Le Tribunal de grande instance de Lyon a délibéré le 8 septembre 2016 dans une affaire opposant depuis une dizaine d’années Frédérick Raynal, pionnier dans l’essor des jeux vidéo français à la société Atari, anciennement dénommée Infogrames Entertainment.
Cette société édite et distribue des jeux vidéo depuis les années 1980, un de ses produits phares étant le jeu de survival horror Alone in the Dark sorti dans sa première version en 1992.
Un contentieux type entre les contributeurs à la création d’un jeu et l’éditeur
Frédérick Raynal a grandement contribué au succès de ce jeu en inventant une nouvelle technologie de jeu vidéo en trois dimensions, permettant au joueur d’avoir différents points de vue et de s’immerger pleinement dans Alone in the Dark. La presse spécialisée a largement reconnu en tant que créateur du jeu, comme cela a été mis en avant pendant le procès. Pourtant, au terme de son contrat de travail, et après qu’Atari ait réédité ce jeu à quatre reprises, permis une adaptation cinématographique et reçu l’illustre récompense des meilleurs jeux de l’année 1993 du magazine Génération 4, cette société n’a versé aucune rémunération complémentaire à Frédérick Raynal au titre de ses droits d’auteur.
En 2005, ce dernier a donc assigné son ancien employeur afin de faire constater en justice la violation de ses droits d’auteur pour le jeu Alone in the Dark. A cette date, ses chances de succès étaient très faibles mais, entre-temps, la position des juges a évolué pour concilier les intérêts tant des sociétés éditrices de jeux que ceux des nombreux contributeurs artistiques.
Historique du régime de la titularité des droits d’auteur de jeu vidéo
Après avoir admis qu’un jeu vidéo était bien une œuvre en 1986, les juges ont appliqué de manière unitaire le régime juridique des logiciels. Or, l’alinéa 1er de l’article L. 113-9 du Code de propriété intellectuelle prévoit une dévolution directe des droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leur fonction ou avec les instructions de l’employeur entre les mains de ce dernier. Ainsi, dès lors qu’un contrat de travail était signé par les différents contributeurs à la création d’un jeu vidéo avec le studio de développement ou l’éditeur de ce jeu, leurs droits d’auteurs étaient automatiquement dévolus à l’employeur.
L’application du régime de l’œuvre logicielle à l’ensemble du jeu vidéo était donc extrêmement favorable aux employeurs, ce qui a été vivement critiqué. C’est pourquoi la Cour de cassation est intervenue en 2009 dans l’arrêt dit Cryo en affirmant que « le jeu vidéo est une œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l’importance de celle-ci de sorte que chacune de ses composantes et soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature ». La doctrine a alors parlé de qualification distributive pour le jeu vidéo.
Le jugement Raynal contre Atari, une application de la jurisprudence Cryo
C’est dans la stricte lignée de cette jurisprudence que s’est placé le TGI de Lyon. Tout d’abord, il a appliqué le régime de l’œuvre de collaboration au jeu Alone in the Dark après avoir constaté que la société éditrice n’avait pas eu un rôle de direction et que c’est le travail des différentes personnes physiques qui avait été prépondérant. Cela a permis d’écarter la qualification d’œuvre collective pour le jeu, en vertu de laquelle l’ensemble des droits d’auteur aurait été dévolu à la société Atari.
Ensuite, le juge a reconnu à Frédérick Raynal sa qualité d’auteur des logiciels « 3d Desk » et « Scen Edit » et du game play, c’est à dire les mécanismes du jeu, l’agencement des caméras et la mise en scène du jeu vidéo ayant rendu interactif le scénario du jeu. Un expert a été nommé afin, notamment, de déterminer le périmètre de la reprise desdit logiciels et game play dans les jeux Alone in the Dark 2, 3, 4 et 5 ce qui permettra d’évaluer le montant des dommages et intérêts pour contrefaçon de droit d’auteur. En outre, le Tribunal a admis que le droit moral de Frédérick Raynal avait été bafoué par la société Atari lorsque celle-ci n’avait pas cité son nom à la remise des récompenses du magazine Génération 4.
En conclusion, la question de l’indemnisation est entre les mains de l’expert qui sera désigné conformément à cette décision. Elle met en lumière les bénéfices de la jurisprudence Cryo pour les auteurs de jeux vidéo, et la victoire judiciaire de Frédérick Raynal satisfera certainement l’ensemble de la communauté.