas changé de cap. La situation est incompréhensible, sauf à être agrégé de sociologie politique.

Et encore. Une situation incompréhensible pour trois raisons.
La première, c'est que les électeurs de gauche pensent que le président de la République s'est assis sur ses promesses électorales mais les électeurs de droite n'ont pas compris que le Président avait changé de cap. Double malentendus. Double peines dans les sondages. Le taux de confiance du Président s'est effondré. Il a perdu une partie de ses fidèles et n'a récupéré personne dans la maison d'en face ou celle voisine.

Deuxième raison, le Président a certes, légèrement infléchi la politique économique depuis trois mois (il a pris des engagements européens, ouvert le chantier de la compétitivité, parlé de baisser la dépense publique) mais cet infléchissement ne s'est pas accompagné d'actions décisives et n'a produit aucun résultat positif. Plus grave, il ne l'a pas assumé au niveau de sa famille. Or, l'efficacité de l'action politique dépend aussi du discours qui l'accompagne.

Troisième raison, si le Président reste flou sur la politique économique, ses détracteurs de gauche ont beau critiquer, réclamer autre chose, ils n'ont pas d'alternatives crédibles à celle qui devrait être mise en place et que le Président n'ose pas signer tant elle est différente de son programme.

Sans aucune arrogance, la seule politique économique qui vaille aujourd'hui est une politique de compétitivité. Tout faire pour encourager les chefs d'entreprise, tout faire pour booster les innovations et l'investissement.
Cela passe par une fiscalité qui libère les activités créatrices de richesse. Moins de charges, moins d'impôts sur la production, plus de souplesse dans la gestion du personnel. Mais parallèlement, ça passe par un assainissement des finances publiques. Moins de déficit, moins d'endettement (par une réduction des dépenses publiques). Un euro de moins dépensé dans la sphère de l'Etat, c'est un euro de plus investi en production et en emploi.

Cette équation ne tient que si nous obtenons des européens des garanties de financement à bas taux. Pour cela, nous devons accepter un minimum de réforme interne pour corriger nos déséquilibres. Ce régime de rigueur ou d'amaigrissement de nos frais généraux a étouffé la croissance pour les uns, aboutit à l'austérité pour les autres. Laquelle austérité fabrique du chômage et conduit tout droit à la récession, c'est-à-dire à l'asphyxie.

Le raisonnement des détracteurs des politiques européennes de redressement se tient. Sauf que ces politiques de rigueur ne sont supportable que si elles s'accompagnent de soutien à la compétitivité. Ce qu'ont fait les Allemands. Ces politiques de rigueur ne sont pas supportable sauf à étaler dans le temps les efforts. Ce que les européens (les Italiens, les Espagnoles, les Grecs et les Français) essaient de négocier.

En dehors de cette équation fondée sur un réveil de l'offre industrielle, il n'y a pas d'autres politiques possibles sauf à remettre en cause 50 ans de construction européenne.
Les partisans d'une autre politique économique rêvent d'une relance des activités. Cette politique de relance (Keynes) reviendrait à injecter des milliards d'euros dans l'économie pour qu'elle se réactive. Mais c'est une vue de l'esprit. Si on injecte des liquidités en masse, on va provoquer un surcroît de consommation, donc un surcroît d'importations (puisque l'on n'a pas de production). Très rapidement les prix vont augmenter ce qui va couper les exportations. Très vite le déficit extérieur va se creuser et par conséquent l'endettement va augmenter. Au bout de quelques semaines l'ensemble européen va évidemment craquer.

Personne ne sait aujourd'hui comment chaque pays européen pourrait survivre sans l'appartenance à la communauté. C'est techniquement, financièrement, économiquement inenvisageable. La seule solution qui pourrait éventuellement donner de l'oxygène à l'ensemble serait d'autoriser la Banque centrale à émettre de la monnaie de singe. Comme la Banque centrale des États-Unis ou celle du japon. Cela dit, la BCE n'opère pas sur un ensemble homogène. La BCE a des actionnaires et l'on ne voit pas, au nom de quoi, certains en l'occurrence les Allemands, viendraient indéfiniment payer les frasques d'autres actionnaires.

