Le Conseil Supérieur de l’audiovisuel s’apprête à désigner d’ici quelques mois le nouveau patron de France Télévisions. Du moins, c’est ce que la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel votée en 2013 laisserait entendre. Seulement à y regarder de plus près, il semblerait que rien n’ait vraiment changé depuis l’ère Sarkozy et que le pouvoir alloué au CSA ne soit qu’un leurre pour laisser au patron du Conseil la possibilité de décider en solo du meilleur candidat. Un passage de relais Président-technocrate régressif et contraire à l’esprit démocratique pourtant souhaité.
Une nomination qui doit être ouverte selon la loi
La nomination du Président du CSA était sous Nicolas Sarkozy le seul fait du Président de la République. Ce dernier avait alors retiré au CSA le pouvoir de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public pour se réserver l’honneur de nommer notamment en 2010 Rémy Pflimlin à la tête du groupe. Une corde de plus à l’arc d’un Sarkozy qui aimait être présent sur tous les fronts et faire valoir une omniscience qui était alors symptomatique de son mandat. À l’époque, ce modus operandi était régulièrement critiqué car il questionnait l’indépendance des candidats désignés vis-à-vis de l’exécutif et ne semblait en rien correspondre aux exigences démocratiques d’un pays comme la France.
C’est pour trancher directement avec cette tendance égotiste que François Hollande a voulu réattribuer les pleins pouvoirs au CSA en ce qui concerne la désignation des patrons de France Télévisions, Radio France et de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF). Un argument de campagne efficace censé incarner la volonté de François Hollande de s’inscrire en rupture avec son prédécesseur et de mettre fin aux soupçons de conflits d’intérêts. Définitivement adopté au Parlement en octobre 2013, le texte redonnait aux huit « sages » la main sur qui allait tenir les rênes des organes médiatiques du service public.
Seulement, ce qui se passe aujourd’hui dans le bureau d’Olivier Schrameck laisse à penser que la procédure en place serait actuellement court-circuitée par le Président du CSA lui-même. D’après un article paru dans Le Canard Enchainé, celui qui fut nommé par François Hollande à la tête du Conseil en 2013 voudrait choisir seul le futur remplaçant de Rémy Pflimlin et recevrait en ce sens des candidats potentiels en privé. L’article du Canard enchainé évoque alors les noms de Denis Olivennes (PDG d’Europe 1 et de Lagardère Active), Rodolphe Belmer (DG du groupe Canal+ et Président de Vivendi Contents) et Christopher Baldelli (Président de RTL).
Une manière de faire qui irait a contrario de la volonté présidentielle et qui dépouillerait les autres membres du Conseil de leur influence sur le dossier. Pas sûr que Nicolas Curien et Nathalie Sonnac, fraichement nommés membres du CSA, apprécient le rôle de simple figurant qu’on essaie ici de leur refourguer. Les promesses d’une procédure ouverte, démocratique et collégiale seraient-elles vaines ? A en croire le petit manège auquel se livrerait Olivier Schrameck, on aurait de quoi se poser des questions. Retirer au Président de la République la possibilité de choisir le patron de France Télévisions pour finalement laisser un technocrate la liberté d’agir seul va à l’encontre d’un discours prônant la transparence et d’une démarche qui se veut participative.
Une procédure qui fonctionne
On pourrait croire que l’intention d’Olivier Schrameck dans cette histoire serait de déjouer les contours d’une loi peu probante qui n’aurait pour seul mérite que de redonner à France Télévisions la dimension populaire d’avant l’ère Sarkozy. Après tout, on parle ici d’un groupe employant plus de 10 000 personnes, financé en partie par le contribuable et disposant d’un budget de 3 milliards d’euros. France Télévisions appartient à tous les Français et il demeure certes difficile de voir son avenir confié aux mains d’une seule personne.
Pourtant, il n’en est rien. La procédure établie par la loi de 2013 a jusqu’ici montré de très bons résultats et a permis notamment la nomination l’année dernière de Mathieu Gallet à la tête de Radio France. Méconnu du grand public jusqu’à cette fameuse nomination, celui qui fut PDG de l’INA ne cesse depuis d’apporter satisfaction et trimballe avec lui l’image d’un service public neuf et ambitieux. L’homme de 38 ans fait l’unanimité autour de lui et prouve que la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel permet de révéler des talents.
En choisissant de remettre les sages du CSA au cœur du processus de décision pour désigner le Président de France Télévisions, François Hollande avait lancé un signal fort aux Français. Une mesure symbole d’une démocratie moderne qui faisait montre d’une volonté saine de partage du pouvoir. Cependant, la tournure que semblent prendre les choses crée un décalage entre la version papier de la loi et la réalité. En décidant seul dans son coin du prochain patron de France Télévisions, Olivier Schrameck verrouille les candidatures et limite les possibilités, au risque de passer à côté d’un futur Mathieu Gallet.