Cette construction européenne doit fonctionner comme une copropriété d'immeuble. Les résidents se sont engagés à respecter le règlement de copropriété et à payer leur part de charges. Si l'un des résidents fait du bruit tous les soirs, ne paie pas ses charges les autres se fâchent et lui coupent l'électricité. Il n'y a pas d'autre politique économique possible que de s'inscrire dans cette copropriété européenne et d'en respecter la discipline.

François Hollande dans un premier temps a prétendu pouvoir faire changer le règlement de copropriété. Il a raconté qu'il avait obtenu des modifications substantielles. En fait, il s'est cassé les dents. N'étant pas libre de ses mouvements pour cause d'endettement chronique, il a été obligé de se plier à la nécessité d'engager une politique de compétitivité. D'où l'engagement de réduire les dépenses publiques. D'où l'engagement de provoquer un choc de compétitivité. Le virage est resté au stade du dessin et de l'intention par crainte de susciter la colère politique. Les malades de France ont menacé de se mettre en colère avant même d'avoir été opéré.

La stratégie de François Hollande est très difficile à décrypter. Deux hypothèses :
Ou bien il est convaincu d'avoir confiance dans la fameuse « caisse à outils » qu'il a mise en place : un zest d'offre avec le crédit d'impôt mais une préservation des activités d'état et du modèle social pour ne pas déstabiliser le corps social. Cela revient à espérer que la croissance tombera du ciel et viendra résoudre nos problèmes.

C'est un mensonge d'Etat que de faire croire que l'on pourra inverser la courbe du chômage et ramener notre déficit à 3% sans rien faire de spécifique. Les ministres qui mentent sur leur patrimoine seront sanctionnés et c'est logique. Ceux qui mentent sur les prévisions économiques et les promesses électorales peuvent être décorés...

Ou bien deuxième hypothèse, François Hollande est parfaitement conscient de la gravité de la situation mais il n'en parle pas pour ne pas désespérer le malade. Il attend un choc énorme qui lui permettrait de déclarer le pays en État d'urgence et de faire passer les réformes qui s'imposent. La crise morale, crise de confiance aurait pu lui offrir cette occasion. Il a choisi d'organiser un psychodrame national dont les effets ne sont pas contrôlable plutôt que d'ouvrir un chantier de reconstruction du pays abîmé par la crise. Incompréhensible.

Une réaction ? Laissez un commentaire

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre Newsletter gratuite pour des articles captivants, du contenu exclusif et les dernières actualités.

Cropped Favicon Economi Matin.jpg

Après une licence en sciences économiques, puis un doctorat obtenu à l'Université Paris-Dauphine, il est assistant professeur à l'Université de Caen. Puis il entre en 1973 au magazine L’Expansion, au Management, à La Vie française, au Nouvel Économiste (rédacteur en chef adjoint) puis au Quotidien de Paris (rédacteur en chef du service économie). Il a exercé sur La Cinq en tant que chroniqueur économique, sur France 3 et sur TF1, où il devient chef du service « économique et social ». Il entre à LCI en juin 1994 où il anime, depuis cette date, l’émission hebdomadaire Décideur. Entre septembre 1997 et juillet 2010, il anime aussi sur cette même chaîne Le Club de l’économie. En juillet 2008, il est nommé directeur adjoint de l'information de TF1 et de LCI et sera chargé de l'information économique et sociale. Jean-Marc Sylvestre est, jusqu'en juin 2008, également chroniqueur économique à France Inter où il débat notamment le vendredi avec Bernard Maris, alter-mondialiste, membre d'Attac et des Verts. Il a, depuis, attaqué France Inter aux Prud'hommes pour demander la requalification de ses multiples CDD en CDI. À l'été 2010, Jean-Marc Sylvestre quitte TF1 et LCI pour rejoindre la chaîne d'information en continu i>Télé. À partir d'octobre 2010, il présente le dimanche Les Clés de l'Éco, un magazine sur l'économie en partenariat avec le quotidien Les Échos et deux éditos dans la matinale.  

Aucun commentaire à «La gauche réclame une autre politique, mais laquelle ?»

Laisser un commentaire

* Champs requis